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Petit texte de départ rédigé au moment où M. Onfray avait sorti son livre sur Freud. Il est suivi de quelques extraits de mes écrits sur la psychanalyse.
Michel Onfray a tort de s’en prendre à ce point à l’homme Freud, lequel n’est pas plus « moche » que tous ceux qui sont occupés principalement à établir leur pouvoir et à le garder dans un secteur ou l’autre de la société, c’est-à-dire la plupart des gens. Sont-ce des monstres pour autant, à clouer au pilori sans qu’il leur soit accordé une part d’humanité bonne? Si oui, cela risque de rendre la terre vide d’hommes.
Michel Onfray à tort « de jeter le bébé avec l’eau du bain ». Freud a lancé un mouvement, il y a cent ans. Depuis, des centaines de gens ont travaillé dans le champ psychanalytique, certains ayant fait évoluer cette discipline d’une façon telle que la psychanalyse qu’ils pratiquent n’a plus grand chose à voir avec ce que a théorie freudienne est supposée leur dicter.
M. Onfray ne semble pas du tout être au courant de l’histoire compliquée de la psychanalyse, faite de tâtonnements, de ratés, de reprises plus heureuses, ni connaître non plus cette psychanalyse humaniste qui existe aussi et peut grandement aider les gens à mieux vivre. Beaucoup de psychanalystes, pour qui, bien sûr, Freud fut un incontournable, s’en sont grandement démarqués au point d’oublier son emprise initiale sur le monde psy ; cela a commencé dès l’origine de cette discipline avec Jung et Ferenczi, dauphins de Freud ayant rompu avec lui, leurs oppositions théoriques et éthiques s’avérant irréconciliables. Certes, dans la société, cette réalité n’est pas encore sue, et il faudrait qu’elle le soit.
Michel Onfray n’a pas tort de s’en prendre à une psychanalyse restée étroitement freudienne (et pire, devenue lacanienne), laquelle peut être très nocive pour les patients. Il la dit « ennemie des Lumières » et d’une certaine façon, il a raison. Il a raison aussi de « déboulonner l’idole » Freud, toute idolâtrie étant aussi l’ennemie des Lumières et du tout raisonnement juste.
Monsieur Onfray n’a pas tort de mettre en question cette pratique censée aider les gens et qui parfois, trop souvent les prend en otage, ou pire, les rend malades les enfonçant dans le désespoir.
Mais plus largement, me semble-t-il, il importe de voir que c’est l’époque entière qui est malade, prise de cupidité et d’égoïsme graves sans souci des autres et de la vie ; c’est d’elle dont il faut faire le procès, les thérapeutes comme n’importe qui étant contaminés par cette folie ambiante, folie de domination, folie d’avidité, folie narcissique. Chez les thérapeutes, comme partout, il y a « les hommes de biens », comme disent les Chinois confucéens, et « les hommes de peu », c’est-à-dire ceux qui choisissent d’être menés par l’amour-respect, et ceux qui le sont par le pouvoir, et qui ne font rien pour se ressaisir à temps sur la pente du mal d’omnipotence et d’égoïsme, choisissant même de se rouler dans le mal par cynisme et opportunisme.
Depuis trente ans, je trace un chemin de pensée par l’écriture. Dans les 14 ouvrages que j’ai écrits, certains contiennent un chapitre ou deux traitant de la psychanalyse. Les critiques que j’y fais des psychanalyses freudienne et lacanienne trouvent leur place au sein de ce qu’il m’importe d’éclairer beaucoup plus largement, à savoir : le pourquoi et le comment de la violence et de la destructivité humaine. . Mon propos ne s’est donc jamais inscrit dans une démarche critique de la psychanalyse. Reste qu’il me semble très important d’éclairer le plus possible le débat actuel autour de Freud -en espérant que ce débat tel un « soufflet passionnel » ne se dégonfle pas aussi vite qu’il a enflé, laissant les choses en l’état, dans l’aveuglement idolâtre d’avant-.
En rassemblant ces extraits tirés de mes ouvrages, mon souci est que la psychanalyse progresse, et ne laisse plus sur son passage un trop grand nombre d’êtres désintégrés par ses mauvaises théories et les mauvais soins de ses praticiens.
Puissent ces quelques pensées ici rassemblées contribuer à l’évolution de cette discipline, et à la poursuite d’une réflexion libre de la furia passionnelle et de la chasse à l’homme dans lesquelles le débat actuel est emporté, loin d’une sérénité propre à favoriser des échanges dignes et fructueux.
Extrait de Tous fous
La psychanalyse folle
En ce XXème siècle qui vient de s’achever, les effets pervers de cet individualisme pathologique qui tue le cœur relationnel de l’homme (en déchirant conjointement le tissu social qui le tient à ses semblables) ont même contaminé des psychanalystes. Ce qui est un comble, puisque tous les psychothérapeutes sont des soignants de la relation et qu’ils sont supposés, grâce à leur humanité bonne, pouvoir mieux que quiconque libérer leurs patients des maux contemporains qui les affectent. Comme quoi la folie de domination, qui marche de concert avec l’omnipotence, peut utiliser tout pouvoir (scientifique, philosophique, entrepreneurial, etc.) pour déraper dans l’abus.
Je ne parle pas des psychanalystes empathistes, qui font tout leur possible pour porter le patient vers sa liberté en ranimant sa confiance ; ces thérapeutes n’oublient jamais que c’est l’amour qui guérit, et le rapport de pouvoir assujettissant la créativité de l’individu qui le rend malade. J’incrimine une psychanalyse brutale, en priorité occupée à établir sa domination sur les patients et sur les autres disciplines psychothérapeutiques. Dès l’époque de S. Freud, les prémices de cette dérive omnipotente étaient déjà présentes. S. Ferenczi avait mis en garde S. Freud contre les méfaits d’une pratique trop désaffectée renvoyant le patient à sa solitude. Il dénonçait aussi l’abandon de l’hypnose et de la théorie de la séduction qui, là encore, négligeait l’influence très importante sur le patient de son environnement, le rendant trop responsable du mal qui l’affectait. Centrer le travail analytique sur ses seuls fantasmes le « chargeait » de la même façon.1
Plus récemment, avec Lacan, le côté dogmatique et dictatorial de la psychanalyse freudienne a pris une ampleur catastrophique (pour les patients et la libre pensée). La cure est devenue une épreuve violente imposée par un psy se comportant comme un autiste volontaire, sa neutralité consistant à « faire le mort » et à assister alors au « désêtre » de son patient. Cette absence à la relation ouvrait sous les pieds de l’analysant un gouffre d’abandon. Mis ainsi dans le vide, privé de tout lien humain secourable, celui-ci s’accrochait sur les bords du précipice du mieux qu’il pouvait, tâchant, la terreur au ventre, de tenir malgré ses forces qui l’abandonnaient... Et l’indifférence du psy lui faisait le même effet que s’il lui écrasait volontairement les doigts pour précipiter sa chute dans le gouffre.
Certains justifient la brutalité de ces traitements en évoquant le bizutage (lequel est interdit par la loi) ; ils la décrètent nécessaire, à l’instar des rites initiatiques des sociétés traditionnelles qui ouvraient aux jeunes le passage à l’âge d’homme. Il y a pourtant une différence de taille ! Les individus des dites sociétés, lorsqu’ils traversent les épreuves terribles qui leur sont réservées pour la circonstance (souvent, ils sont confrontés à des animaux ou à des éléments naturels dangereux), ne sont pas seuls mais en groupe d’âge ; de plus, ils sont entourés par la société en son entier qui les assiste moralement et les soutient étroitement, les aidant ainsi à trouver la force de faire face. Le patient, lui, est seul, livré à son psy ; et c’est ce dernier qui le soumet, dans le huit clos d’un cabinet. Cette relation duelle fait en réalité subir au patient un abus de pouvoir face auquel il risque d’être totalement démuni, car il est alors sans appui social. A mon sens, il s’agit là de perversion, de rite d’aliénation au rapport dominant-dominé, et en aucun cas de rite d’initiation !
Ce type de psy, sourd et aveugle au mal qu’il engendre, pousse la cruauté toujours plus avant. Séance après séance, tout en arborant le masque du guérisseur, il viole en fait l’âme de son patient, ce qui engendre chez ce dernier une terrible confusion mentale. C’est cette folie « injectée » en eux qui a, sans doute, poussé certains patients au suicide. Car alors au paroxysme du désespoir, et totalement perdus quant à qualifier ce qu’ils vivaient, la mort leur a semblé la seule issue pour échapper à l’enfer qu’était devenue leur existence.
Pour témoignages récents, je renvoie le lecteur au Livre noir de la psychanalyse, paru à l’automne 2005. Page 255, Jean Cottraux explique comment, étudiant en psychiatrie, à Lyon, dans les années 70, il a perdu la « foi en la psychanalyse » qui régnait alors sans partage dans les milieux qu’il fréquentait. En trois ans, il assista à une véritable épidémie de suicides et de décompensations psychotiques touchant des analysants qui étaient ses proches, étudiants, aides-soignants, etc. Interrogeant ses maîtres- enseignants sur le pourquoi de tels drames, il fut sidéré qu’aucun ne remette en cause le genre de traitement produisant de tels dégâts, et qu’ils s’en tiennent à incriminer la fragilité de ces pauvres malheureux patients « psychotiques » sans doute !
Dans ce Livre noir… se trouvent d’autres témoignages poignants de victimes de cette psychanalyse nazie. Dans mon dernier ouvrage (J’accuse la dérive de la psychanalyse), le cas de Marine que je relate va dans le même sens.
Les intellectuels les mieux avertis, qui auraient pu être capables de critiques pertinentes vis-à-vis de cette pratique ont malheureusement collaboré à la construction du mythe lacanien et de cet empire psychanalytique tyrannique. En tout homme, le besoin d’admirer comme un enfant l’emporte trop souvent sur son devoir de lucidité. Cet aveuglement de l’élite intellectuelle a grandement contribué à tordre les esprits d’une façon radicalement favorable à la psychanalyse, si bien que les patients se sont tournés massivement vers cette discipline, sans imaginer un seul instant combien elle pouvait être imparfaite et même parfois fort dangereuse. Pris dans cette ambiance et abusés par méconnaissance, la plupart n’ont pas entendu les avertissements de ceux, très rares, qui n’étaient pas dupes et criaient « gare ».
Sans doute est-ce notre insatiable soif d’idolâtrie et de toute-puissance qui a permis un tel scandale. Lacan était une star et ses théories étaient fétichisées. Il « cavalait » si vite dans les lectures qu’il « avalait » et les réflexions qu’il « recrachait » chaque semaine à son auditoire, que ses disciples en étaient réduits à être des suiveurs, tâchant d’accrocher le train, mais toujours à la remorque du maître qui, pour être sûr de dominer, se faisait fort de leur imposer ce rythme assujettissant. Incapable de dénoncer ce piège de servitude, mais au contraire enivré par la fusion que procure la soumission à l’idole, chacun pouvait jouir ensuite des retombées du pouvoir de ce gourou tout-puissant comme « par ruissellement » : on exerçait une domination se disant « savant de l’inconscient » ou se déclarant psychanalyste, abusant à son tour de pauvres patients.
La notion d’inconscient est un piège terrible. Les psychanalystes s’en servent souvent comme les croyants le font de Dieu, pour lui faire dire n’importe quoi qui les arrange, qui convient à leur foi, à leurs préjugés, à leur soif de pouvoir. Alors que l’inconscient, c’est tout ce qui n’est pas conscient ; ses aspects sont multiples, et ils échappent en grande part à notre saisie, y compris à celle d’un psy, quand bien même celui-ci prétend détenir la clef de cet univers mental caché. Ce faisant, il usurpe un pouvoir que personne n’est apte à lui contester, puisque nul ne sait vraiment ce qu’est l’inconscient.
Comment rendre compte simplement de la nocivité de certains traitements… Le patient soumis au silence de son psy, à sa non-écoute des messages affectifs qu’il lui adresse, à son indifférence dans la relation ici et maintenant (etc.), est invariablement saisi par une manifestation de son inconscient qui le rempli d’effroi. Car s’il ne se blinde pas comme son psy dans un repli défensif, dans un fonctionnement coupé d’autrui, sa perméabilité naturelle à la relation fait qu’il est brutalement aux prises avec un inconscient terrifiant : celui qui est activé par l’assujettissement relationnel qu’il subit. En quelque sorte, la violence que lui fait vivre le psy s’implante en lui, et les affects qui se manifestent alors soudainement en son monde intérieur résultent des violences affectives qu’il endure dans la dépendance au psy à laquelle il est tenu. Conditionné qu’il est mentalement, ce qu’il prend alors pour une manifestation terrible de son inconscient inconscient est un agglomérat fait d’émotions et d’imaginations brutales, ainsi que de paniques et de colères provoquées par ce thérapeute qui, au lieu de le soulager de ses tourments, vient semer ce mal nouveau en lui. Et puisque tout cela est nommé soin, fait « pour son bien », la confusion mentale alors engendrée dans l’esprit du patient l’entraîne sur une pente fatale. Le piège, de type double entrave, qui se referme sur lui, le rend fou.
Comble de la maltraitance ! Pris dans ce piège, si le patient avait des velléités de fuir, le psy pour le retenir agitait la notion de résistance ; « il résistait au travail », et c’était « mal, lâche ». S’il tâchait de se révolter verbalement, l’utilisation manipulatrice de la notion de transfert l’en dissuadait bien vite. Aussi, tout ce que le patient faisait en séance, le psy le considérait uniquement comme s’adressant à des personnes de l’histoire passée ou privée de celui-ci, en aucun cas à lui, le psy. L’indifférence de l’analyste, y compris à la révolte du patient s’il osait en en manifester quelque peu, était destinée à l’enfermer en cette vision. La moindre de ses protestations adressées au psy était renvoyée à l’envoyeur comme nulle et non avenue. Pour toucher ce psy qui se faisait miroir neutre et glacé, il ne restait à l’analysant qu’une possibilité : lui casser la gueule ou mettre son cabinet à sac. Cela ne se fait pas ; un minimum d’éducation et de respect empêche de tels passages à l’acte. Alors, le patient ravalait sa révolte ; la tension terrible produite par ce traitement pervers qu’il subissait, il la retournait contre lui le plus souvent, tâchant d’éviter le plus possible de la décharger sur ses proches. Son monde intérieur en devenait cataclysmique, comme s’il avait de plus en plus le diable au corps et à l’esprit. Alors que cette violence n’était que le résultat des désordres engendrés par la muette brutalité d’un dominant qui le violentait. Comme chez n’importe quel animal en état de stress face à un prédateur, cela provoquait chez le patient des montées d’angoisse et des attaques de panique, lesquelles, à force de se répéter, minaient et anéantissaient toujours davantage ses forces vives. Il se sentait exsangue, paralysé, fantomatique. Et cette violence monstrueuse en lui déchaînée, il lui était implicitement signifié que c’était là « son inconscient ». Alors, il se disait : « Quel monstre je suis… je suis vraiment très malade, très fou. » Séance après séance, il continuait de subir ce régime terroriste qui arborait le masque de la psychothérapie la meilleure qui soit, aux dires de la société intellectuelle de l’époque. Sa vie de chaque jour était assaillie par des pensées et des symptômes de moins en moins gérables et supportables. Lorsque le patient (o combien patient et confiant !) le disait à son psy, ce dernier se fermait encore plus, ignorant ostensiblement le cauchemar qu’il vivait. Pire, le psy en rajoutait. Son silence hostile signifiait au patient que tout cela était hystérie, et que c’était encore « très mal » : ces souffrances n’étaient que des résistances de plus que ce dernier opposait au travail analytique. C’est ainsi qu’en désespoir de cause et moralement mis dans une telle agonie, certains sont devenus fous ou ont été conduits vers une issue fatale : le suicide.
Ce type de traitement sadique conjuguait tous les ingrédients pour que la catastrophe psychoaffective se produise. Le patient, ayant baissé sa garde et mis ses défenses habituelles en suspens pour se livrer avec confiance, subissait des viols d’âme insistants, séance après séance, le tout dans un cadre hypnogène propice à la régression et aux états de conscience modifiée (isolement dans un cabinet, position allongée sans pouvoir voir le psy). Alors, sur ce fond de relation fusionnelle réactivée, les attaques sadiques subies se transformaient en vagues de violences intérieures qui submergeaient le patient. Tout cela lui faisait vivre des expériences de dépersonnalisation, de confusion mentale, des impressions de se désintégrer sous les coups de boutoir d’attaques répétées d’angoisse ou de panique. Sans repères, pétrifiés par ce qui arrivait, sans secours (car la société s’est jusque-là montrée incapable de juger les méfaits d’un tel traitement et donc d’être un appui salutaire pour les victimes des divans), abandonnés de tous (les proches, eux aussi, ne savaient pas comprendre ce qui se passait et aider en conséquence) et donc au comble du désespoir, certains ont donc mis fin à leurs jours, qui étaient devenus d’infinies nuits de cauchemars.
Comme je l’ai écrit dans J’accuse la dérive de la psychanalyse, le cadre analytique, le setting comme on dit, prive le sujet de sa motricité et de sa liberté (allongé, immobile, coupé de la réalité extérieure), de son regard sur le psy (pas le droit de regard) et de toute expression autre que verbale, etc. ; cette mise en suspens d’actions pratiquées habituellement (l’habitude, comme on dit, « étant une seconde nature », laquelle nous protège et nous tranquillise) rend ce cadre potentiellement hypnogène. A ce titre, il peut faire régresser, entraîner des états de conscience modifiée et une dépendance proche de celle que connaît le nourrisson impuissant et totalement démuni. Lorsque ce nourrisson réveillé dans le patient, au lieu d’être protégé par la bienveillance et l’empathie du psy, est attaqué par son sadisme et son indifférence, des angoisses inimaginables peuvent assaillir l’analysant (des angoisses auxquelles le bébé est toujours exposé, mais qui sont normalement tenues à distance de son vécu grâce aux bons soins de ses parents − malheureusement pas toujours −). Telle est l’explication qu’il aurait fallu pouvoir donner à ces pauvres patients qui se sont désintégrés dans l’insouciance mimétique et l’aveuglement général de toute une génération d’endoctrinés à la psychanalyse freudo-lacanienne.
Certains donc sont morts de ces traitements. D’autres en ont gardé leur vie marquée par cette terreur jadis endurée, marquée par des peurs irraisonnées, des phobies d’impulsion, des actes d’autodestruction ou des symptômes en touts genres. Et toujours personne pour leur rendre justice1. Car tous ces drames se sont joués dans des cabinets feutrés, isolés des regards, sans témoin ni justice possible ; ainsi, ils ont pu être systématiquement renvoyés à la sphère privé par des psys prioritairement occupés à asseoir leur pouvoir incontestable, y compris sur un tas de cadavres cachés. Comme je l’ai déjà dit, tant la société que les proches des victimes sont restés désarmés, privés de sens critique et incapables de penser le pourquoi de ces tragédies. Triste constat aussi : ici comme ailleurs, pour rester l’esprit tranquille, beaucoup rechignent à se mêler d’affaires qui dérangent tant d’idéalités ou de préjugés ; ils préfèrent rester « moutonniers », bêlant dans le sens du vent. Renvoyer ces drames à des problèmes strictement privés, sans s’interroger plus avant, fait partie de ces lâchetés pratiquées par chacun, soucieux en priorité de son confort. Dans ce même état d’esprit couard, pour justifier la folie qui avait saisi le suicidé, il était tentant et facile de trouver dans l’histoire de chacun quelque trauma passé à incriminer. La catastrophe vécue en analyse s’en retrouvait vite expliquée. Et la psychanalyse nazie, toujours vierge de soupçons, pouvait continuer son œuvre de destruction.
Je me rends compte que j’ai écrit toute cette partie de texte au passé, comme si je voulais que cette violence perpétrée par certains psys (et d’autres psychothérapeutes qui ont singé leurs façons de faire sadiques pour jouir du même pouvoir omnipotent) soit révolue. Malheureusement, elle continue, même si certains ont fini par prendre conscience de la perversion qui les avait assujettis jusqu’à les rendre complices. Mais d’autres, drapés dans leur imaginaire toute-puissance et leur arrogance méprisante, exercent toujours le même pouvoir abusif. Et le besoin d’idéalité de la masse des suiveurs risque d’entretenir encore longtemps cet aveuglement collectif, entraînant chacun à la vénération d’idoles et d’idéologies, ainsi qu’à la collaboration au mal d’aliénation. Que cela rende fou, on s’en fout ! L’important étant de se bercer d’illusion, de vivre dans l’imaginaire pour fuir la réalité et les limites qu’elle impose à notre soif d’emprise possessive et dominatrice ! Telle est cette folie que nous avons vite fait de partager, folie qui nous rend indifférents à la fragilité et à la sauvegarde de la vie qu’en son imperfection nous détestons par soif de toute-puissance, par désir infantile d’être dupe du pouvoir absolu, totalitaire, quand bien même il tue !
Toute personne souffrant de troubles psychoaffectifs (pouvant être psychosomatiques) est en fait malade d’une violence qu’elle n’a pas pu intégrer à sa continuité existence, au moment où l’évènement a trop perturbé son économie interne. L’évènement en question a fait trauma : il est resté en quelque sorte coincé en l’individu sous forme d’un excès de tensions. Pour être soulagé, il lui faut donc, après coup, que l’individu réussisse à intégrer ce désordre à sa continuité d’être ; en d’autres termes, pour qu’elle ne soit plus actuelle, il lui faut digérer la violence passée qui lui a été faite. Toute psychothérapie a donc pour fonction d’aider le patient à intégrer l’évènement violent, à le « digérer » maintenant sur le plan psychoaffectif, afin qu’il retrouve une plus grande liberté en reprenant son évolution là où sa vitalité-créativité s’était figée (souvent une régression est nécessaire pour que s’opère le changement). Il s’agit donc, à l’occasion d’une expérience réparatrice, vécue au sein d’une nouvelle relation salutaire, de résorber la poche de violence qui, restée enkystée, est vécue par le patient comme une inclusion étrangère hantant sa dynamique de vie, possédant une partie de ses forces et de sa liberté.
Le plus souvent, ce sont des violences relationnelles subies (par incompréhension, indifférence, brutalité physique, etc.) qui ont produit cette paralysie d’énergie qu’est la maladie. Parfois, la cause du traumatisme n’est pas relationnelle, mais évènementielle, tel un accident, un cataclysme naturel, etc. Quel que soit le cas, la tâche du thérapeute reste la même : par son soutien empathique et respectueux, redonner au patient confiance en ses propres forces de changement et d’intégration du désordre. En d’autres termes, c’est toujours la violence assujettissante qui rend malade, et c’est toujours l’amour qui guérit, l’amour qui sait accompagner la fragilité pour que les forces de l’individu à nouveau s’expriment, un amour lucide qui, bien qu’aux prises avec le mal, parvient à garder vivants l’espoir et la confiance existentielle.
Alors, lorsque le psy assujettit à son dogme, à ses théories, à son pouvoir de soignant auréolé de toute-puissance, il traumatise et désespère le patient déjà en état de fragilité, aggravant donc le mal, ce qui peut entraîner le pire.
En d’autres termes, le thérapeute a fondamentalement pour fonction de redonner au patient confiance en ses propres forces de changement et d’intégration. La relation empathique et respectueuse qu’il sait instaurer est déterminante, car tout traitement (quelque soit la technique utilisée) est d’abord une thérapie de la relation par la relation ; il vise à rétablir un rapport créatif (avec autrui et avec soi), libre du pouvoir qui aliène (et aliénait jusque-là). Je le répète et j’insiste, c’est toujours la violence assujettissante ou une emprise affective possessive qui rend malade en dépossédant le sujet de ses forces créatives ; et c’est toujours l’amour qui guérit, l’amour qui sait combien la fragilité doit être respectée pour que les forces libres de l’individu s’expriment, elles aussi dans le respect.
En ce sens, ranimer l’individu en son vrai self, en sa liberté-créativité, en sa confiance existentielle, pour que sa vie puisse renaître libre du rapport dominant-dominé, tel est le principe soignant.
Rendre impuissant en assujettissant de diverses façons la liberté et la dignité de la personne, tel est le principe qui rend malade.
En France, la psychanalyse folle que nous avons trop laissé régner a été scandaleusement préjudiciable non seulement à la santé de certains patients (impossibles à dénombrer), mais elle a aussi grandement freiné l’évolution des psychothérapies, nous faisant perdre au moins trente ans de progrès potentiels. Heureusement, d’autres pays ont su se libérer plus tôt de cette emprise toute-puissante de la psychanalyse et continuer des recherches fructueuses, nous permettant d’être de plus en plus capables de comprendre et de traiter les désordres psychoaffectifs (qui sont légions dans ce monde se vidant de ses solidarités). Les psychanalystes les plus ouverts qui ont su évoluer devraient reconnaître et déclarer combien ils se sont éloignés du dogme freudien pour renouer avec le courant ferenczien, dans une ouverture d’esprit digne d’un Pierre Janet, médecin psychologue contemporain de S. Freud doué d’une lucidité rare. Ces psys libres-penseurs et tolérants se réfèrent le plus souvent à D. Winnicott ; ce praticien d’exception a remis au cœur de sa pratique l’affect, l’empathie et l’attachement, reléguant la notion de libido à une place plus juste. Il serait sain que les meilleurs praticiens de la psychanalyse eux-mêmes remettent à sa place leur discipline, question d’honnêteté et de vérité, lesquelles ne peuvent qu’être salutaires aux progrès de la psychothérapie qu’ils pratiquent (et, bien sûr, salutaires en premier chef à la liberté et à la santé de leurs patients). Dans le champ des psychothérapies, tant que la psychanalyse dite Freudienne ou Lacanienne a été posée en absolu par une majorité de disciples, elle a nourri en son sein des intégristes et des terroristes à l’instar de toute religion ou de toute idéologie totalitaire; d’où la nécessité que la psychanalyse revienne des ces dérives et recouvre maintenant la raison (et, conjointement, qu’elle fasse acte de contrition).
t la psychanalyse, qu’a-t-elle fait de cette promesse d’évolution ? Elle l’a amputée de ce qu’il y avait de plus dérangeant pour les pouvoirs établis. Je suis toujours d’accord avec Bertrand Méheust, lorsqu’il dit que la psychanalyse a triomphé en évinçant le magnétisme. Son fondateur, S. Freud a déclaré constituer sa discipline en rupture avec l’hypnose ; mais, dans le même mouvement, il a ignoré un siècle et demi de recherches psychologiques et philosophiques faites par les magnétiseurs et les psychistes, lesquels (comme nous l’avons déjà vu) travaillaient dans un état d’esprit aux antipodes de celui des aliénistes dont Freud disait s’écarter en s’éloignant de l’hypnose.
Dans mes deux précédents ouvrages, j’ai déjà parlé longuement de la psychanalyse, de ses dérives et de ce qu’elle a laissé en souffrance. Ce travail autour du magnétisme m’impose d’autres réflexions. En premier lieu, les vues de S. Freud et sa conception de ce qu’il a nommé l’inconscient sont bien loin des phénomènes qui retenaient l’attention des magnétiseurs et de la conscience première qui s’exprimait à travers leurs manifestations. Aussi, Freud n’est pas le grand découvreur de l’inconscient comme le veut la légende ; lorsque ce médecin viennois apparaît sur la scène des recherches psychiques, vers 1900, cela fait deux décennies que le thème de la vie inconsciente occupe la littérature savante. Certes, Freud va emprunter une voie qui lui est propre, et parler l’inconscient à sa façon mais dans une direction qui va laisser les faits magnétiques de côté, ainsi que l’inconscient qu’ils laissaient deviner. C’est pourquoi son approche de l’inconscient n’aide en rien les métapsychistes à comprendre les manifestations de la psyché primaire qu’ils observent ; d’où leur désintérêt rapide pour les théories freudiennes.
Il s’avère, que Freud ne savait pas induire des états somnambuliques profonds, dans lesquels le sujet ne dort pas mais est au contraire en état d’hyperveille et rebelle aux suggestions ; or, c’est dans cet état que l’individu a le mieux accès à des ressources extraordinaires qui lui permettent de guérir. C’est peut-être parce que Freud ne savait pas susciter le type de relation magnétique qui ouvre à une nouvelle liberté de l’esprit, qu’il a retenu de l’hypnose le pire : la suggestion abusive en tant qu’elle viendrait assujettir les patients réduits à l’état d’enfants manipulables. Il ne percevait pas davantage que ce n’est pas l’influence qui en soi aliène mais que c’est le manque de bienveillance et de respect de celui qui l’exerce1. Toujours pour se démarquer de l’hypnose, Freud affirme se garder de pratiquer toute suggestion, alors qu’à lire les cas qu’il relate, la plupart de ses interventions semblent motivées par sa volonté de suggérer à ses patients les hypothèses théoriques qu’il a dans la tête. Pour fonder sa discipline sur un inconscient gros de refoulements à coloration sexuelle, il suggestionne à tout va !
Pour les chercheurs du magnétisme, l’inconscient freudien, lié au mode pulsionnel de relation à l’objet, est une approche peau de chagrin par rapport aux miracles auxquels ils assistent grâce aux sujets lucides (qu’il leur faut, certes, accompagner dans leur voyage intérieur pour qu’ils trouvent le meilleur mais jamais suggestionner au sens d’assujettir). Pour Freud, l’inconscient non seulement ruse mais se dérobe par principe, alors que pour les magnétiseurs, le sujet en état de conscience modifiée, lorsqu’il retrouve les couches primitives de sa psyché, est très souvent hyperprésent à lui-même ; grâce à cet inconscient, qui dans la transe se donne volontiers sans ruser, le magnétisé peut enrichir son conscient. C’est cet état inconscient atteint en somnambulisme profond qui intéresse le plus les psychistes, justement pour la liberté, la créativité et la santé qu’il peut faire recouvrer parfois de façon quasi magique. A leurs yeux, la mémoire de l’individu magnétisé est beaucoup plus étendue, son intelligence sensible remarquable, sa pensée plus rapide et plus sage ; il surplombe sa vie vigile, se moquant même parfois de l’étroitesse de sa conscience banale. Lorsqu’elle est éclairée par la psyché profonde, la conscience habituelle est en quelque sorte portée à un plan plus élevé d’intelligence, grâce aux informations que le sujet va ramener par l’intermédiaire de son magnétiseur. Dans le meilleur des cas, la conscience somnambulique est donc, pour eux, telle une hyperconscience virtuelle que l’induction magnétique fait surgir ; elle ne cherche pas à se dérober (comme l’inconscient freudien), mais au contraire à nourrir spontanément les couches de la conscience normale, si toutefois on sait la susciter et la guider comme il convient.
Freud n’a pas pu complètement éviter de recourir à ce legs du magnétisme qui pose la vie inconsciente comme un ensemble d’expériences cachées et agissantes ; mais, avec sa notion d’inconscient strictement lié au mode pulsionnel de relation à l’objet, il ne voit pas que l’inconscient est aussi quelque part, et pour une grande part, une sorte de conscience première (a-pulsionnelle) ayant existé à l’époque où l’individu n’était que du relationnel. Freud conçoit l’inconscient comme le réservoir strictement personnel de nos multiples refoulements (même habité d’un inconscient, le moi, comme entité close, reste sauf !) ; en le rendant ainsi dépendant de la vie consciente (ce qui devient l’inconscient est du conscient refoulé), il manque à le considérer en son originalité créatrice de nouveautés, c’est-à-dire comme un lieu de régénérescence potentielle et de créativité susceptibles de nourrir la vie consciente que l’inconscient excède souvent par ses richesses. Freud le rend également trop mauvais et gros de dangers, puisque ce qui y serait refoulé résulterait des interdits multiples touchant la vie pulsionnelle du sujet et surtout sa sexualité. C’est cette approche freudienne de l’inconscient, trop restrictive et dévalorisante, qui va dissuader Jung de le suivre plus avant. C. G. Jung, à l’instar des magnétiseurs, avait une vision d’abord positive des phénomènes inconscients (même s’il se méfiait conjointement de leurs pouvoirs mauvais); il voulait apprendre à mieux les susciter, ces phénomènes, dans le souci que la créativité plus libre dont ils étaient porteurs irrigue de vie nouvelle les individus souffrants qui venaient le consulter. L’inconscient en sa dimension qu’il avait qualifiée de « collective » était à son sens foncièrement bon : il était vecteur de transcendance et de socialisation.
Bertrand Méheust va jusqu’à dire que l’inconscient (freudien), tel qu’on l’accepte aujourd’hui, est une concession minima faite par le matérialisme du vingtième siècle, lequel ne pouvait éviter totalement de reconnaître que des phénomènes inconscients existaient. Pour le matérialisme régnant, la notion d’inconscient reste un mal, mais l’inconscient freudien s’avère être quand même un moindre mal. L’important était que soit trouvée une théorie de l’inconscient acceptable pour les rationalistes, c’est-à-dire une théorie qui réfute le magnétisme, le spiritisme et la métapsychique insupportables à leurs yeux, à l’aune d’un sujet assurément autonome et maître de son moi. En ce sens, Freud a pactisé avec les pouvoirs régnants, puisque son inconscient gomme l’influence magnétique dans toute l’étendue du scandale qu’elle apportait. Je le répète, les phénomènes magnétiques, et les facultés paranormales auxquelles l’état de transe donne accès, révèlent une interconnexion des consciences ; ils disent à l’homme sa dépendance foncière avec tous les vivants, en vertu de la nature profondément relationnelle qu’ils mettent au jour au cœur de son être.Pourqui se voulait le dominant de la création, quel camouflet ! Pour qui avait besoin d’assurer son identité de façon idéale, en optant pour une idéologie posant l’individu dans une altérité évidente et un ego enclôt en sa peau « imperméable », quelle trouille !Les magnétiseurs, en faisant émerger les pouvoirs de la psyché profonde, étaient amenés à penser la personnalité vigile banale comme la face apparente d’une réalité subjective beaucoup plus vaste, comme une manifestation de l’individualité tournée vers la réalité extérieure et conditionnée par elle. D’où leur perception de l’individu comme une structure ouverte, c’est-à-dire un être d’abord relationnel avant d’être un moi clos. A leur sens, si l’individu voulait privilégier sa liberté créative, il devait donc se méfier de son ego limité risquant d’emprisonner des potentialités d’évolution présentent en son être profond. Le moi, au lieu d’être une sorte de citadelle imprenable, à l’instar de ce que voulaient les rationalistes extrémistes, devait être pensé davantage comme le contenant souple et modulable d’un éventail d’expériences très larges faites par le sujet. Ainsi, je souscris à la pensée de Bertrand Méheust, lorsqu’il dit que la psychanalyse de Freud, sans doute pour mieux s’inscrire dans le scientisme ambiant et être suffisamment acceptée, a laissé intact l’axiome de la fermeture du sujet, bien qu’avec la notion d’inconscient elle fait vaciller quelque peu sa raison toute-puissante et sa maîtrise idéalisée par lesquelles l’individu cherche à garantir son pouvoir d’emprise; la psychanalyse freudienne conserve la conscience territoire, monadique. Je est un champ délimité, doté d’une frontière hermétique, et le subconscient n’est que le soubassement et le complément souterrain de ce territoire inviolable. J’ajoute à la pensée de Bertrand Méheust, qu’en se fermant à la métagnomie1, et en faisant une part de reine à la psychanalyse freudienne, la culture aurait choisi de verrouiller la personnalité sur des bases assurées et garanties, contribuant ainsi à transformer l’homme en objet.
En d’autres termes, la psychanalyse freudienne, en effaçant la plupart des questions soulevées par les magnétiseurs puis par les métapsychistes, sur la nature de la vie psychique et sur la structure du sujet humain, a grandement contribué à brider pour la rationalité moderne les avancées trop dérangeantes des recherches psychiques. En ce sens, elle a remplacé l’entrave à ces recherches qu’avaient été, jadis, les commissaires et l’hypnologie médicale ; et elle a camouflé cette opération défensive et conservatrice en se déclarant révolutionnaire ! N’oublions pas que les premiers magnétiseurs, contemporains de la Révolution française, portaient profondément l’esprit de cette Révolution. Ils pensaient que, grâce aux pouvoirs révélés par leurs recherches, l’homme allait pouvoir créer une société où liberté, égalité et fraternité ne seraient pas des vœux pieux, la fraternité étant comme consubstantielle à notre être d’abord relationnel. Freud est venu dévitaliser cet espoir de changements moraux et sociaux profonds que les magnétiseurs soutenaient : il a infléchi le chemin de cette nouvelle liberté qui était en promesse, dans un sens convenant aux intérêts de la société bourgeoise montante et dans un sens convenant à ses intérêts personnels. En apportant une petite touche de canaillerie (sexuelle), il nous a, certes, donné un peu de liberté mais sans danger pour les pouvoirs dominant-dominé en place sur fond de compétition industrialo-marchande2. Si Freud et ses théories avaient aidé grandement à libérer la société des rivalités fratricides qui pervertissent le progrès moral, cela se saurait ; vu le nombre de gens passés sur les divans depuis plus d’un siècle, notre évolution éthique devrait être criante. Or, il n’en est rien. Nous nous enfonçons toujours plus avant dans l’irresponsabilité sur fond d’égocentrisme pur et dur. En d’autres termes, la psychanalyse s’est développée au détriment d’autres possibles abandonnés et d’autres voies inexplorées ; le champ de la connaissance de soi qu’elle prétend avoir ouvert est très limité. Les phénomènes dégagés par les magnétiseurs sont beaucoup plus subversifs pour la rationalité occidentale que les apports de la psychanalyse. De son déficit à penser ces phénomènes, la psychanalyse a fait une supériorité, ignorant les devanciers que furent les magnétiseurs pour se poser dans une sorte de commencement absolu. C’est donc une question malheureusement toute triviale de rivalité qui a conduit les psychanalystes à oublier les magnétiseurs et leurs recherches déjà très avancées. S. Freud a pourtant reconnu un temps que la télépathie (et donc l’idéoplastie1et l’interconnexion des consciences qu’elle suppose) constituait un défi pour sa doctrine : mais, loin de le relever, il l’a systématiquement clivé de sa pensée. Et lorsque Jung et Ferenczi ont voulu réintroduire ces phénomènes dans leur approche thérapeutique, il les a bannis de sa société. Pire, dans un esprit guerrier et très autoritaire (Caïn et Abel, toujours omniprésents !), Freud et ses « héritiers » ont fait ensuite de la psychanalyse une discipline toute-puissante prétendant rendre compte du fonctionnement entier de la psyché ; ils ont donc rejeté non seulement les « dissidents » et leurs approches théoriques mais aussi les travaux de leurs prédécesseurs susceptibles d’ouvrir beaucoup plus largement la compréhension de ce que nous sommes. Je le répète, les magnétiseurs et les psychistes produisaient et réfléchissaient sur des matériaux très différents de ceux qu’a retenus la psychanalyse. Les nouvelles dimensions à l’oeuvre en chacun, qu’ils avaient commencées à nous montrer, doivent être maintenant réhabilitées ; pour qu’elles retrouvent leur force révolutionnaire qui nous permettrait d’évoluer plus avant, nous devons les dégager de l’emprise de la psychanalyse freudienne (puis lacanienne) qui les a éliminées.
Donc, il me semble intéressant de nous interroger sur la façon dont Freud a peut-être contribué à aliéner les promesses de progrès dont le magnétisme était porteur, et à nous engager dans cette impasse morale actuelle. En nous dégageant de l’emprise toute-puissante de la psychanalyse, qui perdure encore aujourd’hui, il importe maintenant de repenser cette dimension encore bien mystérieuse en l’humain sur laquelle s’étaient focalisés les magnétiseurs. Car les formes d’expériences relationnelles mises en évidence par le magnétisme transcendent naturellement l’ego, et donc potentiellement l’égoïsme ; elles remettent au premier plan l’amour et non le pouvoir. Elles témoignent de notre participation profondément mystique avec la création. Elles nous disent que notre soif de domination et nos destructions conséquentes sont liées à un choix culturel et que nous pouvons encore emprunter une autre voie, tant qu’il est temps. Aussi, elles nous enseignent qu’oser perdre notre présence au monde, défensive et égocentrée, peut nous permettre de renaître à la vie d’une façon beaucoup plus évoluée, plus intelligente, plus libre, grâce à une solidarité qui conforte notre identité, au point que nous puissions abandonner parfois nos intérêts personnels quand l’urgence est à l’amour. Grâce à elles, peut-être allons-nous ouvrir notre devenir en quittant l’enfance de l’humanité, pour grandir jusqu’au stade du souci.
Quant à J. Lacan…
Quant à Lacan et son école Freudienne, il a méprisé encore davantage la relation d’attachement en exerçant un pouvoir abusif des plus omnipotents. Sous couvert de faire lâcher prise à l’ego1, de « désêtre » à provoquer, il déprivait radicalement les patients d’un élémentaire soutien et de leurs repères idéologiques habituels, les confrontant à un vide soudain. Il aurait dû dire « désego » pour être plus juste avec le projet intellectuel qui semblait le mener. « Désêtre » s’est avéré être un lapsus qui montre la teneur cachée de son intention réelle : tuer l’être et la confiance en l’autre (sans doute, pour mieux exercer sa domination toute-puissante). Et l’analyste, qui devait « faire le mort » selon son dire, signifiait là encore: tuer la relation d’attachement dont l’être humain, à l’instar de tous les autres mammifères, ne saurait se passer sans dépérir. Pour le patient qui venait faire une thérapie de la relation, se heurter à la présence d’un « mort » avait de quoi le plonger dans la confusion. En produisant cette déroute, Lacan prétendait faire vaciller ses patients salutairement. Or, si l’on veut vraiment que le sujet renonce à des certitudes qui l’aveuglent trop souvent, et à une maîtrise excessive qui paralyse ses forces vives, cela ne peut se faire que très délicatement, sinon la personne est précipitée dans un gouffre désintégrant. C’est effectivement ce que la brutalité du traitement lacanien pouvait produire de pire, surtout quand cette violence était faite aux moins armés, aux moins établis dans la vie, et aux jeunes plus sensibles à l’influence et plus perméables à l’autorité de l’adulte.
Une certaine quête de vérité motive la démarche analytique. Lacan voulait en faire un faux-semblant ; puisque toute objectivité était limitative, et donc quelque part fausse, comprendre revenait à poursuivre une illusion, telle était sa logique. Il fallait donc renoncer à comprendre, et donc y faire renoncer de force. Que l’analysant parvienne à ne plus vouloir se raconter et qu’il cesse de croire que quelqu’un, l’analyste « supposé savoir », pourrait lui expliquer ce qu’il vit, la violence du silence de l’analyste qui « fait le mort » devait produire ce renoncement. Or comprendre, se comprendre, s’appuyer sur des vérités quand bien même elles sont relatives et imparfaites, personne ne saurait s’en passer radicalement. De plus, nous avons besoin d’appuis extérieurs autant qu’intérieurs, pour que notre identité ne se perde pas d’être sans repères. Priver d’objectivité, sous prétexte que cela ne servirait qu’un pouvoir d’emprise, risque sur un autre plan de précipiter dans un vide catastrophique. Le patient vient pour être compris, parce qu’il a manqué de compréhension parentale et fraternelle, et que c’est essentiellement cela qui lui a fait violence, le privant de liberté et de santé. Comprendre n’est pas seulement exercer une emprise possessive ; c’est aussi, sur le plan psychoaffectif, être aimé. En ce sens, être compris revient à être aimé. Renoncer à cette compréhension, comme Lacan l’imposait, revenait à être encore plus privé d’amour et donc encore plus malade, au lieu d’être soulagé du plus gros de sa souffrance.
L’ironie et le sentiment de supériorité méprisante, qui accompagnaient la démarche de Lacan, nous le montrent dans un amour de soi des plus narcissiques (dont il voulait au premier chef priver les patients, possiblement perçus comme des rivaux potentiels, dans la compétition pour le pouvoir qui l’animait inconsciemment), et d’une cruelle indifférence par rapport au mal qu’il commettait. S’en prendre au moi, comme une entité close1, et s’acharner à le débouter par la force, vient participer d’un terrorisme idéologique des plus redoutables. Que la vérité ne soit « pas toute », c’est au patient de le trouver-créer en quittant de lui-même ses illusions infantiles : lui imposer cela de façon autoritaire, dans la soumission, est d’une malfaisance sans nom, qui produit bien sûr des effets contraires à ceux intellectuellement déclarés. Certains ont réussi à se tirer à peu près saufs de ce type de traitement terroriste, souvent en singeant le modèle que le psy leur montrait ; résultat, ils se blindaient encore davantage dans leurs défenses égocentriques, en devenant des dominants sans foi, ni loi, d’une omnipotence crasse, tout disposés à perpétuer le mal de façon perverse.
Si Lacan avait été un artiste dans le show bisness, il aurait été possiblement comme un Serge Gainsbourg, défiant et provoquant le bourgeois avec ses simagrées d’enfant omnipotent. Cela aurait été moindre mal : un artiste n’est pas un thérapeute. Mais Lacan, drapé narcissiquement dans des postures intellectuelles, jouait avec l’équilibre et la santé des individus, et les croche-pieds qu’il leur faisait pour les déstabiliser pouvaient avoir des conséquences gravissimes, c’est-à-dire violenter leur confiance existentielle et les plonger par là même dans un désespoir épouvantable. Lorsque des idées font autorité et sont appliquées à la lettre, alors qu’elles ne sont que des dadas d’intellectuel vedette cherchant à séduire pour établir son empire, elles ne sont que les emblèmes du pouvoir d’un pervers, et elles peuvent conduire au pire.
Heureusement…
C’est l’abus de pouvoir qui rend malade d’impuissance et de désespoir. Heureusement, du côté des psychothérapies, il n’y a pas eu que ces deux extrémismes, l’un à tendance machiste et l’autre pervers. En ce vingtième siècle, si l’individu cherchait à progresser dans la connaissance de soi et dans la compréhension de sa condition, il y avait aussi la branche jungienne de la psychanalyse et le courant ferenczien magnifiquement enrichi par les apports fondamentaux de Donald Winnicott (et par les travaux du groupe des Indépendants britanniques dont il faisait partie). Les psychanalystes contemporains ayant un élémentaire bon sens, se réfèrent à ce thérapeute et théoricien hors pair, qui a tenu le plus grand compte du développement psychoaffectif de l’enfant au stade de l’attachement, avant que l’individuation soit. Il a éclairé ce stade de la dépendance, qui avait été laissé en souffrance par Freud (rendant ses théories trop approximatives et parfois fausses). Il a aussi révélé l’importance, en nos vies, de ce qu’il a nommé l’espace transitionnel (et il a conjointement défini la nature de l’objet transitionnel). Cet espace, entre attachement et séparation, est disait-il « Le lieu où nous vivons » ; c’est un terrain où peut se déployer notre jeu existentiel, au sens où jouer est essentiel pour articuler les contraires liés à notre condition, afin de ne pas être déchirés par eux. Cet espace est donc le lieu de la créativité en action, qui permet au soi d’exister en sa continuité et, conjointement, d’exister en relation avec les autres. Pour D. Winnicott, toute psychothérapie devait viser à rétablir cette capacité de jeu grâce à laquelle l’individu existe de façon créative à partir du soi, ce qui est l’inverse de la soumission. L’espace de l’illusion était l’autre façon qu’il avait trouvé-créé pour nommer l’aire des phénomènes transitionnels, ainsi que pour valoriser l’imaginaire. Pour clarifier son propos, il me faut ajouter qu’il distinguait deux façons d’imaginer : l’une par laquelle le sujet fuit la réalité pour se réfugier dans un monde parallèle (où il peut aller jusqu’à délirer) et l’autre, au contraire, qui lui permet d’apprivoiser la réalité, de la faire sienne en la transformant grâce à sa créativité. A l’inverse donc de l’imagination défensive, qui coupe les rapports et les liens, cette imagination créative relance la continuité d’existence et la fluidité des échanges entre le monde intérieur et extérieur ; elle ouvre le champ symbolique. Tel était pour D. Winnicott le sens profond du jeu : être dynamiquement et culturellement présent au monde grâce à cette participation créative personnelle.
Quant à C. G. Jung, sa nature psychique très spéciale l’a entraîné dans un univers d’images inconscientes et de visions avec lesquelles il a dû batailler et négocier dans une solitude terrible. Car il n’avait pas de magnétiseur ni de guru à ses côtés pour l’aider à faire face aux contenus de son monde primitif (qui fréquemment faisaient surface sans crier « gare » !), et à démêler les créations involontaires de son imagination qui parfois risquaient de lui faire quitter la réalité. A certains moments, au bord du précipice, il déplorait d’être seul à devoir faire face à la profusion de matériaux inconscients qui l’envahissaient. Heureusement, disait-il, sa famille et ses patients lui servaient d’ancrage. Aussi, les théories qu’il dégageait de son expérience étaient une façon de faire le tri, et de s’y retrouver suffisamment dans ce qui risquait de le déborder. Son approche théorique de la psyché est donc très originale, très liée à ce qu’il était et vivait mais lui au moins reconnaissait volontiers les sources subjectives de sa « science » analytique. Par exemple, le porte-parole de l’inconscient, il l’avait nommé l’anima : elle transmettait à sa conscience les images de son inconscient, ce qui lui permettait de ne pas être assujetti à elles mais de les reprendre sous forme de symboles pour mieux se comprendre et progresser d’autant. Mais l’anima n’avait pas que cet aspect positif : elle pouvait être d’une grande force de séduction et d’une rouerie sans borne qui pouvait anéantir son homme1. Ce qui lui faisait dire que, face à la prégnance de ces phénomènes inconscients, c’est toujours le conscient qui doit rester décisif, qui doit comprendre ces manifestations souvent étranges, les apprécier et prendre position à leur endroit (c’est de cela dont étaient chargés les magnétiseurs vis-à-vis de leur magnétisés, de les guider et de les aider à tirer le meilleur parti, pour leur santé, de l’expérience qu’il faisait grâce à ce contact entre le soi caché et le moi). Alors qu’il est la matrice de l’imagination créatrice, ce monde inconscient peut aussi plonger l’individu dans une confusion inextricable. Tout cela s’entend bien, si l’on considère que cette psyché primitive résulte de l’époque où nous étions encore dans l’indifférenciation et donc, potentiellement, dans la confusion. C. G. Jung n’a pas cessé de crier « Gare à la tentation fusionnelle ! » Et pour cause : il était le premier à craindre d’être happé par du maternel originel, en vertu d’un penchant très fort qu’il avait à partir en cette dimension de la vie où miroitent l’harmonie et le paradis1. Mais restant, envers et contre tout, essentiellement un scientifique, il se ressaisissait toujours à temps. Conscient de ce type de danger, qui toujours guette l’humain (fuir en paradis), il en appelait à une responsabilité vis-à-vis de ces images, pour se libérer de l’archaïque maternel que nous avons au coeur et de sa séduction potentielle. Là encore, disait-il, il lui était indispensable d’avoir une vie très rationnelle et de rester très attaché (comme Ulysse à son mât pour ne pas être tenté de rejoindre les sirènes) à ses recherches scientifiques, afin de s’arracher aux images et de ne pas succomber à leur puissance, lorsqu’elles devenaient un tourbillon risquant de l’engloutir. Il ajoutait : « Sinon, ce matériel se serait agrippé à moi comme des teignes de bardane, ou m’aurait enlacé comme des plantes de marécage. Je mis donc le plus grand soin à comprendre chaque image, chaque contenu, à l’ordonner rationnellement –autant que faire se pouvait- et surtout à le réaliser dans la vie.»2Surtout il ne fallait pas devenir un illuminé (ou un allumé) en succombant à leur charme et aux biens délicieux qu’elles faisaient miroiter. Pour C. G. Jung, succomber en étant séduit était la source du mal humain (ce que je pense aussi). Il disait : « L’homme ne doit plus succomber, pas même au bien. Un prétendu bien auquel on succombe, perd son caractère moral. Non pas qu’il soit devenu mauvais en lui-même mais il détermine des conséquences mauvaises, simplement parce qu’on y a succombé. Quelque forme que révèle l’excès auquel on s’adonne, il est nuisible, qu’il s’agisse indifféremment d’alcool, de morphine, ou d’idéalisme. On ne doit plus se laisser séduire par les contraires »3, sinon c’est l’extrémisme et son cortège de destructions potentielles qui nous rattrape (c’est moi qui l’ajoute). Ainsi, fort de son expérience hors norme de visionnaire, et à condition de rester très vigilant avec le monde de l’invisible, Jung estimait qu’un véritable processus d’individuation passait par ces rapports que le moi savait tisser avec l’inconscient ; ces rapports pouvaient déclencher une évolution, voire une métamorphose véritable de la psyché. C’est pourquoi, bien loin de la façon négative dont Freud voyait l’inconscient (parce qu’il s’en tenait, sans doute, à la face noire de l’anima et à ses pouvoirs maléfiques), comme les « écuries d’Augias », disait-il, qu’il s’agissait de nettoyer, Jung nous invitait à apprendre à utiliser ses richesses et ses lumières pour individuellement grandir le plus possible en maturité et en sagesse. Ne pas se couper de sa part d’ombre, mais apprendre à faire communiquer fructueusement sa psyché primitive avec sa conscience vigile est ce à quoi il s’est évertué toute sa vie, et ce à quoi il invitait l’homme à venir : « Nul arbre noble et de haute futaie n’a jamais renoncé à ses racines obscures. Non seulement il pousse vers le haut mais aussi vers le bas. »
Bien que leurs approches soient très différentes et propres à l’originalité de chacun, C. G. Jung et D. Winnicott sont les théoriciens de la créativité, et de la santé liée à cette vitalité-créativité qui nous permet d’être suffisamment en accord avec la création donc, par extension, avec notre condition. Ce sont également des penseurs de « la voie du milieu » à emprunter, si nous voulons échapper à nos folies extrémistes, à nos dominations abusives, à nos violences de Caïn et Abel. Ce sont nos tissages transitionnels qui nous permettent de gérer « au milieu » notre condition duelle, dans un mouvement insaisissable de chevauchement et d’alliage des contraires (de type placentaire), possible lorsque la créativité parvient à empêcher le déchirement. Dans l’entre-deux transitionnel, le mouvement fécond par lequel nous nous accordons à la création, est rencontre des différences, lesquelles alors se dissolvent en continuité d’existence et non en guerre. De ces traversées transitionnelles, chacun peut ressortir bien vivant et rasséréné en son identité séparée. Et lorsque les opposés trouvent à s’accorder, grâce à une logique paradoxale, les heurts potentiels se diluent dans une fluidité relationnelle : alors, une autre vérité peut en naître, ouvrant un chemin de transcendance.
A l’instar des magnétiseurs, Jung et Winnicott savaient que ce sont l’amour et le respect qui portent à la santé, la soumission et le mépris qui rendent malade. « Volonté active vers le bien ; croyance ferme en sa puissance ; confiance entière en l’employant » ; cette formule dont se réclamait l’esprit du magnétisme vaut pour toute approche thérapeutique. La puissance restauratrice de l’imagination est une fonction naturelle, comme l’avaient si bien pensé les magnétiseurs et tous les vrais thérapeutes qui leur ont emboîté le pas. Et la force, la confiance, la bonté que deux individus peuvent se communiquer (d’une façon qui se rapproche beaucoup de l’amour que dispense à son bébé la bonne mère-fée) nous irrigue de vie et peut produire des miracles.
Extraits d’ Etre un résistant de chaque jour
Dans mon ouvrage, J’accuse la dérive de la psychanalyse, j’avais abordé, sous un certain angle, les sujets du chamanisme1et de l’hypnose. J’avançais l’hypothèse psychologique que derrière l’altérité supra humaine située hors de l’histoire par ces populations, se profilait peut-être la mère originaire, cette mère perçue par le bébé de façon indifférenciée avant qu’il naisse à son histoire personnelle d’individu différencié, séparé d’elle. Comme je l’ai déjà dit, avant d’advenir à ma condition d’individu, je suis le tout relationnel que je forme avec ma mère et avec mon environnement ; je suis en quelque sorte dans un vécu anhistorique, hors de l’espace et du temps, commun aux sujets déjà différenciés les uns des autres. Ma conscience première résulte de cette expérience fusionnelle là : elle en a les contours flous. Mes perceptions et mes repères existentiels sont d’abord issus de cette interpénétration relationnelle qui caractérise mon vécu ; ils ne sont donc pas seulement reliés à mes sens et éprouvés personnels. Car « je » (pas encore un je) suis une éponge ; mon moi naissant absorbe tout ce qui vient de ma mère-environnement1. Sur mon soi balbutiant, son pouvoir s’exerce de façon toute-puissante. Tout ce que ma mère me fait vivre par ses soins bons ou mauvais va sauvegarder plus ou moins bien ma continuité d’existence et ma vitalité-créativité naissante. Ce qu’elle insuffle en moi me devient consubstantiel, va faire comme partie de moi, quelque part me posséder, en bien comme en mal. Lorsque, plus tard, dans la vie, je suis en difficulté, mal adaptée à ma condition, j’ai besoin de retrouver la figure et les pouvoirs de cette entité parentale originaire bonne et toute-puissante, capable de restaurer la vitalité qui me manque, capable de me redonner la santé comme par magie, tellement son influence reste immense sur la partie la plus profonde de mon existence. Mais cet autre originaire n’est pas toujours bon ; son influence immense peut être aussi très nocive. C’est la raison pour laquelle, le patient adulte peut croire qu’un Autre est la cause de sa maladie. En ses parties indifférenciées, qui continent en lui d’exister, cette logique a tout son sens. Le parent originaire, la mère au premier chef, est effectivement cet Autre tout-puissant qui a le pouvoir magique de porter notre vitalité ou de l’effondrer. C’est pourquoi, dans les Sociétés Traditionnelles, le chaman1est là, entre deux mondes, comme un intercesseur qui a l’intelligence et le pouvoir d’obliger l’entité qui possède la personne malade à redevenir bonne, vecteur de santé. Situé dans un espace-temps originaire, que je rapporte à celui du bébé, le chaman m’apparaît comme une figure paternelle protectrice et pleine d’autorité, sommant la mère anhistorique toute-puissante de relâcher son emprise mauvaise et de redevenir bienveillante, afin que le patient en souffrance puisse se réinscrire heureusement dans son histoire actuelle.
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Les pratiques thérapeutiques occidentales aujourd’hui escomptent elles aussi entraîner une transformation salvatrice. Chacune, d’une façon qui lui est propre, produit des états psychiques moins individués, au sens de moins défensif, pour élargir le champ perceptif habituel de la personne, et la faire pénétrer dans un ordre de réalité « autre » que celui de la vie de tous les jours. Isolement dans un cabinet, attention flottante, association libre, travail sur le rêve, hypnose, etc., sont autant de méthodes visant à permettre au sujet de se détacher des ses repères habituels, pour pouvoir accéder nouvellement aux ressources vives et créatives en lui dormantes ou figées sous le carcan de ses défenses. Au sein d’un transfert, qui est un rapport de confiance originaire rejoué avec le thérapeute, libérer du faux soi paralysant la créativité du patient, pour le faire retrouver la vitalité réparatrice de son vrai soi, tel est le projet plus ou moins bien conceptualisé par ces diverses thérapies. L’ouverture et les réajustements psychoaffectifs qu’elles permettent peuvent effectivement ouvrir le sujet à sa liberté, le ramener à une présence plus libre ; quant à opérer une transformation profonde, cela est assez rare. Réparer ses traumas les plus originaires me semble illusoire. Reste la possibilité très précieuse d’apprendre au patient à se positionner autrement face à l’existence et face à lui-même, à retrouver une qualité de présence qui change sa perception du monde, et qui, par extension, allège ses difficultés ou les rend caduques. D’une part, il s’agit de lui faire considérer avec réalisme sa condition humaine en son imperfection, pour qu’il discrimine ce que l’on peut attendre de la vie et ce qui est de l’ordre de l’illusion qui nous égare. Considérant alors ce que la vie ne peut pas lui donner, de lui-même il en viendra à renoncer à ses désirs irréalistes, au lieu de souffrir en vain de frustration et d’amertume. En d’autres termes, pour être mieux accordé à sa condition, et donc moins malade de déceptions et d’impuissance, l’individu seul doit faire son bout de chemin ; il lui faut grandir pour regarder la réalité de son humaine condition avec lucidité, au point d’abandonner les imaginations qui le font souffrir. Ce désenchantement ramène à une présence au monde plus vraie qui permet de penser et d’agir de façon plus constructive et respectueuse. Quant aux facteurs externes, qui contribuent à le rendre malade, l’individu aura d’autant plus de prises sur eux qu’il sera suffisamment fort de sa liberté et de sa créativité reconquises sur les illusions qui l’assujettissaient.
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Dans le domaine des thérapies contemporaines, la psychanalyse lacano-freudienne mérite un traitement à part. Sans doute nourri de lectures sur les Sociétés Traditionnelles, leurs rites, leurs mythes et leurs pratiques thérapeutiques, et voulant transformer magistralement ses patients, Lacan a instauré une pratique désindividuante radicale nommée par lui « désêtre ». Sous couvert de couper l’individu de son ego défensif, il préconisait de plonger le patient dans un vide relationnel, ce qu’il faisait comme thérapeute (il nommait cela, faire le mort), invitant tous les psys se réclamant de lui à le suivre. La violence qui était ainsi faite au patient pouvait produire le pire (j’en parle au passé, mais malheureusement cela continue encore aujourd’hui)1. Lacan auraient dû s’en tenir à exprimer ses inspirations uniquement dans le champ artistique ; passées dans le domaine thérapeutique, elles ont été éminemment nocives, criminelles même, le « désêtre » produisant des désintégrations graves menant parfois au suicide.
Dans les Sociétés Traditionnelles, la désindividuation comme traitement est soutenue et partagée dans l’empathie par toute la communauté qui fait « holding », comme disent les anglo-saxons ; ainsi, la perte des défenses est enveloppée par ce filet de sécurité relationnelle, ce qui préserve la personne d’une désintégration catastrophique. Lacan faisait institution à lui tout seul, imposant ses lois thérapeutiques d’autorité toute-puissante ; c’est là le propre du pervers. De plus, dans nos sociétés encore gorgées de moralité catholique, l’inconscient freudo-lacanien est quelque chose de mauvais, les écuries d’Augias, disait S. Feud, pleines du fumier de nos désirs interdits et refoulés. Alors, lorsque le patient était arraché, de façon lacanienne, à ses défenses, il tombait dans la fosse à purin de cet inconscient, parfois jusqu’à s’y noyer de façon infernale. Au lieu de retrouver sa présence, il la perdait, se dissociait gravement, au point de se traîner ensuite dans une dépression chronique, s’il ne mettait pas fin à ce cauchemar par un suicide. Certains se récupéraient de cette violence subie, en devenant à leur tour des pervers (des psy pervers, parfois), occupant leur vie à faire endurer à autrui le même genre de sévices.
Nous sommes bien loin du vrai soi, auquel les pratiques les meilleures s’efforcent de ressourcer leurs patients, lequel vrai soi anhistorique peut être considéré comme une partie inconsciente de notre personne porteuse de vitalité et de créativité apaisée et apaisante, et donc pleine de ressources bonnes. C’est cet inconscient non freudien en chacun que le thérapeute vrai et respectueux doit tâcher d’activer afin que le patient revienne à la santé.
(Je tiens à prévenir que je ne me prêterai à aucune audition ou polémique dans les médias audio et télévisuels ; où il m’importe d’être entendue ne se réduit pas à ce débat actuel autour de la psychanalyse. Je renvoie donc qui est intéressé par les propos tenus en ce petit opuscule, à mes dix ouvrages déjà publiés ; si un jour ma philosophie intéresse, je prendrais alors ma place comme il convient dans le débat public.)
Les extraits qui suivent sont pris dans trois de mes ouvrages publiés aux éditions L’Harmattan. J’ai écrit aussi, il y a plusieurs années (6 mois avant le Livre noir de la psychanalyse), un ouvrage intitulé J’accuse la dérive de la psychanalyse, centré bien sûr sur cette discipline. Comme il a été publié chez un autre éditeur (les éditions du Cygne), je ne peux pas l’adjoindre à cette
Extrait d’une communication orale
Pris dans ce bain idéologique dominant, l’individu contemporain en rajoute : il refuse le plus souvent de considérer l’influence de l’environnement et les interdépendances permanentes avec lui. L’environnement dont nous sommes si dépendants contrarie notre prétention à une autonomie idéale et à une présence assurée. Au regard de ces défenses moïques foncièrement anti-magiques, l’hypnose pour la plupart des gens signifie d’abord manipulations et influences privant de liberté. Et la psychanalyse freudienne n’a pas coupé à ce préjugé ; elle a laissé croire aux patients que grâce à sa méthode ils échapperaient aux influences aliénantes, qu’ils garderaient le contrôle des évènements dans la cure, alors que parallèlement elle les assujettissait à un inconscient mauvais, gros des pires pulsions refoulées, sans leur montrer l’existence ni l’accès à un inconscient relationnel non pulsionnel et salvateur.
Dans son mouvement de conquérir le champ des psychothérapies, Freud a également renoncé à sa première théorie de la séduction qui était pourtant beaucoup plus juste que celle du fantasme qui l’a supplanté. Car si nous avons des fantasmes, ils se sont d’abord tramés à partir de ce que nous avons vécu dans la dépendance à notre environnement affectif premier. La séduction originaire, c’est la soumission de notre vitalité-créativité, que nous avons vécu à cause du manque d’adaptation de nos parents qui ont laissé notre continuité d’existence être empiétée par la pulsion. La séduction est d’abord cet assujettissement là, à l’adulte inconséquent qui n’a pas su nous élever. C’est cela que Freud n’a pas vu à s’en tenir à la séduction au sens sexuel du terme. A sa suite, les psychanalystes ont continué de vouer une attention particulière à l’aspect pulsionnel du mode de relation à l’objet, en même temps qu’ils négligeaient l’identité sujet-objet qui est le fondement de la capacité d’être. Cette négligence et cette focalisation sur le pulsionnel au détriment du relationnel sont à l’origine des dérives séductrices de la psychanalyse qui peuvent traumatiser nouvellement le patient et aggraver son désespoir. Conscients de ces risques, les psychanalystes empathistes, depuis S. Ferenczi, ont remis au premier plan la relation d’attachement et l’importance déterminante du comportement de l’environnement ; ils se sont gardés également de renvoyer le patient à sa solitude et à ses fantasmes en le rendant seul responsable de ses difficultés. Ces psychanalystes empathistes considèrent que « le problème central de la source de la créativité indissociable de la santé réside dans l’environnement, pas dans l’individu en tant qu’être isolé. »
1Dans mon ouvrage, J’accuse la dérive de la psychanalyse, je développe longuement ces questions.
1Le livre noir de la psychanalyse tâche de faire la glasnost sur les méfaits d’une telle psychanalyse. Mais, dans cet ouvrage, la charge contre la psychanalyse est parfois si grossière qu’elle perd en pertinence et prête le flanc à des réactions de rejet, d’où le risque que le message salutaire qu’apporte ce livre ne soit toujours pas entendu.
1A nouveau, nier l’influence ou la suggestion est une hypocrisie. Les êtres n’arrêtent pas d’interférer les uns sur les autres donc de s’influencer mutuellement. Pour défendre notre part de créativité, mieux vaut le savoir que de le nier ; savoir permet de se garder de l’influence aliénante et de profiter de celle qui nous rend confiant et plus fort en notre liberté.
1La métagnomie est la connaissance de choses réputées inconnaissables selon l’expérience ou le sens commun.
2La sexualité, que la psychanalyse a contribué à libérer, est devenue un objet de consommation des plus prisés et des plus rentables, renforçant souvent le rapport maître-esclave sous forme d’assujettissement à soi-même, à sa pulsion sexuelle impérative. Nous devons donc défricher d’autres voies de liberté pouvant mieux échapper à cette récupération.
1Idéoplastie veut dire modelage par l’idée de la matière. L’idée centrale des métapsychistes est, qu’à travers les états somnambuliques, l’être humain serait capable de mobiliser les ressources de ce dynamo-psychisme qui sont habituellement hors du contrôle de la conscience et de la volonté et de faire ainsi retour au pouvoir architecte et à la plasticité relationnelle de la vie.
1Ce qui pourrait sembler rencontrer ce que je dis plus haut. Mais Lacan avait la faculté de prendre les meilleures idées flottant dans l’air du temps, pour les distordre à sa façon, détruisant ainsi ce qu’elles portaient de juste.
1Bien que je dénonce la clôture du moi lorsqu’elle nous rend inaccessible à d’autres dimensions précieuses de notre être (parfois en les éliminant), je refuse qu’elle soit attaquée avec une telle violence.
1Nous retrouvons, sans doute ici, en d’autres termes, les deux aspects de la mère archaïque, fée et sorcière, tels que j’en avais parlés à propos de la position dépressive.
1La plupart des gens qui se livrent à des expériences participant de ce monde de la psyché profonde dérapent dans la passion de l’irrationnel, ou deviennent des « trafiquants du mystère », comme le disait si joliment William James.
2C. G. Jung, Ma vie, page 309, Folio, Paris, 2005.
3C. G. Jung, Ma vie, page 515, Folio, Paris, 2005.
1Le mot chamanisme désigne une représentation du monde reposant sur l’idée que tout ce qui existe est issu d’un principe vital essentiel, et que tous les éléments de la création sont en interaction permanente.
1Expression de Donald Winnicott qui vise à rendre compte du fait que mère et environnement sont confus et indistinct pour le tout petit, comme tout ce qu’il vit ; que sa mère est aussi cet environnement relationnel premier dans lequel il baigne complètement et qui doit le porter et l’envelopper pour qu’il ne soit pas à l’agonie, comme l’eau porte les poissons.
1Le mot chamane vient de saman, « celui qui sait » en langue toungouse, une ethnie de Sibérie orientale. Il est été adopté à partir XVII siècle dans nos contrées pour désigner le sage guérisseur et intercesseur avec le monde de l’invisible, qui oeuvre dans les sociétés premières.
1Je parle longuement des méfaits de la psychanalyse freudo-lacanienne dans trois de mes ouvrages : J’accuse la dérive de la psychanalyse, Tous fous, Vers une transcendance laïque.