association internationale pour une politique industrielle des technologies de l'esprit
(texte remis en ligne après la panne du site d'Ars qui l'avait effacé)
Dans la presse, les médias ou le cinéma, le terme schizophrénie est souvent utilisé à tort. Est alors dite schizophrène toute personne tenant des propos participant de logiques opposées engendrant des comportements contradictoires et dissociés. Par exemple, dans les débats politiques du moment, entendre une personne reconnaître qu’il ne faut pas donner d’allocations familiales aux foyers les plus riches, pour l’instant d’après l’entendre s’élever contre cette remise en question d’un acquis social sacro-saint qui doit ne pas être touché ! Ou encore, entendre une autre considérer que certains retraités touchent beaucoup trop, pendant que bien des jeunes dans l’emploi sont désargentés pour construire leur vie et faire famille, pour l’instant d’après l’entendre dire que «c’est inacceptable ! » que l’Etat prenne un sou de sa retraite ! Protestant ainsi, elle s’identifie aux petits retraités qui vont être injustement spoliés, quand bien même il n’est pas question que ces mesures politiques nouvelles touchent les petits retraités, et quand bien même l’individu qui hurle ainsi au scandale est matériellement aisé, etc. Je pourrais multiplier à l’infini des exemples de ce genre… A chaque fois sont juxtaposées deux attitudes différentes que la personne ne met jamais en rapport ; l’une résulte d’un élémentaire bon sens, d’un constat raisonnable et juste ; l’autre d’une réaction de rejet face à tout changement perçu comme une mise en insécurité majeure, comme une perte de possession et de protection personnelle. On veut le changement sans le changement ; et on veut le beurre et l’argent du beurre. D’où ce terme de schizophrénie utilisé fréquemment pour rendre compte de ce clivage idéologique engendrant des comportements et verbalisations contradictoires inconciliables, engendrant de la pensée confuse. Pratiqué autant par les journalistes que par le citoyen lambda, ce grand écart mental communément admis, est souvent nommé schizophrénie et accompagné d’un petit sourire mignon, mi-entendu, mi-indulgent, comme résigné. Ce clivage de l’intelligence accepté comme une fatalité semble ne choquer personne, alors qu’il faudrait mettre chacun devant ses contradictions et l’amener à se positionner hors de la dissociation s’il veut être cohérent, conséquent, sensé et audible. D’où le sentiment que j’éprouve souvent à l’écoute de mes contemporains d’être happée dans une pétaudière générale.
Il importe de redonner au terme de « schizophrénie » son sens pour ne plus l’utiliser à tort; il provient du grec « σχίζειν » (schizein), signifiant fractionnement, et « φρήν » (phrèn), désignant l’esprit. Il doit être compris au sens de fractionnement de l'esprit avec le réel et non pas comme une dissociation de l'esprit ou des comportements somme toute banale. Comme on le voit, la dissociation est partagée par tous. Elle rend compte de nos facettes multiples et souvent contradictoires. Elle n’est pas une maladie. Elle résulte des parties primaires infantiles et des parties secondaires évoluées qui coexistent en chacun côte à côte parce que la personne ne les met pas en rapport conflictuel pour trouver la position ou la pensée la plus juste.
Les parties primaires au sein de l’individu servent ses intérêts étroits, ceux d’ego en soi. Leur logique est égoïste : en leur emprise, ego mené par ses pulsions et ses émotions vise en priorité à établir sa domination, à assurer sa sauvegarde, son plaisir le plus grand, sa satisfaction immédiate, sa jouissance sans souci des conséquences de ses excès égoïstes. A l’inverse, les parties évoluées en chacun sont guidées par des valeurs transcendant l’ego, valeurs inspirées par l’être relationnelle qui est aussi en soi telle que le sont la justice, le respect, l’équité, la fraternité. La volonté de modération par souci de l’autre et de la vie prend alors le pas sur l’égoïsme et l’intérêt individuel. Autant nos parties primaires sont sans vergogne, s’accommodant de tous les petits ou grands arrangements servant notre intérêt étroit, autant nos parties évoluées ne sauraient brutaliser, mentir, tricher, détruire sans que la culpabilité éprouvée alors par la personne vienne poser son holà, la faisant limiter elle-même la malfaisance de son ego.
Pour en revenir à l’actualité du moment, on peut entendre de façon insistante Monsieur Cahuzac être traité de personnage schizophrène, comme s’il était un grand malade, un anormal, alors qu’il a tout simplement maintenu dissociées ses parties primaires et ses parties secondaires évoluées, ce qui est un signe d’immaturité et non de maladie. Le clivage mental peut aussi produire des choses très curieuses. Par exemple, couper une histoire personnelle en deux par commodité : ainsi ce Monsieur peut penser que celui d’avant, le médecin ayant un compte en Suisse, n’est plus l’homme politique qu’il est devenu d’aujourd’hui. Il fut dit aussi, de tel autre personnage politique : « C’est Docteur Jekyll et Mister Hyde », sa duplicité soudain révélée semblant participer de quelque monstruosité rare, alors qu’elle est tellement partagée par nos contemporains se complaisant dans l’immaturité et l’irresponsabilité.
Une personne adulte aspirant à être responsable se doit de mettre en rapport ses parties primaires avec ses parties évoluées, ce qui permet à l’égoïsme d’être contenu dans les limites qu’imposent les valeurs de justice et de respect, ce qui permet aussi à l’individu de s’élever alors au mieux de ses potentialités évoluées suffisamment libre de l’infantile qui trop souvent les aliène. Personne ne peut agir en adulte responsable digne de ce nom, s’il ne fait pas en permanence ce travail avec soi-même de réajustement de son égoïsme par souci de justice. Conjointement, il nous faut parfois l’aide d’un ami ou d’une autorité pour être stoppé lorsque l’on s’égare dans l’abus de pouvoir sans le voir ; d’où l’importance de savoir compter sur autrui pour qu’il fasse contre-pouvoir indispensable à limiter notre pouvoir s’il devient abusif.
Le clivage et la dissociation (la schizophrénie comme il est dit à tort aujourd’hui) nous permet d’éviter ce combat avec soi-même vecteur de modération et de respect. Aucun n’est bon ou méchant, ordure ou pur. En matière de moralité, la personne humaine ne saurait être bonne ou mauvaise ; tout dépend de ce qu’elle fait, du combat qu’elle sait mener avec soi-même ou pas, et de la place qu’elle sait ménager à autrui pour que la justice et le respect soient sauvegardés en leurs échanges. Tout dépend aussi de ce qu’elle fait comme acte de réparation et de reprise du mal que son ego commet par égoïsme et omnipotence défensive. C’est ainsi qu’une personne qui hurle haine et injure, traitant les autres de « salauds » tout en se posant assurément en pur, s’avère menée par ses instances primaires. En d’autres termes, tout un chacun se comporte de façon immorale lorsqu’il laisse régner son immaturité, omettant de faire ce travail de rectification du mal commis par ego. Un de nos devoirs humains essentiels consiste donc à sans cesse nous libérer de cette immaturité cause de nos excès égoïstes, excès préjudiciables tant à autrui qu’à la vie. Une société évoluée ou populiste résulte de l’état d’esprit mature ou immature des membres qui la composent.
L’insistance à parler communément de schizophrénie lorsqu’il s’agit en fait de dissociation banale peut être d’un grand intérêt si, à chaque fois que le mot est prononcé, on fait se rapprochement : il est le signe d’un clivage, lui-même signe d’immaturité mentale et comportementale. Cet éclairage peut contribuer à libérer notre libre-arbitre d’une incompréhension préjudiciable à une amélioration de nos comportements vers davantage de liberté et de maturité responsable.