Grammatisation (techniques de reproduction)
La grammatisation– expression qui prolonge et détourne un concept de Sylvain Auroux – désigne la transformation d’un continu temporel en un discret spatial : c’est un processus de description, de formalisation et de discrétisation des comportements humains (calculs, langages et gestes) qui permet leur reproductibilité ; c’est une abstraction de formes par l’extériorisation des flux dans les « rétentions tertiaires » (exportées dans nos machines, nos appareils).
Grammatiser, c’est donc discrétiser, en vue de reproduire. Sera nommée gramme toute unité discrète inscrite dans un support technique de mémoire (hypomnemata). Le processus de grammatisation est l’histoire technique de la mémoire : c’est l’histoire du supplément au sens où en parlait Jacques Derrida mais tel qu’il consiste en une discrétisation, une discrimination, une analyse et une décomposition des flux (qui n’est pas étrangère au codage-décodage selon Gilles Deleuze et Félix Guattari).
Le processus de grammatisation ne concerne pas seulement le langage (telle cette machine à écrire qu’était la cité grecque), mais aussi les gestes et les comportements (telle la machine-outil symbolisée par la rencontre de l’ingénieur James Watt et de l’entrepreneur Matthew Boulton). Le machinisme industriel reproduit les gestes du travail, comme l’écriture imprimée reproduit la parole en autant d’exemplaires. C’est au XIXe siècle que commence un nouveau stade de la grammatisation : son stade analogique qui permettra au XXe siècle la production et la reproduction d’objets temporels industriels (ex. le phonographe, le cinématographe). Le sensible sous toutes ces formes devient reproductible (Benjamin). Le dernier stade de la grammatisation est le nôtre : son stade numérique, qui est aussi celui de la société hyperindustrielle où l’extériorisation des fonctions de lecture et de computation semble dissociée de l’intériorisation qui accompagnait autrefois calcul et lecture.
Le concept de grammatisation définit et décrit des époques et des techniques qui apparaissent mais ne disparaissent jamais : en aucun cas l’informatique ne fait disparaître la lecture et l’écriture. C’est au contraire une archi-lecture qui change les conditions de la lecture et de l’écriture.
Il existe trois discrétisations : littérale, analogique et numérique. Elles n’ont pas les mêmes modalités de socialisation et ne produisent pas les mêmes effets épistémiques. Typiquement, on ne fait pas de calculs sur des grammatisations analogiques, alors que l’informatique est faite pour faire des calculs, des traitements. Dans le cas de l’analogique, la discrétisation est insensible pour le destinataire. En passant de l’appareil analogique à l’appareil numérique, des parties du signal m’apparaissent en tant que discrètes, et c’est ce qui rend possible ce qu’on appelle l’interactivité : je peux alors agir sur l’information, la transformer, et non seulement la subir.
Merci beaucoup pour cet
Merci beaucoup pour cet article très intéressant. Un détail m'a cependant interpellé. Vous écrivez que l'on peut "discrétiser la langue avec une trentaine de signes diacritiques : les lettres de l’alphabet". Or il me semble qu'un signe diacritique ne fait qu'accompagner les graphèmes et ne saurait donc constituer une lettre en lui-même. Je reconnais cela dit qu'il s'agit là d'une pure ratiocination.