Croire, oui, mais en quoi ?

Publié par mtichauer le 9 Aout, 2005 - 13:09
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         Croire, oui, mais en quoi '

 

 

         Le problème le plus singulier qui sepose à ma génération est sa volonté de croyance. Avoir 30 ans en 2005, c'estévoluer dans un monde élégiaque, au milieu de congénères soit totalementaveugles (et qui donc se donnent une réelle chance d'accéder au bonheur, à uncertain bonheur), soit tristes.

 

Autourde moi, au niveau le plus microcosmique, ce ne sont que célibats mal assumés,solitudes éprouvés, souffrances auxquelles on finit par s'habituer.L'alpha et l'oméga de notre recherche d'identité se résument à trouver une place, souvent symbolisée par unemploi, tant il est difficile d'imaginer une vie marginale dans nos sociétésindustrielles. Avancées, dit-on parfois. Exister revient à avoir sa place ...et y croire.

 

Carbeaucoup plus que l'argent qui tombe à la fin du mois, ou que l'affairegagnée, que la bielle réparée, c'est la dimension symbolique de cetteplace que tout le monde recherche : acquérir une place dans ce monde estune question d'identité. Qu'importe si cette identité est surétagère, si elle a été façonné par quelque énarque qui ouvre des postes, ouquelque chef de produit qui vend de la reconnaissance sous la forme d'un swooshsur nos baskets. Qu'importe si cette identité se retrouve sur les néons de laporte de la chapelle, première image de Paris vue de sa banlieue. Ces débatssont ceux de la génération de nos parents, pour qui l'appel était un véritableélan vers un mieux. C'était le temps du romantisme américain ousoviétique, les bleus et les rouges, les bons, les méchants, le temps des idéesfortes, des énergies libérées.

 

Avoirtrente ans aujourd'hui, c'est vivre au temps des idées faibles : qui oseradire que ma génération est moins intéressante que celle de mes parents 'Que même s'ils ont trahi leurs rêves, au moins eux, ils ont rêvé. Qui oseradire que les 'jeunes' sont plus incultes, plus mous, plus détestables que leursparents ' Il y aura toujours un sociologue bourdieusien pour m'expliquer 'à juste titre ' que ceci tire ses racines des héritages ou de l'habitus de telou tel groupe. Il me dira aussi que les pressions sociales subies par cesgroupes sont bien différentes de celles subies pendant les trente glorieuses.Peu me diront, et c'est bien dommage, que ma génération est détestable,justement parce que ses rêves sont étriqués.

 

Fermos les yeux. Panorama.Installé dans un fauteuil, soirée parisienne ou lyonnaise ou gaillarde-la-briviste. Des gens, latrentaine évidemment.

Ily a là l'intellectuel, qui se présente de facto comme précaire, par oppositionà son contrepoint bourgeois (lire : riche). Beaucoup d'idées, beaucoup deconcepts, beaucoup de citations de Spinoza ou de Zidane, on le sent bienancré dans son époque, lucide. Qu'a-t-il à proposer ' Une certaine formede résistance, contre le système ( ') ou contre son papa, un refus de ladictature de l'argent qui pourrit tout, et ces américains qui dévastent tout,et cette politique française qui n'a toujours rien compris aux aspirations des'jeunes', enfin, les siennes.

Ily a là l'anxieux qui n'a que Ben Laden ou armes nucléaires à la bouche,dévastation et pertes de libertés individuelles. L'anxieux ne parle jamais desa maman, mais on le sent nostalgique de la simplicité et de la sécurité. Il estsouvent beaucoup écouté car il a des informations de toute première fraîcheursur les débats du conseil constitutionnel ou sur la dernière idée d'ATTAC.

Ily a là l'écologiste forcené, toujours présent évidemment. Lui explique à quiveut l'entendre que nous vivons nos derniers instants de bonheur sur cetteplanète d'ores et déjà vouée à la destruction barjavellienne, et qu'il vafalloir apprendre à vivre en se serrant la ceinture. Il vocifèresur les gens qui prennent des bains, sur les 4*4, sur les sacs en plastique. Ilest certain d'être un être illuminé qui a compris quelque chose de fondamental avanttous les autres, et en bon prosélyte, se charge de nous le faire savoir. Il repartiraen vélo, et passera son prochain week-end à la montagne, après avoir loué une voiturepour faire la route.

Ily a là le rouleur de joints, hédoniste et désabusé, avec un carpe diem tatouésur le front, et des doigts tremblants, rougis par son onychophagie normale.Il en a marre de son patron, il aimerait que la recherche avance, il pointe lemanque de réalisme et de rationalisme de ses congénères. Tout le monde l'aimebien, mais sans jamais être vraiment d'accord avec lui.

Ily a là le cadre supérieur moyen, ou moyen supérieur, c'est selon. Individualisteet pragmatique, il met son énergie au service de sa famille, de sa petitecommunauté, et ne raisonne pas selon des grands enjeux. Il est logique,discret, implacable dans ses raisonnements. Parfois les autres diraient de luiqu'il est froid, au fond il rend jaloux ...

Ily a là encore le prof, tout rempli de larmes de rage de voir nos enfants subirune école devenue aveugle et incompétente. Il est à bout de nerfs, il n'y croitplus. Il va entamer sa quatrième ou sa cinquième année dans son collège, et çaempire. Plus que trente-sept ans avant la retraite.

Ily en a d'autres, un peu tous ceux là à la fois. Empreint de dégoût d'eux-même, dedésillusions venues trop tôt, de culpabilité. Ne sachant que penser, troppollués par des discours contradictoires, et surtout, incapables de s'engagervraiment dans un parti, une association, une idée. Cherchant la mesure en toutechose, mais remplis d'une violence immanente qui ne permet jamais de l'atteindre.

 

Ilssont tous fatigués. Et je leur ressemble. J'aimerais croire en quelquechose. Lepoids de nos aînés romantiques ne saurait expliquer réellement notreapathie. L'extractionpermanente de notre énergie par la publicité, l'acte compulsif d'achat,ouencore la routine consommatrice, finit par faire de nous des monstresfatigués.Monstres parce que nous nous rendons bien compte que quelque chose neva pas, qu'un cancer nous ronge, que nous sommes réellement en train demuter,et fatigués parce qu'incapables de trouver en nous la force de fairedespropositions, de croire en quelque chose de mieux. Nous sommesdétestables,parce qu'étriqués, et même ça, nous le savons. Nos parents noushaïssent parceque la seule manière que nous avons trouvé pour les emmerderprofondément est d'avoirdes désirs bas de gamme, des CD, des blousons, des fonds d'écran detéléphoneportable, toutes ces choses qu'ils ont mis à notre disposition.Condamnés à êtredes rabats joies, avec pour seul horizon la sauvegarde de ce qu'ilreste àsauvegarder à droite ou à gauche, des intégristes de la vie plussimple, des gestionnaires du déclin, mais sans l'assumervraiment, la voilà cette génération à qui l'on demande de rêverd'Europe. Une Europe divine, disait Baudrillard,  si difficile àquestionner.

 

AIest une tentative heureuse de susciter l'espoir, mais ma génération estprofondément marqué du sceau de la faiblesse, au sens nietzschéen du terme. Lechantier est donc vaste, et chaque brique posée est menacée par cette fuite libidinale,comme un seau percé. Menacée par notre fatigue à tous. Profitons-en, donc, il ya toute une idée de société à créer : post-chrétienne et hédoniste,technologique et créative, créatrice et efficace, utopique et humaine.

 

Etnos parents le savent, les utopies finissent par se réaliser. Voilà pourquoi jesuis là, parce que j'ai simplement envie d'y croire, que c'est bon d'y croire.