association internationale pour une politique industrielle des technologies de l'esprit
Le territoire est une question politique qui excède sa dimension administrative et qui se réduit pas au local par opposition au global : le territoire met en cause cette opposition même. Un milieu qui n’est pas territorialisé est rapidement dissocié. Le territoire ne saurait préexister au vivant qui l’habite et qui, au sens propre, le marque.
La pensée du XXe siècle a largement été dominée par la question de la déterritorialisation – qui n’est pas, comme on l’a cru, l’opposé de la territorialisation (pas plus que la micro-politique ne s’oppose à la macro-politique ou en dénie la nécessité), mais son devenir en extension. Nombre de malentendus ont été engendrés à partir de cette notion dans un contexte qui se caractérisait par ailleurs par la mise en place d’un processus de « mondialisation » ou de « globalization » qui était en réalité et avant tout une opération d’imposition des critères de la pensée néolibérale aux économies locales et au prix de la destruction de toute dimension politique et sociale, c’est à dire, pour le dire dans des mots qui nous sont plus spécifiques, par la destruction des systèmes sociaux désajustés du devenir technologique et court-circuités par lui, qui était passé sous le contrôle exclusif d’un management intégralement soumis aux contraintes d’un actionnariat planétaire. Tels furent les résultats de la « révolution conservatrice » qui conduisit pour finir à la calamité de 2008 – de laquelle la planète entière depuis ne parvient pas à sortir.
Les systèmes locaux d’innovation que nous appréhendons comme des cas singulièrement importants d’économies contributives reprennent à nouveaux frais la question de la production d’espace comme convergence de l’espace physique, de l’espace mental et de l’espace social : ils reformulent la complexité des relations du “ là ” et du “ là-bas ”, du proche et du lointain, ils reformulent les « conditions de vie » de la mondialisation, non seulement de ses flux, mais de ses circuits. Il ne faut pas dissocier la production de l’espace de la production des valeurs ; en l’occurrence, face à l’isotopie des flux du néo-capitalisme, l’économie de la contribution renforce l’hétérotopie des lieux. Les systèmes locaux favorisent le développement des industries de territoire.
De fait, la mondialisation des échanges de biens créatifs et culturels s’accompagne d’un haut degré de territorialisation de la production qui en fait des industries de territoires[1]. Celles-ci s’appuient sur la mobilisation d’actifs situés, peu ou pas substituables, peu ou pas transposables ou redéployables sans d’importants coûts de transaction et d’opportunité. Cette concentration spatiale confère aux industries de territoire quatre caractéristiques principales, liées
. à la protection de la propriété intellectuelle,
. à la réduction des risques,
. aux conditions de formation et de captation des externalités
. aux formes de l’intervention publique.
Si la courbe d’apprentissage des industries de territoire demeure un effet de structure global, issu du système industriel mondial et non réductible à ses dérivées locales, les effets d’apprentissage suscités par les dynamiques de proximité n’en constituent pas moins des barrières à l’entrée qui protègent les entreprises installées. L’avantage territorial assure une garantie collective de la propriété intellectuelle. Il tend à se substituer en partie aux droits de propriété classiques pour protéger les bénéfices tirés de l’innovation. De même, l’avantage territorial est à l’origine d’une péréquation qui permet aux industries de territoire de compenser leur exposition aux risques par une progression conjointe des économies d’échelle internes, via les gains de productivité, et des économies d’échelle externes, via les gains de parts de marché. Les dynamiques de proximité favorisent l’endogénéisation de ces externalités. Enfin, l’exploitation des actifs localisés met en relief le rôle déterminant des politiques publiques et l’aptitude de ces dernières à démultiplier les effets externes positifs. L’investissement public territorialisé et les dynamiques de proximité s’articulent dans un processus de création de milieux innovateurs dont témoignent les projets métropolitains.
[1]Sur la problématique complexe des industries de territoire, voir Philippe Béraud, “Les industries de territoire : énergie, réseaux, culture ”, Revue du CERCI, n° 4, Université de Nantes, décembre 2009.