association internationale pour une politique industrielle des technologies de l'esprit
Ce texte a été écrit à la suite de la journée d'Ars Industrialis sur l'éducation et porte sur la question : l'actuel gouvernement est-il intéressé à entendre les propositions que lui fait la société civile sur des questions qui la préoccupent, comme l'éducation, la santé, la télévision, etc. ?
Pour donner suite aux réflexions sur l’éducation du 6 décembre 2008 au Théatre de la Colline, et sans entrer directement dans les propositions concrètes, ma question est : des propositions telles que celles qui ont été énoncées hier peuvent-elles encore avoir un poids sur un gouvernement et face à l’inertie conjuguée d’un Etat qui appuie sa domination sur les formes de l’industrie technique, en particulier des technologies de communication, et qui sait l’usage liberticide qu’il pouvait en faire ? Raison pour laquelle je ne discute pas ici des propositions qui ont été énoncées, dont certaines ne demanderaient plus qu’à être mises en œuvre, mais de ce préalable. Et si cette collusion est avérée, dans ce cas, pour combattre les formes de techniques dont nous voyons les effets destructeurs, comment établir des formes de démocratie parallèle, des groupements de citoyens qui ne seraient pas des formes de pouvoir anticonstitutionnelles (milieux associés, fonctionnement coopératifs de citoyens, voire lobbies…) pour faire respecter des propositions telles qu’elles ont été énoncées, et ne pas compter sur l’Etat actuel… des choses ?
Ars Industrialis cherche avec raison les causes de la destruction de l’humanisme dans les formes de techniques caractéristiquent de l’époque et les analyse comme 1) passivantes 2) captatrices d’attention 3) captatrices de libido 4) destructrices du goût. Dans cette critique, il faut entendre non une censure globale ni particulière de tout jeu virtuel, de toute production d’image, du web ou encore du téléphone pris comme support de sollicitation permanente (qui dépasse son strict emploi comme téléphone), il faut entendre des techniques qui font l’économie de l’autre pour guider l’enfant dans son plaisir du jeu ou dans son effort de comprendre, d’apprendre. Voici des sollicitations qui – pour ne parler que des tecnologies de communication – se passent de l’autre comme autre d’où recevoir une parole et à qui adresser en retour la sienne. Qui laissent seul face à sa plateforme, et même dans ou face à un réseau. Et le psychisme est formé et dépendant de certaines de ces techniques, en particulier celles qui agissent directement sur son rapport à l’autre, sur sa parole et sa pensée.
Pourquoi un Etat ferait-il un usage liberticide de ces techniques qui agissent sur l’esprit et la pensée ? A lire presque chaque jour les preuves les plus éclatantes dans la presse, certains en doutent encore. Rappelons donc, pour eux, que le fichier Edvide est paradigmatique de cette collusion, dans la mesure où il est le produit d’un calcul d’ingénieur voulant maximiser les techniques informatiques et d’un acquiescement, d’un empressement, ministériel à valider ces listes au mépris le plus total des libertés privées inscrites dans la Constitution. Non seulement dans leur mépris, mais pour leur suppression – puisqu’il revenait à pouvoir inquiéter toute personne socialement impliquée et responsable. N’est-ce là que zèle de ministres et de quelques administrateurs ? Plus que cela. Ce fichier est paradigmatique de l’action de l’Etat dans la mesure où ce dernier ayant à peine reculé sur la constitution de ce fichier – sur la pression de la Ligue des droits de l’homme et du collectif Non à Edvidge –, il revenait en force dans un appel d’offres du ministère de l’Education par lequel il affirme vouloir confier un marché très similaire à des entreprises capables de déterminer les leaders d’opinion selon des méthodes de surveillance d’opinion à plein temps.
Que faire donc contre cette collusion nourrie par un Etat qui ne représente plus cet idéal ni la société qui lui déléguait dans l’ensemble le rôle de gardien de la volonté collective et de protection des libertés individuelles ? Comment peut-on penser qu’il aurait un intérêt à mettre en lumière, dans les problématiques d’éducation et ailleurs dans le corps social, les effets pervers et liberticides des nouvelles technologies ? Un Etat qui n’est plus du côté de ceux qui tendraient à rétablir l’équilibre malmené du rapport à l’autre. En cela, il ne fait pas que démissionner, face à une tâche trop lourde, comme figure symbolique elle aussi mise en cause dans sa légitimité par ces techniques qui se passent aussi bien de lui que d’une réflexion ou d’une transmission de savoir avec un professeur. Qui se passent de tout effort citoyen, comme de tout ce qu’elles peuvent contenir comme mémoire, comme textes, comme musique. Qui ne pensent pas et qui ne votent pas non plus. Mais qui, par contre, aident à faire voter…
Mais sans doute certains sont-ils encore trop imprégnés – pour se représenter dans leur âme et conscience un Etat liberticide –, trop imprégnés de la culture humaniste qui est la nôtre. Une culture née avant le monothéisme et qui, bien plus tard, devenue laïque, a eu autant de force qu’une religion, au point d’empêcher les esprits de ne pas voir l’Etat comme un garant de cet humanisme. Comme le garant d’une croyance selon laquelle le politique sert le collectif. Pourtant, dans cette même culture, il y avait aussi quelques auteurs négligés et que l’on devrait rappeler. Machiavel, dont la pensée a été minimisée, comme s’il était une sorte de dramaturge politique à la Shakespeare, ainsi que La Boétie, dont le Discours sur la servitude volontaire anticipe sur des constats que nous pourrions refaire dans un monde où les nouvelles technologies imposent une violence nouvelle de l’ordre de la propagande tout en stimulant l’apparente liberté de l’individu, et prouvent que ce dernier est capable d’appeler de ses vœux la violence d’un pouvoir. Aujourd’hui, les intérêts privés ont eu raison de l’Etat et ont aussi peu à peu raison de cet humanisme dont on n’est pas certain qu’il survivra aux changements en cours.
Car cet Etat ne fait pas que démissionner face à une tâche trop lourde, il est au service ou tente de se servir de cette industrie technologique qu’il conduit plus loin qu’elle n’irait seule en tant que marché. Ce machiavélisme n’est pas nouveau pour un pouvoir, ce qui est sans doute nouveau en revanche, c’est la possibilité de s’appuyer sur une sorte de consensus qui emprunte à la toxicomanie – toxicomanie de l’image, de la fiction, du jeu et de l’information sans discrimination – et qui n’a pas encore fait débat dans la société, qui n’est pas le produit d’un véritable consensus en faveur des progrès technologiques, notamment audiovisuels. A moins encore qu’il ne cultive ainsi la pulsion de mort des individus, un philosophe comme Michel Henry a développé le rapport de cette fameuse pulsion à l’environnement technique et au «malaise» de la fin du XXe siècle. Ce machiavélisme est certes plus choquant dans ce qui est convenu d’appeler une démocratie. Et pourtant bien des choses ne sont que peu dites par lesquelles on peut pressentir que les démocraties sont fragiles et peut-être même une illusion… que dire du népotisme fort probable de la plus grande de ces démocraties, népotisme qui fait voir d’un jour nouveau la dernière élection présidentielle américaine ?
Ce que révèle, au final, la collusion du politique avec des techniques potentiellement et de plus en plus liberticides, c’est l’atteinte profonde de l’idéal humaniste qui fonde tout vivre ensemble. Ou selon le nom qu’on voudra lui donner, d’un idéal civilisationnel, comme toute société en a un. Autrement il n’y a que groupe. Des idéaux civilisationnels, il y en a eu autant que de civilisations. Toute société se définit par un symbole, une pensée de sa réunion, de son lien, de sa permanence dans le temps. Que ce soit des textes fondateurs, des objets sacrés, des récits ou des paroles répétées, peu importe les supports symboliques de ce qui a rang d’idéal. Le nôtre est celui que l’on a appelé humaniste, celui relativement laïque de l’homme bon pour qui la culture peut contraindre la violence. En effet, un tel idéal enclot les mouvements de désunion et introduit une dimension de médiation nécessaire si des éléments de confrontations surgissent entre les forces réunies.
Cet idéal en passe – en passait – par la transmission d’un savoir, la formation d’une sensibilité comme par la formation d’un idéal du moi – plus que d’un surmoi qui, lui, est là quoiqu’il en soit. L’idéal du moi, en revanche, ne survient qu’au terme d’une est le longue éducation du sujet , c’est grâce à lui qu’il saura «faire avec», autant subir que mettre à distance ce surmoi quand c’est nécessaire, et avec lui toute la violence du surmoi. Une construction pas facile et qui caractérise l’humain par rapport à toutes les autres espèces. Et où l’école avait un rôle à jouer. Or cet idéal, et la culture sur laquelle il s’appuyait avec lui, n’est plus reconnu aujourd’hui comme ce qui endigue la violence.
Un Etat qui ne donne pas signe de le reconnaître nourrit de ce fait lui aussi thanatos contre eros. (Et cela au mépris du son intérêt à long terme, car si thanatos vainc eros, il court à sa perte… Les gouvernements sont mortels et les élus ne vivent pas sur des îlots. Mais rappelons-nous que nous sommes dans l’immédiateté, une tel présent que même l’histoire est rarement alléguée comme exemple par les hommes politiques, oubliée ou méconnue, l’histoire, comme dans l’enseignement de l’économie). Il choisit donc aujourd’hui de développer les outils technologiques de sa domination, comme dans l’exemple d’Edvige et de l’appel d’offres concernant le fichage des enseignants et des élèves «leaders d’opinion». Et fait imposer ce choix comme le seul possible, au lieu de favoriser la médiation des professeurs, d’assurer leur légitimité, de faire valoir leur effort de connaissance et de transmission. Il prend donc implicitement parti pour la révolte contre l’idéal humaniste. Le machiavélisme qui viserait à asservir la population par laquelle on a été élu rejoint en fin de compte la volonté indigne d’un homme politique de faire passer ses intérêts privés avant les intérêts collectifs. De ne plus penser à l’intérêt de la collectivité qui était au fondement de toute pensée du lien social. Et qui n’est pas enseigné dans les sciences de l’économie, indexées sur les seuls intérêts privés. Partout dans le monde, les idéaux civilisationnels sont atteints, à plus ou moins grande profondeur, compte tenu de la mondialisation de l’industrie technologique, de ses produits et de ses producteurs.
Alors Edvige, lapsus révélateur d’une volonté de contrôle et de surveillance de l’opinion ? pensée subitement mise au grand jour ? paradigme de la collusion entre technologie et l’Etat prétendument démocratique ? Sous le zèle de certains ministres et administrateurs surgit aussi la perspective de profit des industries de la sécurité privée et publique qu’intéressent au premier chef les choix des Etats modernes. Il faudrait être un Etat bien courageux pour mécontenter les quelques puissants qui perpétuent ou régénèrent leur domination à travers les appels d’offres sécuritaires des gouvernements… Mais cet idéal civilisationnel n’est ni découpable en morceaux, quantifiable, ni totalement indexable, fichable. Ce n’est pas un ensemble fermé. C’est un esprit plutôt que des œuvres. Et seule l’histoire refoule parfois un pan de l’héritage, ou le détruit complètement.
La résistance – face à un pouvoir qui nie à la société civile le droit de se réapprorprier des questions sur lesquelles elle estime mal gouvernée –, la résistance en passe par le fait d'occuper l’espace et le temps social là où c'est possible, en réseaux militants, en collectifs, voire en lobbies, et en luttant contre une manipulation de l'opinion qui pour être insidieuse n'en est pas moins de plus en plus flagrante, cela afin de ne pas laisser vider de leur sens des principes de liberté de l’individu, de liberté d’opinion, d’éducation, de culture ou de santé mais plutôt de les renforcer.
votre article "gouvernement vs société civile..." du 26.12.08
bonjour
tombée sur ces extraits grâce au fait que j'ai entendu sur france inter ce matin Bernard Stiegler, j'ai donc cherché ses écrits et me suis baladée sur les différents articles proposés
ma question : que veut dire "vs"
dans gouvernement vs société civile ?
merci à vous et à tous vos semblables, de faire faire de la gymnastique à mes neurones
je dois relire parfois 2 fois une phrase, mais je me retrouve tellement dans toutes ces observations et contestations
nicole
vs , versus ?
Je crois bien que vs signifie "versus". Dans le contexte, celà signifie "en face de" ou "face à". Quand on teste un médicament, on fait un essai versus placebo, c'est à dire en comparant le devenir des gens traités par ce médicament avec le devenir de gens à qui on a donné un leurre à la place du médicament. Le sens de versus est donc ici un peu différent ... si c'est bien versus que Louise Renard a voulu écrire avec son "vs" ;)
a+ !
Francis.
Versus
Je crois bien que vs signifie "versus". Dans le contexte, celà signifie "en face de" ou "face à". Quand on teste un médicament, on fait un essai versus placebo, c'est à dire en comparant le devenir des gens traités par ce médicament avec le devenir de gens à qui on a donné un leurre à la place du médicament. Le sens de versus est donc ici un peu différent ... si c'est bien versus que Louise Renard a voulu écrire avec son "vs".
a+ !
vs
signifie versus :"contre"utilisé en anglais siginifie plus largement en opposition à utilisé par exemple dans le sintitulés de justice lorsque la cour suprême
intente un procès contre quelqu'un .Les cas jurispridentiels sont aisni cité Supreme court versus X...
Bonjour,
Bonjour,
Cela veut dire «contre» (c'est pour «versus»). Comme dans un procès ou un match… untel vs untel.