Cher Monsieur STIEGLER

Publié par dpastor le 18 Aout, 2010 - 17:19
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Cher Monsieur STIEGLER,

 

Alors que je contemplais la vaine agitation d'une société surconsommante en biens et en services, alors qu' effaré je constatais les irréparables dégâts commis sur l'environnement et les hommes par cette morbide attitude primitive, une grande lassitude intellectuelle me gagnait. Je ne distinguais ni la finalité ni les causes profondes de cette incommensurable gâchis. Pas plus que je ne prenais pleinement la mesure des effets destructeurs de cette corruption des âmes et des esprits, les miens compris bien sûr.

Emporté par un maelström consumériste psychédélique, je m'étais laissé aller depuis des années à la douce torpeur provoquée par le désir toxique de la dernière bagnole à gadgets ou de l'ultime frigo  en vogue, confit dans les « nouvelles technologies », capable de tout gérer dans la maison y compris ma vie et mon réapprovisionnement en bières trappistes. A l'insu de mon plein gré, ça va sans dire. Tout ces objets demeurant irrémédiablement inaccessible sauf si l'on possède les moyens financiers adéquats évidemment.

Finalement excédé par un cycle infernal de faux besoins rarement comblés et plus sûrement insatisfaits, de désirs entretenus par les légions des disciples de Bernays, clones sans âme de l'infâme manipulateur, l'essentielle envie de nourrir différemment  mon esprit se faisait entendre chaque jour plus fortement. Tel un cri d'expressionnisme munchien.  

Mais, la vie est parfois faite de toutes petites choses, d'occasions et de rencontres fortuites et chaleureuses qui provoquent des virages surprenants et propices à une rupture salutaire. Par bonheur donc, en consultant distraitement un numéro de « Marianne » dont j’ai depuis oublié la une, j'ai pris connaissance de l'existence d'Ars Industrialis.

Vous dire toute l'admiration que je ressens pour vos écrits et vos interventions dans les médias me serait difficile tant votre action s’est révélée formatrice de ce que je percevais confusément et depuis si longtemps. A sa manière, votre propos contribuait à libérer ma plume, provoquant enfin un plaisir qui depuis ne se démentait nullement : celui d'écrire tout simplement. Ouf! Il était plus que temps.

Ainsi donc, je viens de consulter votre article intitulé « La jeunesse est l'avenir de l'homme ». Et pour ne rien vous cacher, il m'interroge à plus d’un titre.

Dans le premier paragraphe, vous dites que la consommation à outrance semble dominer notre époque. Vous employez l’expression « semble dominer » en ce sens que les jours de la tyrannie  consumériste seraient désormais comptés. Personnellement, je ne partage pas cette vision optimiste de l’effondrement à court terme de ce modèle malsain. Effondrement que par ailleurs j'appelle de mes voeux.

Bien au contraire, les peuples des pays dits « émergeants » se ruent sur la consommation et ses épouvantables dérives sitôt que l’occasion leur en est offerte. De même, vous dites à ce sujet que quelque chose se termine. Peut-être, mais pas pour tout le monde. La Chine se goinfre de biens et de services. L’Inde lui emboîte le pas, et le Brésil, et bien d’autres encore… Le modèle capitaliste et son pendant consumériste me paraissent au contraire bien vivants et avoir encore de beaux jours devant eux. Jours qu’ils mettront pleinement à profit pour finir de ravager joyeusement le Monde.

Poursuivant ma lecture, je demeurais interdit devant l’effroyable cynisme de cette agence de publicité nord américaine qui, dans les années 50, écrivait sans la moindre honte que « ce qui fait la grandeur de ce pays (les USA), c’est la création de besoins et de désirs, la création du dégoût pour tout ce qui est vieux et démodé. » Je ne connaissais pas cette phrase et ce qu’elle implique d’attitudes et d’ingratitudes. J'ignorais que la fabrication de procédés de manipulation et d'asservissement pussent grandir un pays et lui garantir un statut de puissance internationalement reconnue. Je partage sans réserve votre aversion pour cette horreur qu'est la destruction du lien intergénérationnel.

Cependant, sur la position que vous tenez à l'égard des mineurs, je m'élève contre une partie de vos propos. En effet, vous exprimez que les pouvoirs publics font des mineurs délinquants, « des boucs-émissaires en supprimant  l'excuse de minorité ». Ce faisant, on pourrait entendre que cette excuse a été purement et simplement balayée.

Or, il n'en est rien. En effet, en son article 5 de la loi sur la récidive, modifiant l' Ordonnance de 1945, la loi déclare applicable aux mineurs récidivistes de 13 ans ou plus, la règle des peines plancher réduites de moitié conformément au principe de l'excuse de minorité dans les cas de première récidive. Cette nouvelle disposition sur  l'excuse de minorité a été strictement encadrée par le législateur avant que d'être adoptée par le Parlement. Ce même législateur précise que seule une peine peut constituer le premier terme de la récidive. Les mesures éducatives prévues par l' Ordonnance n'étant pas prises en compte pour définir la récidive légale. De plus, la juridiction doit motiver sa décision d'écarter l'excuse de minorité. Les mineurs de plus de 16 ans continuent donc de bénéficier de cette fameuse excuse de minorité.

On le voit, si la loi s'est durcie, elle n'en est pas pour autant devenue aveugle et brutale. De plus, le sourcilleux Conseil Constitutionnel la déclarait conforme à la Constitution.

On peut néanmoins soupçonner sans prendre de risque la portée éminemment politique d'un texte visant à satisfaire un électorat plus enclin à la répression.. Mais là encore, il serait réducteur de ne voir les choses que sous cet unique éclairage. Effectivement, il n'en est pas moins exact qu'en raison des dérives inacceptables liées à la toxicité d'un consumérisme omniprésent que vous dénoncez avec force et justesse, une petite partie de la frange délinquante de notre jeunesse est devenue au fil du temps extrêmement violente. Néanmoins, elle est parfaitement au fait des souffrances qu'elle inflige aux victimes. Ces actes d'une horreur sans nom sont commis envers les plus faibles et concernent souvent les femmes. Ici, une jeune fille brûlée vive dans un local à ordures. Acte qui a vu son bourreau revêtir le statut du héros de quartier. Là, une autre dans un bus marseillais incendié... Je n'irai pas plus loin. 

Cela étant, et pour en revenir à votre texte à l'évidence humaniste, par la victimisation généralisée des populations défavorisées, des parents et de leurs enfants obligatoirement sinistrés parce qu'en proie aux tourments de désirs consuméristes, faisant face à une répression d'état atteinte de cécité  et de surdité, vous donnez à cette humanité consommante une part d'animalité, qu'elle ne possède pas, parce qu'exonératrice de responsabilités. Car je me demande où est passé le libre arbitre, la capacité de choix, le discernement dont finalement nous héritons tous et qui peut nous transcender.

Alternative à laquelle j'ai moi-même été confronté. Issu d'un système qui ne me convenait pas, en échec scolaire constant, j'aurais pu mal tourner. La vie pour laquelle j' ai opté m'en a préservé. J'étais pourtant au coeur de toutes les tentations.

 

Ce faisant, un évident pessimisme transparait dans cette partie de « la jeunesse est l'avenir de l'homme ».

 

Mais sans doute vos écrits relèvent-ils des réactions du militant qu'à une époque vous fûtes. Qui pourrait vous en blâmer ? Certainement pas moi qui ai baigné dans un monde ouvrier fier de sa condition, dur au labeur mais peu ouvert sur  le monde.Pas le temps, pas les moyens!

 

Ceci dit, les derniers éléments de votre libelle réinjectent de l'humanité. Cette société qui verra peut-être l'agonie du capitalisme (puissions nous y assister) me semble porter les ferments de quelque chose de plus humain, plus responsable de ses actes, plus précautionneux et attentif de son environnement.  

 

Je vous remercie Monsieur STIEGLER d'avoir bien voulu porter votre attention sur ce billet. J'ose espérer qu'il ne vous aura point froissé. Je m'en voudrais.

A bientôt.

PASTOR D.

Cher monsieur Pastor, Je

Cher monsieur Pastor,

Je pense que le hiatus vient ici de ce que vous avez une vision de spécialiste du droit (c'est l'impression que j'ai à vous lire), ce que n'a pas le citoyen moyen (ni le mineur, citoyen en devenir). Ce que l'immense majorité des gens ont entendu, ont compris, c'est qu'effectivement, l'excuse de minorité était affaiblie. Nous sommes ici dans le symbolique, et, en matière de civilisation, c'est ce qui compte plus que la réalité des choses, plus dure et plus longue à apréhender.

Je vous renvoie aussi à l'excellent article de Christian Fauré, Bétise et marketing.

Merci Monsieur Olivier G...

...De cet éclairage. Un autre angle de vision ne peut nuire à la compréhension d'un sujet quel qu'il soit.

Je me rends de ce pas consulter l'article que vous m'avez recommandé.

Je vous ferai part de ce que j'y aurai puisé. Vu le titre, je ne devrais pas être déçu.

Bien à vous.

Pastor D.

Je viens de lire l'article sur le marketing et la bêtise. Je suis décomplexé. Je vais pouvoir me détendre un peu....

Merci.

Les journalistes ne croient pas les mensonges des hommes politiques, mais ils les répètent, c'est pire.

COLUCHE