Démocratie (contributive)

Démocratie (contributive)

Il est plus facile de s’entendre sur ce que la démocratie n’est pas, que de dire ce qu’elle est. Si la démocratie n’est pas l’addition du droit de vote et du libre marché, qu’est-elle ? Ceux qui veulent réduire la démocratie au suffrage universel oublie que l’histoire du suffrage universel n’est pas séparable de celle de l’école : la participation citoyenne implique le savoir-lire et le savoir-écrire ; ils ne veulent pas voir, en outre, que l’abstention est massive.  

Si la démocratie est le pouvoir du peuple, le peuple n’existe qu’en tant qu’il ne cesse de s’instituer : c’est un idéal, une consistance – il consiste plutôt qu’il n’existe. « Le peuple » n’est ni « les pauvres » (ou la plèbe, ou les gueux), ni l’unité de la Nation qui est toujours multiple. Ce peuple qu’est le démos n’est pas un individu, mais un processus : c’est un régime fondé par l’accès critique de tous aux principes constitutifs de la transindividuation qui relie le psychique au collectif, cet accès critique étant lui-même rendu possible par un type spécifique de rétention tertiaire que le citoyen doit adopter à travers une éducation politique qui commence avec le skholeion grec.

Le mariage de la démocratie et de la télévision pourrait produire une émission de téléréalité pour une élection politique – en sommes-nous si loin ? La démocratie est ce que ruine la télécratie. La télécratie  a produit la pire des situations : une démocratie participative non-représentative, soit une démocratie sans peuple parce que sans idéal du peuple. Une démocratie de l’audience où on ne sait plus qui de la télévision ou du représentant du peuple commente ce que dit l’autre.

En s’inspirant librement de Macpherson[1], on peut distinguer quatre idées de la démocratie : la démocratie de protection (garantissant la sécurité et protection des biens) ; la démocratie d’épanouissement (garantissant l’aspiration à l’épanouissement personnel, trop vite réduit au « pouvoir d’achat ») ; la démocratie d’équilibre (garantissant la régulation de l’offre et de la demande en s’appuyant sur un système de parties politiques comparables à des entreprises concurrentes) ; la démocratie participative, qui est la seule véritable pour autant qu’elle n’exprime pas à son tour un individualisme conçu comme l’affirmation d’une propriété (« individualisme possessif »).

Ce que l’on a pu appeler la démocratie participative en l’opposant à la démocratie représentative est un leurre tout proche d’une conception populiste de la démocratie. Ou bien la démocratie est participative et représentative, ou bien ce n’est pas une démocratie.

Peut-être vaudrait-il mieux alors parler de démocratie contributive, pour repenser la représentation à partir de la contribution, ce qui nécessite la conception et la mise en œuvre d’une technologie politique spécifique. La démocratie participative comme démocratie de « n’importe qui »[2], n’est pas nécessairement une démocratie de n’importe quoi. Ce pourquoi la participation citoyenne est toujours subordonnée à l’intelligence des milieux contributifs.

Il n’y a pas d’espace public – ni a fortiori d’espace démocratique – en dehors de techniques ou de technologies de publication. De toute évidence, l’espace numérique et planétaire de publication requiert une nouvelle pensée de la constitution politique et démocratique.




[1]
Crawford Brough Macpherson, Principes et limites de la démocratie libérale, Paris, La Découverte, 1985.

[2]cf. Jacques Rancière, La haine de la démocratie, La Fabrique, 2005