Tendances et faits dans la logique de la finance

Publié par adelepine le 9 Mars, 2006 - 15:54
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Rappel du rôle de la finance
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-       elle a pour vocations  : premièrement , celle de transformation  de l'épargne à court terme en investissement à long terme ' jusqu'à trente ans- et qui s'exerce désormais transnationalement au sein d'un champ financier mondialisé et multi-devises librement convertibles ; deuxièmement, celle de mobilisation de  la dette publique et privée en assurant une cotation sur les marchés des titres financiers représentatifs , basés sur la base d'un mode d'anticipation sur le futur ;

-          elle assure le fonctionnement des marchés financiers sur la base d'échanges sur un « droit » sur une part de richesse qui sera produite dans le futur , basé sur une logique d' « anticipations rationnelles » ; la « création de valeur »  sur le marché financier résulte d'une virtualité basée sur des prévisions  aléatoires et des primes de risques reposant sur des estimations elles-aussi aléatoires ;

-          elle permet aux investisseurs  de liquéfier à tout moment leurs fonds investis, compte tenu de l'aversion du monde financier pour s'engager irrévocablement à terme , ce qui nécessite une confiance des acteurs sur les prévisions permettant de justifier ces prix de marché , faute de quoi un retournement provoqué par un événement imprévu ou une révision des bases de prévisions sont susceptibles de provoquer une panique et une crise financière  .  La finance a donc pour rôle d'offrir en permanence une liquidité parfaite quelque soit les circonstances , de par la libre circulation des capitaux , les synergies que permettent les systèmes technologiques d'information, de calcul et de transmission, ;

-          elle favorise la spéculation des opérateurs en les incitant à utiliser des produits dits de couvertures de risques  pour des opérations virtuelles leur permettant d'anticiper des tendances leur permettant de réaliser des profits « financiers » , n'ayant rien à voir avec leur activité de base ; à cet effet la finance crée sans cesse des produits de plus en plus complexes leur permettant de « créer de la valeur », - cf. les produits dérivés ' techniques de couvertures de risques '.

 

LES FAITS

-          Des données : les résultats des entreprises, l'évolution des principales données macro-économiques de base :croissance du  PNB ; taux d'intérêt, balance commerciale, taux de chômage, taux d'endettement public et privé '..

-          Des constats : Instabilité des prix de marché , des cours de change, des cours des matières premières, surproduction, faiblesse de la demande 

-          Des nouvelles donnes : inventions, nouveau produit, nouveau concurrent, nouvelle réglementation,

-          Des évènements non prévus venant perturber des stratégies d'actions :

§        d'ordre financier : hausse ou baisse brutale d'un cours de change, de taux d'intérêt, crise financière , faillite d'une entreprise importante,

§        d'ordre non financier : décision ou événement politique non anticipé, grèves, soulèvements populaires, accidents, attentats, catastrophe naturelle ou écologique

 

LES TENDANCES OU L'ART DE PROVOQUER DES TENDANCES A MOYEN OU LONG TERME

SUR LA BASE DE SELECTIONS EVOLUTIVES DE DONNEES DE COURT TERME 

 

La théorie classique indique  que les marchés financiers  produisent une estimation pertinente des valeurs fondamentales ; cette théorie dite de l'efficience avait en outre l'avantage de considérer qu'elle auto-produisait  une allocation optimale des capitaux. La rémunération des capitaux devait intégrer une prime de risque, ce qui devait expliquer  les variations de prix par rapport aux fondamentaux sur la base des capitaux empruntés ou souscrits.

Keynes a le premier remis en cause cette analyse en proposant le concept de convention de croyances[1] reposant sur les anticipations déterminées par les acteurs du marché financier, laquelle repose sur la collecte présente des informations et leurs conséquences pour les anticipations de profit de l'acteur recourant au marché des capitaux ou au crédit.

Cette théorie introduisait l'importance de l'effet de mimétisme des acteurs du champ financier : les décisions se prennent non pas en fonction des conclusions de l'analyse des anticipations réalisées par le préteur ou l'investisseur, mais par la recherche des croyances [2] et conclusions des acteurs les mieux informés. Il est en effet plus important de connaître les positions de ces acteurs vis à vis du champ d'activité et des entités concernées que de se fier à des analyses qui ne correspondent pas aux conclusions des principaux décideurs présents dans le  marché .

Les principaux acteurs établissent une convention de croyances qui reste valable tant que les informations disponibles ne font pas modifier les bases de cette convention . Celle-ci est à la base de l'auto-réalisation de ces croyances puisqu'elle permet de justifier  des anticipations souvent optimistes dans la mesure où les marchés évoluent dans le sens voulu par la dite convention .

 

Ces conventions résultent en effet de croyance partagées par les analystes et les décideurs financiers des principaux établissements financiers transnationaux , lesquels font connaître largement ces opinions dans les milieux financiers afin d'être suivis ; en effet le critère prioritaire d'évaluation n'est pas la recherche des données économiques objectives sur le moyen ou le long terme mais ce que sera l'opinion des établissements financiers concernant ces actifs à très court terme concernant l'achat ou la vente de ces actifs ou la position de prêteurs ou non vis à vis de ces entités emprunteuses sur le marché. Cela est ce que l'on appelle le principe de la rationalité mimétique permettant aux acteurs financiers de s'assurer qu'ils suivent la bonne orientation sachant que quelque soit la caractéristique de ce placement ou de ce prêt le marché doit permettre de renverser la position à tout moment si besoin est .

Ces conventions démontrent qu'il n'y a plus de repères fondamentaux permettant de trouver un équilibre de marché et que ceux-ci peuvent être multiples et aléatoires ; aussi le libre fonctionnement de ces conventions provoquant des équilibres de plus en plus aléatoires et variables ne conduit pas nécessairement à un équilibre  en vue de permettre une allocation optimale des ressources financières.

C'est ainsi que les cours du Down Jones avaient augmenté de 360% de 1990 à 1999  alors que le PNB des Etats-Unis cumulé pendant la même période avait augmenté de 26,2% ; il ne peut dès lors être question de parler de krach en ce qui concerne la chute des cours , de 27% pour le Down Jones et de 50% en moyenne sur la période 2000-2002, mais plutôt d'un réajustement par rapport à une inflation du prix des actifs financiers dont la progression annuelle moyenne avait été de l'ordre de 20% dans les années 1990 . 

Cette perte de repères des milieux financiers quant à la pertinence de la valeur des actifs financiers a permis de voir au cours des années 2001 et 2002 les analystes se demander si les cours ne continuaient pas à être encore excessifs tout en prévoyant chaque année pour  l'année à venir une progression importante des cours'. En 2005, ils justifient la hausse des cours des actions sur les divers marchés financiers de 25 à 45% ; celle-ci s'explique en partie par la progression des résultats des entreprises qui avaient été anticipés, mais l'amplitude de cette progression bien supérieure en moyenne aux dits résultats n'inquiète nullement les milieux financiers , lesquels prévoient de nouvelles progressions pour 2006 [3]'..

Ainsi , après une sévère crise financière dont n'ont souffert que les petits porteurs , les milieux financiers ont su reconstituer depuis 2005 une nouvelle convention de croyance partagée qui fera monter les cours jusqu'à ce qu'un événement non prévu ' crise sur le dollar, faillite spectaculaire suite à la présentation de résultats falsifiés comme l'avait été l'affaire Enron aux USA ou l'affaire Parmalat en Italie, '.- corrige en partie les dits excès.       

 

Les marchés financiers cherchent à éliminer l'incertitude , en s'efforçant de forger un conformisme de pensée « non questionnante » cherchant à éliminer les remises en question, les conflits doctrinaux , malgré  les faiblesses des argumentations sur lesquelles cette croyance est bâtie . C'est ce que l'on appelle souvent l'école de la pensée unique permettant de rassurer les marchés , de refuser toute recherche susceptible de remettre en cause les fondements d'une axiomiatique « n'ayant aucune alternative possible ».

Cette croyance perdure sans que cette axiomiatique puisse reposer sur des critères objectifs ou scientifiques de causalité  empiriquement éprouvés ; ces critères évoluent d'ailleurs au gré des circonstances afin de permettre les ajustements jugés conformes aux intérêts des agents financiers, lesquels ont un effet auto-réalisateur . Les facteurs de causalité évolueront donc en permanence , puisque ce qui était interprété la veille comme favorable pourra être déclaré comme défavorable . Cette indétermination des critères de causalité et le pouvoir auto-réalisateur des agents financiers  sont des facteurs d'amplification des erreurs possibles de politique économique ; une politique erronée perdurera pendant un temps jusqu'au moment où ses excès entraîneront une révision de croyance dont les effets pourront entraîner une crise « auto-destructrice » pour l'économie et les agents  sociaux .

 

A.. de L'Epine                                                    



[1] J.M. Keynes, Théorie Générale de l'emploi et de la monnaie, Payot, pp.164-165  « nous supposons, en vertu d'une véritable convention, que l'évaluation actuelle du marché,'.est la seule correcte, eu égard à la connaissance actuelle des faits qui influeront sur le rendement de l'investissement, et que ladite évaluation variera seulement dans la mesure où cette connaissance sera modifiée ».

[2] cf. André Orléans,  le pouvoir de la finance, Odile Jacob, 1999 :

p.17 « ce qui  importe c'est la manière dont le prix évoluera demain, ce sont les croyances du marché »

p.34 « Le marché est une organisation '.qui produit de la liquidité »

p.84 « l'autoréférentialité des interactions fait émerger une opinion commune par le seul jeu de l'autoréalisation des croyances, non pas parce qu'elle est intrinsèquement vraie , mais parce que tout le monde croit qu'elle est vraie ».

[3] cf. extrait de la lettre d'information de la Banque de Gestion Privée Indosuez de Janvier 2006 : « les Etats-Unis vivent certes  au-dessus de leurs moyens mais le reste du monde semble toujours prêt à financer leurs excès. C'est ce que les Américains  appellent le « SYSTEM », un jeu coopératif où tous les acteurs s'estiment gagnants : les Etats-Unis parce que les consommateurs peuvent dépenser toujours davantage en repoussant les limites de l'endettement ; l'Asie parce qu'elle peut produire plus et ainsi offrir des emplois à une main d''uvre abondante ; les pays producteurs de matières premières parce que les prix sont tirés vers le haut.

Cette situation nourrit la liquidité mondiale'ce qui rend soutenable la dynamique d'endettement qui supporte l'édifice'. »