association internationale pour une politique industrielle des technologies de l'esprit
Ma démarche réflexive (que j’ai poursuivi à travers 14 ouvrages) se situe entre psychologie et philosophie, une philosophie qui n’est pas un système mais qui tâche de dire comment se conduire..., en d'autres termes comment se gouverner soi-même en relation avec autrui et notre environnement dans un souci de justice et de respect.
Les années d’écritures passant, je me suis aperçue que ma pensée se tenait dans le prolongement de celle d’Albert Camus sur le plan philosophique ; du côté de la psychanalyse, je rejoins celle de Donald Winnicott, ce que je savais pertinemment puisque je m’en réclame depuis le début. Dans les deux cas, je crois apporter ma petite touche supplémentaire. J’approfondis à ma façon la conception camusienne de notre nature double pour nous permettre de mieux appréhender nos difficultés existentielles et, grâce à cette compréhension, de mieux assumer notre travail de vivant aux prises avec les dualités. Ma théorie de l’a-pulsionnelle et celle du pulsionnelle, reprend une des approches de Donald Winnicott (le « féminin » et le « masculin » en chacun), l’approfondissant sur le plan conceptuel ; cela permet d’éclairer nouvellement notre condition duelle et l’articulation des différences qu’il nous incombe de faire la vie durant pour nous tenir « au milieu », non dissociés, nous gardant ainsi des extrêmes et des absolus semeurs de guerres.
Le sujet central de mes écrits est le pouvoir, ses abus qui nous rendent malades, et l’amour-respect au contraire qui donne force et guérit.
Dans mes ouvrages publiés, j’examine les rapports de pouvoir à l’œuvre dans nos relations intersubjectives (étroites et larges), mais aussi en notre monde intérieur, considérant les deux énergétiques qui nous animent (économie a-pulsionnel et pulsionnelle), également le rapport des forces entre nos parties primaires et secondaires, ainsi que celui qui se joue entre notre être (profondément relationnel) et notre ego potentiellement égoïste. Conjointement, j’analyse la destructivité humaine sous ses multiples aspects. Pour l’essentiel, je pense que notre violence prend sa source dans les parties primaires de notre ego, parties infantiles égoïstes et omnipotentes. Cette omnipotence humaine est d’autant plus dévastatrice que, contrairement aux autres races, nous avons pris sur notre environnement un pouvoir immense lié à nos savoirs faire et à nos technologies hyper performantes. Nous sommes nocifs à cause de ce pouvoir démesuré que nous exerçons avec déraison, parce que nous ne veillons pas en permanence à le limiter par une sagesse fruit de l’éducation et de la culture.
J’estime même que nous en sommes à l’enfance de l’humanité. Dans l’histoire, la notion d’individu est très récente. Jadis, nous appartenions au groupe dont nous participions, les intérêts personnels étant très peu considérés, voire pratiquement pas pris en compte. Notre naissance comme individus date pour certains de cinq millénaires avant J-.C., pour d’autres, elle correspond à la naissance du Christ, pour d’autres encore à la fin du moyen-âge. Quoiqu’il en soit, à travers les siècles, il y eu des avancées et des reculs en matière de liberté et de responsabilité individuelles ; mais la reconnaissance de notre différence, qui suppose une affirmation de notre personne en son originalité créative, est d’une grand nouveauté. Dans nos contrées, les droits de l’homme (encore plus ceux de la femme) et de la personne sont des avancées très récentes. Sur le plan civilisationnel, nous serions donc très près de la naissance de cette conception de l’individu comme entité séparée et de la valeur donnée à notre individualité ; c’est pourquoi, si proche de cet avènement, nos comportements resteraient encore trop souvent infantiles, ressemblant à ceux de jeunes adolescents ivres de leur autonomie nouvelle, et s’éprouvant comme invulnérables tellement leur énergie est puissante. Ce stade juvénile de notre évolution collective serait une des causes rendant l’évolution psychoaffective de l’individu problématique, car elle le conforterait en ses parties infantiles sans le porter suffisamment vers sa maturité en lui montrant la voie à emprunter pour grandir. D’où cet individualisme actuel, qui fait que la personne ressemble bien souvent à un enfant exigeant, voire tyrannique, qui veut tout, tout de suite, qui veut la liberté sans les limites, qui revendique ses droits mais sans les devoirs auxquels il se doit conjointement. Les pouvoirs régnant qui veulent durer en leurs privilèges politico-financiers ont parfaitement compris le profit qu’ils peuvent tirer de ces tendances juvéniles en nous prégnantes. En une trentaine d’années, avec notre complicité aveugle et irresponsable, ils ont réduit notre monde à la seul valeur « consommation » pour mieux nous soumettre à la pulsion la plus infantile qui soit : l’oralité. L’empire qu’exerce la consommation sur chacun n’est que cela : un régime fondé sur l’exploitation d’une pulsion infantile nôtre, la pulsion orale. D’où cette impression de collaboration générale, car tous nous sommes aux prises avec l’oralité, devant apprendre à la contenir en ses excès destructeurs (exercer quelque pouvoir que ce soit au mépris d’autrui et de la vie est une forme d’emprise possessive dévorante qui participe de cette oralité). Tous nous craignons le manque et le vide et, en réaction, tous nous sommes potentiellement avides. En d’autres termes, les pouvoirs opportunistes et cupides nous dissuadent de contenir nos pulsions primaires ; au contraire, ils les activent en permanence pour que nous restions soumis à elles, et jamais libre d’elles. Ils ne veulent surtout pas que nous grandissions. Ils nous entretiennent donc dans l’égoïsme, l’omnipotence, et tous les excès propres aux enfants mal élevés ; et ils camouflent ces violences en les innocentant comme s’il s’agissait là de plaisirs simples et de caprices enfantins. Tant que l’on rigole et s’amuse, c’est que tout cela n’est pas grave !
A ces deux réalités civilisationnelle et marchande s’en ajoute une troisième qui amplifie en nous les méfaits de l’infantile : le manque de conscience que nous avons de notre condition duelle, ainsi que le manque de compréhension du travail individuel essentiel que nous devons faire en permanence sur nous-mêmes pour nous comporter de façon évoluée et responsable. Ce travail consiste à se dégager régulièrement de notre égocentrisme lorsqu’il devient malfaisant en traversant le stade de l’inquiétude, laquelle traversée nous conduit à ce qu’il y a de plus évolué en nous : le souci de l’autre et de la vie, souci que notre esprit responsable sait rendre prioritaire par rapport à notre intérêt personnel étroit. C’est ce souci transcendant nos égoïsmes qui nous porte à défendre les valeurs que nous estimons les plus importantes parce qu’elles sont à même de donner à la vie humaine un sens au sein de l’univers. Comprendre ce travail qu’il nous incombe de faire pour contenir et de dépasser nos égoïsmes nocifs et apprendre à le faire, ce travail (autant intersubjectif qu’intrasubjectif) en toute connaissance de cause, est la grande tâche civilisationnelle qui nous attend, tâche de grandissement qui pourra nous faire sortir de l’enfance de l’humanité pour aller plus avant vers notre maturité responsable.
Entre autres, il nous faut comprendre pourquoi le pouvoir est à ce point corrupteur, transformant, par exemple, un communiste aux idées généreuses en tyran. Première évidence : le pouvoir séduit potentiellement tout homme, et si la personne n’a pas conscience de ce qui la conditionne la portant au bien comme au mal, non seulement elle ne peut pas se gouverner pour s’améliorer, mais ses parties évoluées sont invariablement balayées par ses parties primaires. Si nous ne comprenons pas le pourquoi du comment de notre malfaisance potentielle, toutes les avancées que nous avons faites du côté de l’évolué (la liberté, la démocratie, etc.) seront invariablement reperdues. Il ne s’agit pas de refaire le monde, « mais d’empêcher qu’il se défasse » avait dit Albert Camus, en défendant les valeurs évoluées toujours fragiles, toujours menacées. Tant que nous ne saurons pas mieux appréhender notre nature double, et le travail qu’il nous revient de faire pour nous élever en permanence hors de nos parties infantiles égoïstes et omnipotentes, le même genre de régression et de tragique désillusion s’abattra de nouveau sur nous. Et que les plus cultivés ne disent pas ici qu’ils sont d’emblée exemptés de se livrer à ce type de travail d’auto-rectification permanente, qu’ils l’ont déjà fait, et qu’ils sont assurément du côté du bien, du bon côté une fois pour toutes, responsables à l’évidence. C’est ce type d’auto-satisfaction qui éloigne le plus sûrement l’individu de son devoir, et de cette inquiétude nécessaire qui lui permet de rester toujours vigilant quant à ce qu’il fait et aux conséquences de ses actes. Les sages Chinois, dès l’époque de Confucius, enseignaient cet état d’esprit inquiet essentiel à favoriser un comportement juste et respectueux, un comportement libéré de l’égocentrisme. Si nous ne sommes pas d’éternels résistants contre le mal d’omnipotence, (d’égoïsme, de narcissisme, d’orgueil, d’idolâtrie, etc.) qui nous ressaisit en permanence, nous collaborons avec le tyran du dehors ou du dedans, aujourd’hui avec la tyrannie du fric et avec l’enfant despotique qui demeure en chacun de nous.
Puisque de tous les vivants, l'homme est celui qui s'est octroyé un pouvoir immense sur son environnement, et qu’il il ne se prive pas de l'exercer souvent abusivement, que par conséquent sa capacité de nuire et de détruire est unique dans le monde animal, il est donc nécessaire qu’il se crée culturellement des contre-pouvoirs institutionnels et personnels destinés à poser des butées à ses excès d’emprise et de domination.
Il est commun de dire que la Démocratie est un régime où chaque pouvoir doit rencontrer potentiellement un contre-pouvoir, pour en quelque sorte être ramené à la mesure, à la justice et au respect, en d’autres termes pour ne pas devenir tout puissant. Il en est de même au niveau de la personne en relation, tant dans la sphère privée que publique. Pour cette raison, tout individu a donc le devoir non seulement d’opposer son pouvoir au dominant qui viendrait l’aliéner le privant de sa liberté créative personnelle, mais il a aussi le devoir d'opposer à son propre pouvoir un contre-pouvoir ; en d’autres termes, il lui faut combattre sans cesse avec lui-même pour se ramener au respect, lorsque son omnipotence, son égoïsme, ses humeurs, ses émotions et ses préjugés l’égarent loin de la justice et du respect. Ce travail d’élévation hors du mal, certains savent le pratiquer sans le remarquer ni se le dire, comme Monsieur Jourdain faisant de la prose sans le savoir. Leur éducation et leur esprit cultivé leur a fait intérioriser la nécessité de se gouverner soi-même vers le respect. Leur vigilance pourtant n’est pas sans faille, leur humaine condition les portant potentiellement au mal de domination. Même pour ceux-là, mieux savoir ce que l’on fait et pourquoi, permet de mieux le faire encore ; le savoir sert alors à se modérer en contenant ses excès comportementaux préjudiciables au respect des équilibres de pouvoir ; le savoir peut servir aussi à mieux pratiquer ce dédoublement salutaire de soi, vecteur de nos comportements évolués, d’être en quelque sorte un résistant de chaque jour pour la justice.
En résumé :
Considérant que la maladie du pouvoir nous affecte chroniquement, mon souci est d’essayer d’ouvrir un chemin de pensées à pratiquer pour nous donner les moyens intellectuels et pychoaffectifs de dépasser la guerre des ego dans laquelle invariablement nos meilleures avancées s’égarent et échouent.
Si nous voulons maintenant et en priorité soutenir les valeurs évoluées de justice, de respect et de fraternité, il nous faut donc relancer et favoriser l’évolution psychoaffective de l’individu et de sa société. Pour œuvrer dans ce sens, nous avons besoin d’une nouvelle approche philosophique et psychologique au plus près de la vie, approche porteuse de connaissances susceptibles de nous donner une lucidité éthique propre à nous faire endosser la vie durant un devoir tout personnel : celui de s’auto-éduquer en permanence pour pouvoir pratiquer le stade de l’inquiétude, dit aussi stade du souci ou de la responsabilité.
Nous pourrons renouer avec le progrès, si nous travaillons à remettre au premier plan la dimension éthique qui porte nos actes et les sous-tend pour. L’âge adulte de l’humanité est à notre portée, à conditions que nous ne parvenions à relancer notre évolution psychoaffective, individuelle et collective, apprenant à grandir au point de sortir enfin de l’enfance de l’humanité. Si nous n’y arrivons pas, notre irresponsabilité infantile va précipiter l’extinction de notre race (et de bien d’autres à nos côtés).