Capitalisme(s)

 

Marx inventa le mot et théorisa la chose. Mais ne faisons pas comme si on s’entendait sur ce terme – et sur ce « on » que le capitalisme produit. Réfléchir au capitalisme, c’est d’abord réfléchir à son histoire. Nous proposons, à la discussion, trois phases :

 

1)Capitalisme marchand.On a pu dire que le capitalisme commence avec l’avènement des cités marchandes médiévales (Venise, Gènes, Anvers, etc.) ou de l’économie-monde des réseaux de navigation ; ou bien avec la Réforme protestante, l’éthique du travail et de l’entrepreneur ou Franklin résumant : « Remember, that time is money…that credit is money[1] » ; ou bien avec l’histoire qui mène des Inclosure Acts aux Poor Laws Amendment Bill (1834) ; ou bien encore avec l’institution d’un droit de propriété sur les innovations, etc. L’origine du capitalisme est donc historiquement très problématique et demande par exemple de questionner ce que pourrait une activité marchande sans marché, ou bien une économie de marché sans « société de marché »[2].

 

2)Capitalisme productiviste. La seconde phase du capitalisme est l’industrialisation. Cette phase aussi est historiquement problématique, cependant il semble admis que l’industrialisation est un processus qui se joue en Angleterre à la fin du XVIIIe, et qui s’étend ensuite. C’est cette seconde phase qui constitue le capitalisme tel que Marx le décrit. Le capitalisme est un système industriel de production dans lequel le capital et le salariat sont les deux termes d’un seul et même rapport marchand, dans lequel le travailleur est dépossédé des moyens de production et où son temps n’est plus qu’une marchandise. Nous nommons productiviste ce capitalisme dans lequel la figure du consommateur n’est pas encore centrale : le prolétaire du XIXe siècle n’est pas encore un consommateur, puisque son salaire ne lui permet que de renouveler sa force de travail.

 

3)Capitalisme consumériste. Au début du XXe siècle, la consommation n’est plus réservée à la bourgeoisie : le prolétaire doit devenir un consommateur pour absorber les marchandises issues des énormes gains de productivité induits par le taylorisme et éviter la menace de la surproduction industrielle (Henry Ford) : il doit transformer sa force de travail productrice de marchandises en pouvoir d’achat. Le capitalisme productiviste, constamment menacé de surproduction, devient ainsi consumériste : la première préoccupation des industriels n’est plus de fabriquer mais de vendre. Ce modèle consumériste culmine après la Seconde Guerre mondiale (Trente Glorieuses) : « la voiture » fait alors système avec « la télé » (les marchés de masse supposent des médias de masse) qui fait système avec « le supermarché ».




[1]
Benjamin Franklin, Advice to a young tradesman, 1748

[2]Selon la distinction introduite par Karl Polanyi.