Le dernier Finkielkraut : mon commentaire.

Publié par sportnoy le 27 Juin, 2014 - 12:49
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Monsieur Finkielkraut est donc tombé bien bas et c’est la France qu’il voit chuter. Je ne reviendrai pas sur ce qui s’est déjà dit de juste : sa sinistrose, sa mélancolie, sa tendance réactionnaire qui le fait aujourd’hui rejoindre l’idéologie ultra droitière, etc.

Pour ma part, je l’invite à considérer la dimension subjective de sa pensée et l’étroitesse de son point de vue, comme sont limités le point de vue et l’expérience de chacun.

Au lieu de cette humilité nécessaire à laquelle tout individu raisonnable se doit, Monsieur Finkielkraut se fait détenteur de Vérité, et détenteur de ce que serait l’Identité Française. Lui, il le sait, sans l’ombre d’un doute. Et il veut la protéger cette identité menacée de fragmentation et de désintégration, à cause d’abord de l’immigration. La peur de l’autre, le danger que représente l’autre en sa différence qui vient contrarier notre besoin primaire de fusion (« de mêmeté ») se nourrit d’un imaginaire : celui de notre intégrité moïque parfaite et de notre différence assurée. En quelque sorte nous pourrions coller idéalement à nous-mêmes sans jamais nous perdre. L’identité comme tous nos états et faits et gestes ne saurait échapper à  l’imperfection « malheureuse » (à l’aune de notre soif infantile d’absolu), imperfection liée à notre humaine condition affectée d’entropie. Qu’elle soit personnelle ou nationale l’identité ne saurait être assurée ou établie une fois pour toute ; elle est prise dans les interdépendances et les événements, elle fluctue, change, se modifie, évolue, régresse, se perd et se retrouve, bouge, la vie n’étant que mouvement. Et à certains moments de notre vie, notre identité peut être mise gravement en danger, voire se désintégrer sous les coups de violences et d’injustices majeures.

Donald Winnicott avait excellemment parlé ces angoisses archaïques existant dans la psyché de chaque personne, sorte de noyau dépressif nous affectant potentiellement. Il avait écrit un article sur « La crainte de l’effondrement » et les terreurs de désintégration qui l’accompagne. Dans mon ouvrage « Tous fous » (écrit il y a 10 ans), j’avais repris sa pensée en l’intégrant à mon travail de réflexion sur la violence et la destructivité humaine (travail que je poursuis par écrit depuis 25 ans). Je disais, entre autres, que nous sommes tous fous d’omnipotence et d’égocentrisme défensifs dans la volonté primaire de protéger farouchement notre identité fragile et jamais assurée (du fait de l’imperfection liée à notre condition à laquelle s’ajoute notre longue dépendance enfant et de la grande perméabilité qui en résulte ensuite). Devenus des individus, et craignant d’être encore trop pris dans l’influence au risque d’y perdre notre différence, nous nous défendons en permanence. Accroché à ce type de défense, la personne s’imagine alors assurément libre, autonome; elle en oublie son être relationnel pour s’en tenir à son ego défensif. Elle cherche sans cesse à établir son pouvoir pour mieux échapper à celui d’autrui. Ce faisant elle aliène sa vie en la cantonnant aux rapports dominant-dominés. A l’aune de ce type de rapports, tout autre en son altérité est potentiellement considéré comme un rival ou un ennemi.

Se comporter de façon évoluée, comme des individus cultivés et non pas conditionnés par leurs réactions défensives primaires, c’est s’empêcher de voir l’autre comme une menace, un ennemi à dominer ou abattre. C’est aussi renoncer à s’accrocher à l’imaginaire d’une identité assurée, idéalisée, et à ses illusions de perfection. Voilà sommairement ce que je peux dire à M. Finkielkraut. S’il veut se comporter en homme de culture et non se tenir au monde à partir de son pouvoir défensif primaire, qu’il médite pour lui même cette citation de Saul Bellow qu’il reprend :

«Une grande quantité d’intelligence peut être investie dans l’ignorance lorsque le besoin d’illusion est profond.»

 

Qu’il entende aussi cette pensée de Camus dont il se réclame en la manipulant de façon subjective « …ne pas vouloir refaire le monde, mais empêcher qu’il se défasse » peut s’entendre ainsi : empêcher qu’il se défasse sous les coups de notre omnipotence défensive, de nos illusions de nos « intempérances d’absolu » qui nous font croire pouvoir refaire le monde de façon idéale, et refaire une identité idéale de façon assurée.

 

Un homme de culture universelle est un homme qui ne laisse pas ses parties primaires le gouverner, qui s’efforce de les contenir et de les désamorcer pour se comporter de façon évoluée. Un tel homme cherche inlassablement à déjouer les rapports de pouvoir, de haine, d’intolérance, de mépris pour soutenir du mieux qu’il peut les valeurs de justice et de respect. « Il faut imaginer Sisyphe heureux » avait dit A. Camus, un Sisyphe poussant inlassablement son rocher vers le haut, et reprenant sans cesse le même combat alors qu’il le voit invariablement retomber vers le bas.

 

Face à l’imperfection, à la vie toujours à moitié, le bonheur est de savoir considérer la moitié pleine de la bouteille pour mieux déjouer les forces de malheur.