association internationale pour une politique industrielle des technologies de l'esprit
Sur le plan historique, « technoscience » désigne une époque au cours de laquelle la science devient une fonction de l’économie : la science y est requise par l’industrie. Sur le plan philosophique, elle désigne la non-séparation de la science et de la technique (qui doivent cependant rester distinguées[1]). Il ne s’agit plus, pour la science, de décrire ce qui est, mais de faire advenir ce qui devient : de faire accoucher le monde de sa transformation. Par exemple, la nanoscience est d’emblée une nanotechnologie où connaître, c’est façonner.
Le scientifique, comme l’homme vivant, est l’ambivalence de sa prothèse, il est le défaut qui appelle un supplément. La technoscience signifie ainsi que le milieu de la science – au double sens de l’umwelt (milieu de vie et de connaissance) et du medium (intermédiaire) – est technique, et que la technique n’est pas un ensemble de moyens pour agir sur la nature, puisque précisément elle fait milieu. Il n’y a rien à mesurer sans instrument de mesure : c’est l’opération de mesure qui crée qui crée le sens d’objet de la réalité à mesurer. Parler de « milieu technique » c’est déjouer une compréhension naïve de la technique comme instrument au service d’un savoir, et c’est aussi aller à l’encontre de l’idée d’une science émancipée de ses prothèses, de ses hypomnemata – comme cela apparaît aux yeux de Husserl lui-même dans L’Origine de la géométrie.
La science a toujours supposé une technique hypomnésique, et n’a donc jamais été pure de toute technique, contrairement à ce que tend à poser Platon, et après lui tout ce que l’on appelle « la métaphysique ». Dans notre vocabulaire, la science est liée à un stade de la grammatisation – celui de la synthèse littérale du logos. Quant à la technoscience, en tant qu’âge industriel de la science, elle est liée à des avancées de la grammatisation, et elle est en quelque sorte elle-même l’avancée de la grammatisation : l’une des principales activités scientifiques contemporaines consiste précisément à grammatiser – y compris le vivant : le séquençage de l’ADN est par exemple un processus de grammatisaition du vivant. Ceci pose la question du statut de la technique dans la vie elle-même, et d’abord dans la vie de celui que nous appelons l’être non-inhumain.
[1]Il faut cesser d’opposer la science et la technique, mais il faut continuer à les distinguer. La science ne se réduit pas à la technique, la science à un rapport fondamental à l’idéalité. Une idéalité scientifique ne coïncide pas avec le réel mais l’excède ; c’est le réel qui devient possible.