La prévention de la souffrance psychique

Publié par jribalet le 25 Octobre, 2007 - 13:37
Version imprimable

 


 

                                              

Résumé :

Mon propos concerne la prévention de lasouffrance psychique des enfants et adolescents. Je vais tenter d'en baliser,avec vous, quelques repères et dégager une proposition d'action.

Je vais vous proposer  un double itinéraire. Tout d'abord, nousirons au pays de l'or noir, faire un tour sur le marché du traitement et de laprévention de la souffrance psychique des enfants. Dans une deuxième partie,nous irons explorer le vaste continent de la philosophie pour enfants.

Ce double itinéraire nous permettra de mettre endébat le travail de terrain. Il s'agit d'ateliers philosophiques avec desenfants de 6ans, dans une école. Nous interrogerons, avec eux, «  les grandes questions que les hommesse posent depuis longtemps ». Donc, pas d'âge pour philosopheravec les enfants, avec « les passeurs de lumières », titre du courtmétrage. Les enfants,  « les passeurs de lumières »  auront le mot de la fin de nos journées deMontélimar, « Enfance et désordre », et ouvriront notre débat.

 

 

A -INTRODUCTION :

 

Une philosophie politique de prévention de lasouffrance psychique, c'est ce qui nous réunit maintenant. Je vais tenter enbaliser  avec vous, quelques repères etdégager une proposition d'action.

Une politique donc, cela implique l'idée d'unpouvoir, d'une action avec une Idée.

 La premièrefois que j'ai commencé à être amené à penser une politique de prévention,c'était quand j'étais interne en médecine, il y a 25 ans. C'est par le professeur Jean Bernard,l'hématologue que j'avais entendu raconter l'itinéraire d'un de ses amis, le professeur Burkitt, et celam'avait interrogé sur un certain nombre de questions qui nous réunissent.  Pour faire court, pour le professeur Bernard,l'épidémiologie ne veut pas du tout seulement dire études des épidémies, maisétude de l'environnement. C'était  trèsimportant pour lui cette préoccupation. Et c'est très important pour penser lacomplexité.

Pour Jean Bernard, ladécouverte de Burkitt   était  justement épidémiologique, et ce que vaisraconter peut aider à penser la complexité des questions de prévention  quinous préoccupent. ( 1 ). Il aimait raconter une grande découverte  faite parun chirurgien anglais ami, Denis Burkitt, qui exerçait  alors en Ouganda.  Burkitt a eu, en effet, l'extraordinaire mérite de reconnaître qu'unterrible  cancer de la mâchoire des  enfants africains qu'il opérait enOuganda,  était lié à la géographie. Il amis en évidence que ce cancer dépendait de la  longitude, de la latitudeet de l'altitude. Il était très observateur cet homme. Cette découverte de  Burkitt a eu deux conséquences. La premièreest l'identification d'un virus à l'origine de ce cancer. La deuxième, est unenotion capitale qui est parfois oubliée : celle du pluralisme des facteursde causalité. C'est à dire que une cause ne suffit pas. Il faut plusieurscauses associées et dans le cas de cette terrible cancer de la mâchoire del'enfant, il faut

·       un virus,

·       Plus le parasite du paludisme, d'où,au-dessus de 1000 m,pas de moustique, pas de parasite transmis, pas de paludisme, pas de tumeur.D'où le lien avec l'altitude de ce cancer.

·        Plus uneanomalie génétique localisée en Ouganda, comme celle qui touche les hanchesde notre Bigouden en Bretagne. D'où la condition  de longitude et  l'attitude de ce  cancer.

·       Plus la pauvreté, impliquant des facteursd'hygiène et alimentaire nécessaire dans l'apparition de ce cancer.

 S'il n'y a pas ces quatre facteurs, le cancern'apparaît pas. Un facteur, un seul de ces 4, peut, à lui seul, modifierl'ensemble, la structure même « construisant » cette tumeur de lamâchoire de  petits enfants ougandais.

 

Nous voyons bien comment leproblème est aussi, politique en terme de politique de soins, si nous avions àdécider d'une action à mener : être du coté de la chirurgie ' De lamédecine ' (soigner le paludisme), écologiques ( éradiquer les moustiques, assécher les marais),  investir dans la recherche engénétique '  du social ' (mener une action sur la pauvreté, et les facteurs hygiéno diététiques ) 'Sur quels critères éthiques décider de répartir l'action de soin, commentdécider une action sur   tel facteurplutôt qu'un autre '  Des questionspolitiques, éthiques et philosophiques se posent  donc. Nous voyons que les raisonnements binairesou réductionnistes ne tiennent pas.

Voilà pour se mettre l'espriten mouvement et aborder  la complexité denotre sujet, la souffrance psychique ; sujet éminemment plus complexe etincertain que celui posé par Burkitt, puisque liée à la subjectivité et donc, comme on le verra,  à la culture. Plus complexe, pas si sûr, carsi nous devions envisager une philosophie préventive avec Burkitt, ilconviendrait de comprendre la culture dans laquelle baignent des enfants quel'on prétend soigner. Comme le souligne le philosophe André Ouedraogo, quienseigne au master en éthique hospitalière et du soin à ParisXI : « Ne soyez pas étonnés si un homme d'Afrique noire vousdit : je suis malade mais ce n'est pas moi qu'il faut soigner ; c'estnormal. Il ne faut pas espérer le guérir tant que vous n'avez pas compris lesrepères spatio-temporels au sein desquels la maladie, le soin et la mortse trouvent leur place. »(2). Ici, en Afrique de l'Ouest, la maladie n'estque l'expression d'un désaccord collectif entre des forces invisibles( le mondedes génies et des ancêtres) et l'ensemble de la société proche de l'individutouché. On peut avoir un cancer  et êtreen bonne santé. La gravité d'une maladie peut être négligée, pourvu quel'équilibre entre les forces invisibles et le groupe soit recouvré. Il est iciindispensable de soigner la maladie symbolique.

Nous allons diviser ladifficulté de notre sujet, en se centrant sur un certain nombre de problèmesqui se  posent justement pour lasouffrance psychique. Nous les explorerons à travers un premier itinéraire aupays de l'or noir. Pour ce qui est de sa prévention, je vous proposerais un autre itinéraire, qui nous permettrade découvrir la philosophie pour les enfants. Puis  nous partagerons une  communication clinique, un travail de terrain.

 

  B- ITINERAIRE AU PAYS DE L'OR NOIR :

 

 Comme notre hexagone est à l'heure de lamondialisation, que la souffrance n'a pas de frontière, nous allonseffectuer  un cheminementintercontinental. Si cette partie vise à mettre en lumière  la souffrance au pays de l'or noir, c'est que la souffrance psychique est devenueaussi, comme la santé, de l'or noir. Nous partirons donc de la forêtparaguayenne, en passant par la Suisse, les USA et puis l'Allemagne

 

Les discours sur la souffrance :

 

·       L'année dernière,  nous nous préoccupions à  nos journées à Aix en Provence,  de  la souffrance et de la créativité.Olivier Clain, sociologue  et philosophede l'université de Laval, au Québec, nous avait parlé « des mots pour penser les maux ». Nousavons réfléchi  avec  son aide sur «  les discours contemporains sur la souffrance » (3).

Pour nous aider à penser,Olivier Clain nous a fait voyager dans la forêt paraguayenne. Il nous faitrencontrer les indiens Guayaki. Il s'agit d'illustrer le fait que chaqueculture ait ses rapports propres à la vie, à la mort et donc à la souffrance.Rappelons que chez les Guayaki,  chaque mort d'un chasseur et guerrierd'âge mûr appelait un de ses compagnons à faire « jepy »,c'est-à-dire à honorer le mort en le vengeant. Mais il s'agissait d'unevengeance bien particulière. Elle  visaitl'injustice que le guerrier  subit enmourant. Elle était censée lui permettre de trouver, pour le voyage versl'autre monde, la compagnie d'un proche.Cela conduisait donc alors au meurtre d'un des enfants préférés du guerriermort.  La plupart du temps on tuait unede ses filles, les garçons appelés à devenir eux-mêmes guerriers étant tropprécieux pour la tribu. On tuait donc un enfant que le défunt appréciaitparticulièrement pour qu'il apaise sa solitude en l'accompagnant dans le mondedes morts.

Bien sûr, je vous rassure, nosamis Guayaki sont comme nous. Ils ne font pas meno. Un père ou une mère ne mangent pas leur enfant, les enfantsne mangent pas leurs parents et ne se mangent pas entre eux : telle est lerègle. Comme chez nous aussi, comme toute règle, elle n'est pas toujoursrespectée  (4) :

«- Et toi, Jakugi, en as-tu mangé de ton père ' ( Pierre Clastres pose la question presqueinutilement, puisque les enfants ne mangent pas leurs parents).

-Oui, j'en ai mangé. De laviande de la jambe, et Jakugi  montre sonmollet à Pierre Clastres.

-Oh ! Jakugi ! Tu asmangé ton père, et pourtant ja apä u iä,(ca veut dire, on ne mange pas son père !).

-Pas beaucoup ! Un peuseulement ! Comme ça et il mesure de la main ce qui équivaut, tout demême, à un steak de bonne taille.

-J'étais petit. Je ne savaispas, on me l'a donné et je l'ai pris. ». Donc on fait  jepy,on tue un des enfants préférés du guerrier mort, on le découpe et on le faitgriller, mais on ne fait pas meno.

 

Retenons de ceci deux leçons :

La prévention de la souffrance psychique implique des conceptions de lamort, donc de la vie. Ces conceptions impliquent des représentations de laplace, du statut et droits de l'enfant.

 

Il faut bien  convenir en effet, que les Guayaki devaientcroire fermement à la souffrance des âmes des morts pour tuer desenfants que par ailleurs ils chérissaient, fille comme garçon, et enverslesquels, ils pouvaient avoir les comportements les plus tendres.  

Après ce bref passage, quittonsdonc  le monde des sociétés primitives,dites  archaïques  pour celui des sociétés modernes, toujours encompagnie d'Olivier Clain.

 

Ce qui caractérisefondamentalement la modernité dans le rapport à la souffrance c'est que leprincipal savoir sur elle ne se dit plus maintenant en termes mythiques,cosmologiques ou religieux. On a vu avant hier que les grands mythes s'occupentde la naissance, de la mort, de la sexualité, de la filiation.

Dans nos sociétés modernes, la séparation quis'y produit entre les discours de la science, de la médecine et de la religionfavorise l'éclosion d'un savoir rationnel sur la souffrance, ses causesdirectes ou indirectes et les moyens de la combattre. En suivant ce point devue, ce qui paraît remarquable c'est qu'on glisse alors tout naturellement versune situation où toutes sortes de comportements humains jugés inappropriéstombent dorénavant dans le champ de la médicalisation et de la médication.

S'opère là, un changement radical.  Le médecinqui s'occupait de la maladie, maintenant s'occupe de la santé. Pour l'OMS, « la santé est l'accomplissement d'unparfait bien- être, physique, psychique et social complet », bel idéalque cet orgasme collectif !  Lachose va tellement loin qu'on assiste aujourd'hui à une véritable médicalisation de l'existence, pourreprendre l'excellente expression deRoland Gori

 

 OlivierClain  nous a mis en relief ceschangements de discours : ainsi  lediscours de l'industrie pharmaceutique sur la souffrance pousse vers unconstructivisme pur et simple : j'appelle maladie ce que« soigne » mon médicament. Nous sommes dans  cette révolution techno scientifique. Lestechnosciences, visent à expliquer les causes et les mécanismes de lasouffrance et à découvrir les moyens pharmacologiques de la combattre. Cetterévolution dans le domaine pharmacologique a bouleversé les discours sur lasouffrance en forçant chacun des autres discours savants à s'adapter à cettenouvelle réalité qu'elle produit de façon massive et avec une puissanceinégalée dans l'histoire. Le champ de la médecine passe donc dans le champ dela santé qui a basculé dans le champ immense du marché. Les enjeux sontconsidérables.

 

 

Lamédicalisation de l'existence :

 

Si Pinel a libéré les fous enchaînés dans lesasiles, la médecine, par les psychotropes, a aussi révolutionné les asiles. Ilnous devenait possible de communiquer avec des patients prisonniers  ou enfermés depuis 30 ans dans un délire parexemple ou des patients tellement violentés par l'angoisse  qu'il valait mieux être accompagné par uninfirmier. Donc, je le répète,  etrappelle ce que dit Roland Gori, à savoir que  les psychotropes peuventêtre d'excellents médicaments, à condition qu'ils soient prescrits dans uneautre finalité que leur propre consommation.

Mais alors, comment en est -on arrivé à ce que lepathos, le pathos de la souffrance psychique et de la connaissance tragiquequ'il convoque soit maintenant réduit à un trouble du comportement ' Pour Roland Gori, « si lasouffrance psychique se trouve soluble dans cette notion vaseuse decomportement  ou de conduite, c'est parcequ'elle entre en complicité avec un positivisme économique qui fait del'individu une petite entreprise et qui n'a strictement rien à faire desnotions d'intériorité mentale, de vertu, de rêve ou de psychisme. C'est devenuun luxe, du superflu. ( 5 ).

On a maintenant une « clinique des sujetsfragiles », la clinique des sujets troublés, (troubles de l'attention,troubles oppositionnels'), avec une invite à un dépistage et un traitement deplus en plus précoce et  la souffrancepsychique  se trouve explosée, diluéedans ces troubles. Par ailleurs se posent des problèmes éthiques, notamment lerisque de confusion entre facteurs de risques et relations de causalité. Cela entraîne une distinction insuffisanteentre médecine préventive et prédictive. On sait les risques d'une médecinepréventive devenant prédictive, qui peut emprisonner l'enfant et ses parentsdans des figures du destin. On connaît bien le risque des certaines prophétiesauto réalisatrices, de ces projections qui font advenir l'autre dans ce quel'on a prédit. C'est le risque du retour du mythe de la mauvaise graine.

Ainsi  ildevient possible de prescrire PREVENTIVEMENT des psychotropes pour des troublesqui feraient courir des risques futurs. Chose qui était impensable,inconcevable avant. Le psychotrope devient exactement comme la vitamine D pourprévenir le rachitisme ou la Nivaquine pour le paludisme. Ainsi la santé mentale se trouve branchée avec les industries de lasanté. Ces dernières,  on le sait bien,captent une idée présente dans l'espace public et extérieure à la molécule auproduit pour la lui associer. C'est comme Danone. C'est un produit qui serésume à du lait fermenté. Si je capte l'externalité « santé » et queje la mets au c'ur du discours de Danone, alors brusquement, « Bio »facilite le transit et « Actimel » renforce les défensesimmunitaires. Le  guerrier Gayaki quisommeille en chacun de nous, à besoin d'être rassuré 'en avalant son yaourtpréféré. C'est notre jepy à nous, à déguster avec l'image totémique  d'une belle amazone ou d'un beau guerrier, à la santé florissante, c'est selon lesgoûts.

 

Qu'en est-il du côté des enfants '

 

De lagénération Prozac, à la génération Ritaline :

 

 La générationProzac s'est constituée dans notre génération, en suivant Erhenberg sur« Le culte de laperformance » (7), engendrant « L'individu incertain » (8) et«  La fatigue d'être soi » (9). Trois ouvrages où l'auteur dessine des figures de l'individualismecontemporain.

Le culte de la performance selon cet auteur prendson essor, à  travers trois déplacements.Les champions sportifs deviennent des symboles d'excellence sociale.  La consommation devient un vecteur de réalisationpersonnelle. Le chef d'entreprise devient un modèle de réussite.L'épanouissement personnel et l'initiative individuelle deviennent les deuxfacettes d'une  nouvelle règle sociale.

Ehrenberg constate que l'ancien partage entre lepathologique et le normal a laissé place au couple souffrancepsychique 'santé mentale. Cet aspect est important, car d'un côté lasouffrance deviendrait  l'indiced'un  dysfonctionnement, d'un handicap àsurmonter, grâce aux thérapies appropriées. De l'autre, la santé mentale semesure à une utilisation optimale de son potentiel.

 

Quand est -il du discours de la performance qui  était et reste au c'ur de la générationProzac '  Est 'il  repris pour la génération Ritaline '

Bâle le 8 mars 2007 : Quelques chiffres.Excellentes performances du groupe pharmaceutique Novartis. Chiffre d'affairenet 37 milliards de dollars, en hausse de 15 %, cinquième année de hausse àdeux chiffres. Le portefeuille stratégique axé sur la santé, génère desrecords. Sur leur  site, on peut voir ce qu'ils appellent, « le pipeline  de produits »(sic), et l'or noir d'un psycho stimulant découvert à la fin de la guerre.

 

Itinéraired'un symptôme  performant :

 

C'est en 1944, qu'en Suisse, à Bale, le docteurPanizzon,  synthétise dans un laboratoirede recherche, une molécule, le méthylphénidate. Curieux comme pas un, commetout chercheur, il va l'essayer sur lui-même et sa femme Marguerite, qu'ilsurnomme Rita. Ils remarquent que ce produit réconforte et stimule, et ilsbaptiseront  le produit,  Ritaline.

En 1954, la publicité pour le produit est « Ritaline réconforte et stimule avecmesure ».  Par ailleurs larecommandation de l'époque est déjà posée sur l'amélioration des performances, et elle est recommandée chez lessujets sains : par exemple, « quand vous voulez être pleinementperformant le lendemain d'une nuit blanche passée à réfléchir ». Lemédecin à l'époque pouvait également en obtenir un échantillon en échangeant lebon de Ritaline, reçu avec l'information sur le produit, pour un emballage originalet pouvait ainsi  se convaincre lui-mêmede son efficacité. C'était le marketing de l'époque.

En 1957, le produit est utilisé commeantidépresseur et anorexigène.

En 1961, il est énuméré parmi les toniques,comme la caféine. Il est alors en vente libre, à coté de la caféine et de lagelée royale.

Aux USA, des neurologues, psychiatres etpédopsychiatres  réalisent avec desparents des programmes thérapeutiques et pour la première fois, des psychostimulants sont autorisés sur le marché pour le traitement des comportements del'enfant.

1970 100 000 à 200 000 petits américainsprennent de la Ritaline.

Dans les années 80, divers groupes d'intérêts,surtout ceux proches de l'Eglise de Scientologie d'ailleurs, font des procèscontre l'emploi des psychotropes, en particulier chez les enfants. 

1997, l'OMS déplore que 10  % desgarçons américains entre 6 et 14 ans sont sous Ritaline. Mars 2000 :premiers procès contre Novartis, ainsi qu'à l'Association Américaine dePsychiatrie, accusés d'avoir orchestré la médiatisation du THADA ( trouble del'hyperactivité avec déficit de l'attention ), pour augmenter les ventes deRitaline.

En 2007, 3 millions d'enfants traités à la Ritaline. Danscertains état, c'est 15 % des enfants d'âge scolaire qui sont traités par cepsychotrope.

 

Quelquesnouvelles de ce qui se prépare au pays de l'or noir :

 

Le premier symposium sur le THADA s'est tenu àBale le 10 mars 2006. (10). Le problème qui se pose alors, est que le déficitde l'attention est dans l'ombre de l'hyperactivité.

Le slogan du symposium est donc  : accorderplus d'attention aux troubles de l'attention. Le docteur  Ryffel qui « a traité 200 enfants« tête en l'air » (sic)ajoute que « ce traitement permetd'optimiser le traitement de l'information dans le cerveau, ce qui entraîne de meilleures performances et unehumeur plus stable ». On retrouve ici le discours de la performancequi  est au c'ur de la génération Prozacici repris pour la génération Ritaline. Cet aspect du discours deslaboratoires, du discours pharmaceutique est extrêmement important, car c'est à cela que les parents, donc noustous, sommes soumis  ou sommés d'être.Alain Renaut  souligne cet aspectessentiel, c'est à dire  que nos sociétésdémocratiques modernes demandent aux parents que nous soyons de bons parents,mais comme on est bon au tennis, des parents performants pour leurs enfants,des coach ! C'est la grille d'évaluation ou l'échelle d'évaluation deBrown,   qui évalue les capacités attentionnelleset autres de nos enfants ou de nous-mêmes et des résultats ! Elles sontdistribuées pour s'auto évaluer, et s'auto surveiller.  Les groupes de symptômes correspondent aux« clusters » des échelles de Brown : concentration, motivation,affectivité, mémoire, hyperactivité'

 

En résumé le Professeur  Schmeck a constaté que si le TDHA d'un enfantn'est pas traité de manière adéquate, cela peut avoir des conséquencesnégatives sur la formation scolaire et professionnelle, (on voitnettement la reprise de l'idéologie de la performance, et de préventionprédictive ), les relations avec les personnes de même âge, les relationsparents- enfant. Et à l'âge adulte, il existe un risque accru de développer destroubles sévères de la personnalité, et son corolaire comme je l'ai indiqué,  la prédiction pousse au  traitement préventif. Ainsi  « Il n'est pas rare qu'un traitementmédicamenteux soit indiqué pendant de longues années, voire toute lavie », souligne le docteur Preuss. Enfin, le professeur Olivier Halfona exigé, à ce symposium, avec insistance, que l'on cesse enfin les querellesidéologiques, étant données  lesconnaissances scientifiques relatives au THADA que l'on possède.

On peut s'interroger, au passage, desconséquences de la suspension de L'épreuve Critique d'Article (LCA), au programme d'internat de médecine. , qui asoulevé des protestations ' Je fais référence à l'article paru récemment, dansLe Monde du 10 mars 2007 : « Lapensée critique, une nécessité : les industries pharmaceutiques sontpassées maîtres dans l'art de la communication ».

 

 Dans la grande famille du marché, allons-nous« faire 'uvre ensemble ' »:

 

Telle est, en tout cas, l'invite à laquellechacun de nous est  convié. Chacun estinvité aux « noces de l'éthique etdu business », pour reprendre le titre d'un article de GillesLipovtsky. (11).

Le 27 avril 2005,  un poids lourd, la Fédération Mondialepour la Santé Mentale  lance une campagne internationale, « afin d'encourager les médecins, leséducateurs, les médias et les organismes de soutien aux parents d''uvrer ensemble pour faire en sorteque l'aide nécessaire soit en place pour les enfants atteints de THADA et leursfamilles ». ( 12). Que cessent les querelles idéologiques, nous estdemandé,  au nom de la science.

 Ecoutonsla demande de la Fédérationmondiale de santé mentale : « Nousdemandons plus particulièrement aux parents qui participent àl'initiative,  de considérer lesengagements suivants :

-Je vaisen apprendre le plus possible sur le THADA pour aider mon enfant et toute mafamille.

-je vaisrencontrer régulièrement les médecin et les enseignants de mes enfants  pour m'assurer qu'il reçoit un traitementcomplet. (le traitement est donné par l'enseignant).

-Jechercherai à devenir le défenseur des droits de mes enfants et d'autresfamilles où l'on a diagnostiqué le THADA'

Selon lesrecherches actuelles, les personnes souffrants de THADA  ont plus de chance d'occuper un emploi moinsspécialisés et de 75 à 95 % d'entre elles n'iront jamais à l'université, 'ellessont impliquées dans 3 fois plus d'accidents de la route que les personnes quin'ont pas ce troubles etc'

Cetappel de la  puissante FMSM, parti desUSA, est relayé dans des groupes dedéfenses ( à devenir le défenseur desdroits de mes enfants et d'autres familles où l'on a diagnostiqué le THADA'), disséminés  aux USA, mais ils sont en plein développement, en Australie, Espagne, Italie, Pays 'Bas,  Royaume Uni, et au Canada.

A la suite de cet appel, la Fédération Mondialepour la Santé Mentale  elle-même, souhaite reconnaître et remercier ses groupes de défense. Elle a unpartenaire de poids pour cela, c'est Eli Lilly Company. 

Ce laboratoire pharmaceutique  pèse lourd. 15 milliards de dollars dechiffre d'affaire. Il a, dans son pipeline, de l'or noir, c'est notre mythiqueProzac. C'est le rêve dans la culture des blockbusters, ces médicaments quiréalisent plus de 1 milliard de dollars de chiffre d'affaire.

C'est le concurrent direct de Novartis qui araffiné, dans son pipe-line, une autre molécule concurrente de la Ritaline indiquée chezles enfants, adolescents et en plus, pour finir la boucle, les adultes. Eneffet, l'hypothèse que le THADA disparaît à la puberté est maintenant battue enbrèche par ce laboratoire concurrent. Chez l'adulte l'hyperactivité estremplacée par un autre trouble du comportement, l'impulsivité,  et la persistancede troubles de l'attention. C'est le rêve de tout labo, le rêve du traitement àvie, de père en fils, et comme ils disent que le trouble a une causelargement  héréditaire, de génération engénération  le filon est inépuisable, etdes barils de molécules en perspectives. Hélas, toutefois cette molécule a vuses ventes diminuer de 7% à 156 millions de dollars, en raison des craintespersistantes sur l'innocuité de ce type de médicaments. On s'est aperçu, eneffet, qu'elle augmente les risques d'auto mutilation et les idées suicidaires.Mais dans cette course, il y a aussi près de la corde, un outsider, d'un autrelaboratoire aux performances plus intéressantes mais arrêtons-nous là. Laneurobiologie est un champ de pétrole immense, et le raffinement moléculaireinfini.

 

 

Lilly est dans la place. Par la santé et pour lasanté, Lilly a « inventé un concept » : l'Equilibre. C'est leproblème de la prise de poids liée à la prise de psychotropes. Il s'agit, àtravers des ateliers, de suivre des patients tout au long de leur traitementdans les Centres Médico  Psychologiques.C'est le but de l'Equilibre. Les équipes soignantes reçoivent une formation parLilly lui-même, et peuvent animer des ateliers pédagogiques et ludiques sur desconseils d'hygiène alimentaire. Gros succès. En 2006, 400 centre ont étéouverts en France. Devant le succès inespéré, Lilly va en ouvrir 150 de pluscette année.

 

 

En France, 10 % du chiffre d'affaire deslaboratoires pharmaceutiques part en recherche, soit 3,5 milliards d'Euros. AuxUSA : 27 milliards. 3 fois ce budget est dépensé en marketing. Budget del'INSERM  500 millions.

Le bio pouvoir est en marche : 5oomilliards de chiffre d'affaire, pour la pharmacie mondiale !

Evidemment ces chiffres ne représente  plus rien à notre échelle, sinon que lamondialisation est en route, que le bio pouvoir est un champ immense.

Nous l'avons montré, la prévention de la souffrancepsychique cède le pas à des intérêts du marché privé qui a réussi le tour de forcede mettre en place une prévention prédictive et déterministe, avec un principede précautions quant aux risques pour le devenir des enfants pour plus tard,dans une stratégie qui sert bien évidemment ses intérêts. . C'est comme pour les incendies de forêts. Les marchands d'extincteurs ne subventionnentpas les longues actions de terrain, la prévention par le débroussaillagerégulier, l'ensemencement  de nouvellesespèces plus résistantes et les pare- feux pour remodeler l'espace public ouprivé, pouvoir y respirer  et yfaciliter  la circulation des hommes. Lesintérêts sont opposés, on peut même dire contradictoires, car plus la politiquede prévention des incendies porte ses fruits, moins vous avez usage  des produits extincteurs. 

 

Nous arrivons au terme de notre itinéraire pourpenser « la souffrance au pays de l'or noir ». Partis rendre visited'abord chez nos amis Gyayaki, nous avons participé au « jepy », pourrappeler  que la souffrance psychique estaffaire de culture. Le profit  que varetirer le guerrier défunt se fait au dépend de la vie même de son enfant, quepourtant il chérit. Autrement dit, une politique de prévention, prévenir lebien être du guerrier, et le bien vivre de son enfant,  peuvent être en conflit d'intérêts, autantchez les Gyayaki que dans une politique de soins de nos sociétés ditesmodernes. La prévention de la souffrance psychique, au pays de l'or noir, n'estpas  une culture dénuée d'intérêtscontradictoires. Au pays de l'or noir donc, les nouveaux totem érigés sont celuide la santé, de la performance. Ils sont sensés nous diriger durant le longchemin des âges de la vie, et ce dorénavant depuis le plus jeune âge. Nousavons essayé de mettre en lumières des discours de nouveaux shamans modernes etleurs bio pouvoirs. S'il y a des totem, il y a des tabous.

 

 

Totem ettabou au pays de l'or noir :

 

Au pays de l'or noir, la performance et la santédu marché reposent  sur une idée ( 13) :celle que  le marché, qui est un moyend'organiser les échanges sur la base de la liberté individuelle,  et en politique la démocratie, que marché etdémocratie donc, que l'un et l'autre sont cohérents et se renforcentmutuellement. Ils sont fondés sur un principe commun qui est un principe deliberté. Mais, qui dit liberté, dit liberté de changer d'avis.  Ceci signifie que si je suis libre, je suislibre de vouloir quelque chose mais aussi de vouloir son contraire : dechanger d'homme politique, d'emploi, d'employeur, d'employé, ce qui veut dire quel'autre nom de la liberté c'est la précarité, créant une sorte le zappingexistentiel. Sous le nom de liberté, se cache aussi la tyrannie de laprécarité.

Première réponse à la précarité : la réponserationnelle : je m'assure. C'est devenu le premier secteur de l'économiemondiale. « Assurer son capital santé », « la santé c'estcapital », slogan bien connu des assurances.

Deuxième réponse si je refuse la précarité : laréponse pascalienne à la mort : le divertissement, le jeu, la drogue,façon de se résigner à la précarité pour ne pas le voir ou la valorisation dureligieux. 

De plus, la précarité n'estpas seulement une réversibilité à l'identique, mais une réversibilité vers lenouveau. D'où cette obsession du neuf qui nourrit la loi du marché. Tyrannie duneuf qui développe et nourrit la production de valeurs marchandes,  de notre société d'hyperconsommation. « L'Empire de l'éphémère », pourreprendre l'étude de Lipovetsky : «  hyperconsommation  qui voits'éroder les anciens encadrements de classe et  apparaître un consommateurvolatil, fragmenté, dérégulé... On consomme d'avantage pour soi (santé,détente, forme, sensations, voyages) qu'en vue de la reconnaissance del'autre ». ( 14). En hypermodernité, il n'y a plus de choix, pas d'autrealternative qu'évoluer, accélérer la mobilité pour ne pas être dépassé par« l'évolution » : le culte de la modernisation technicienne l'aemporté sur la glorification des fins et des idéaux. Moins le futur estprévisible, plus il faut être mobile, flexible, réactif, prêt à changer enpermanence. Cela produit  dans notreactivité, ce plus de rentabilité, plus de performance, plus de flexibilité,un  processus tournant à vide sans but,ni sens.

 

 

Mais pouvons-nous être  dans un parfait bien- être, physique,psychique et social complet, dans une culture qui fait l'apologie du précaire,qui exige de plus en plus de performance pour ses enfants ' Ne crée t-ellepas de nouveaux parents,  pour qui  s'assurer est une  obsession, se distraire sa façon d'oublier ' Est-ce que ce dopage exigeantproduit de la cohérence physique, psychique et sociale pour les nouvellesgénérations ' Est -ce qu'il crée du solidaire, du lien social et du développement sociétal durable '  Ces questions émergeant de nos totems modernes ne peuvent  pas rester tabou. .

 

 

·       Parallèlement à ces questions, nous assistons à un accroissement  massif des troubles dominés par le recours àl'agir. Les pathologies limites ou narcissiques occupent vous le savez, une place centrale. Rappelons que le narcissismen'est pas cet amour de soi qui est un des ressorts de la joie de vivre, mais lefait d'être prisonnier d'une image tellement performante et idéale de soiqu'elle nous rend impuissant. Elle paralyse la personne qui a besoin enpermanence d'être rassurée par autrui et peut en devenir dépendante. Ces pathologieslimites ou narcissiques regroupent des enfants et des adolescents - reconnusnombreux par les études épidémiologiques ' chez qui les agirs sont au premierplan. Si le surmoi invite à ne pas faire, l'idéal du moi lui pousse à agir. Ilsveulent, comme le dit Freud, être plus noble que ce que ne leur permet leurconstitution.

La honte, l'affect par excellence du registrenarcissique, est combattu. La honte, parce que, dans sa mégalomaniefondamentale, l'enfant ou l'adolescent ne peut admettre de se sentir limité parla réalité, et en particulier par les contraintes que lui impose son âge, sonhistoire personnelle ou sa filiation. Le sujet ne se construit plus un symptômemais agit le conflit à travers des passages à l'acte, manière de comblerle vide.

Nous sommes bien dans « l'Ere du vide » (15), pour reprendre l'excellenteexpression de Lipovetsky, constituant un « Hommesans gravité », pour reprendre celle de Charles Melman. Narcisse estrongé par l'inquiétude, pris au piège de la post-modernité : « L'obsession de soi aujourd'hui semanifeste moins dans la fièvre de la jouissance que dans la peur de la maladieet de l'âge, dans la médicalisation de la vie. Narcisse est moins amoureux delui-même que terrorisé par la vie quotidienne, son corps et un environnementsocial lui apparaissant comme agressif » (16).

Ere du vide, vide de ladépression narcissique, qui se présente comme un effondrement symbolique. Cesymbolique, ce rapport à la loi qui suscite sans doute de l'angoisse, mais sanslequel, rappelons-le,  il n'y a pas destructuration solide de l'identité, c'est à dire de sentiment stable etpermanent de soi. Cela rejoint « La misère symbolique » (17), dontparle Bernard  Stiegler), quisignifie  la désintégration du  partagé, une misère qui se traduit par uneatonie du désir, la fatigue d'être soi, bien dite dans le « tout megave ». On peut parler, en suivant l'auteur, d'enfants ou adolescents   désaffectés, comme il y a des usines désaffectées, sans travailleurs, sansâme.  A contrario, il y a nos jeunes Batmann ouSuperman, gorgés et captifs d'images, de sensations mais privés d'émotionsenvers l'autres. Ils  passent leur temps à mettre à l'épreuve pour faire la preuve,par une fausse indifférence. Ils mettent à l'épreuve les sentiments qu'ils suscitentchez autrui, mettent à l'épreuve les règles,  la consistance de larelation, de la réalité même du monde ' ».

 

Ces nouveaux sujets, nous posent souvent de  difficiles questions thérapeutiques, nouspoussant à innover, mais aussi pour notre sujet, des difficultés à penser desaxes de prévention. De nombreuses études épidémiologiques, dans le sens de JeanBernard dont j'ai parlé en introduction,  sociologiques et philosophiques essaient de saisir ces transformationsde l'individu que nous sommes.

 

·       Axel Honneth, philosophe, auteur de La Société du mépris,  insiste sur l'importance de la reconnaissanceet du respect de l'individu. Ce philosophe est très intéressant pour nous, car il s'intéresse justement aux affectsde honte ou de mépris que peut créer une société, et aux conditions du respectet de l'estime de soi. Il est de l'école de Francfort et se réclame d'unephilosophie sociale. Entendons par-là, cette grande tradition qui assigne à laphilosophie la tâche spécifique de diagnostiquer les pathologies sociales,autrement dit les perturbations qui réduisent ou détruisent les conditionsrequises pour mener une  « vieréussie ». Sa préoccupation majeure n'est donc pas tant de pointer lesinégalités sociales ou les injustices mais de mettre en lumière les critèreséthiques d'une vie sociale,  les critèresd'une vie accomplie ou plus humaine.

 

Hanna Arendt a accordé une valeur particulière àla participation active des citoyens à la vie démocratique, cette pratiquepermettant aux individus de parvenir à la conscience de leurpropre liberté. Axel Honneth, quant à lui, met en relief comment lecapitalisme néolibéral y porte atteinte. Il constate ( Le Monde 22 mars 2007),que  « depuis une vingtaine d'années, les réformes néolibérales dansl'économie ont engendré  une nouvellesorte d'individu dont la relation à soi se révèle dépourvue de capacité deréflexivité et qui est privé de la capacité d'avoir des conflits ou desdialogues intérieurs ».  Ce point est important car il constitue unecondition fondamentale de la vie démocratique. Par ailleurs  Honneth ne dit pas que le déchaînement dumarché a conduit à un renforcement de la réification d'autrui sous forme del'esclavage. Je rappelle que la réification désigne la tendance générale àtraiter les hommes non comme des êtres humains, mais comme des objets. Maispour lui,  le néolibéralisme suscite cequ'il appelle des phénomènes d'  « auto-réification ». Ce quisignifie que les hommes se mettent à entretenir avec eux-mêmes une relation quin'est plus d'ordre réflexif et qui n'a plus le dialogue pour orientation.

Cette idée de la généralisation dans lessociétés marchandes, d'une « attitude réifiante » consiste donc dans l'adoptionsystématique de la posture d'un spectateur désengagé, jetant sur le monde, lesautres et soi-même une attitude de neutralité extérieure, distante,objectivante et calculatrice. Honneth pose que « l'attitude de reconnaissance »est précisément le contraire de cette attitude réifiante : elle est faited'implication personnelle, d'engagement actif, d'intéressement et depréoccupation envers les choses, les autres et soi-même.

 

 

La crise dans laquelle la culture psychanalytique en Allemagne et aux Etats'Unis (on peut ajouter en France), et son remplacement par une culture de typebiologique lui paraît un signal d'alarme de la montée en puissance de cettetendance à l'auto-objectivation. Le « je » se considère désormaiscomme quelqu'un dont l'expérience et les pensées peuvent être produites, etcela sous la pression des attentes économiques. L'individu ne peut se penser ensujet de sa propre vie. Même si les possibilités d'épanouissement individuel sesont élargies, elles se trouvent désormais détournées au profit de l'idéologiede la performance. Ce n'est donc plus l'aptitude au dialogue intérieur et à lasolidarité qui se trouve privilégiée, mais ce qui contribue au contraire à laruiner : l'extension d'un rapport de plus en plus marchand et stratégiqueà soi même et aux autres.

Son  pointde vue introduit la question  qui se poseà nous, avec ces pathologies limites ou narcissiques, ces pathologies de l'agirqui se développent au sein de  personnalités qui ont perdu leurs capacitésréflexives,  une capacité de dialogueintérieur. Voilà justement ce qui est notre préoccupation, et oriente notre action de prévention auprès desenfants et adolescents. En tout cas c'est la proposition que je mets en débat,dans cette deuxième partie de mon exposé.

Au point où nous sommes rendus maintenant, jevous propose donc que nous réfléchissions à des espaces qui permettraient auxenfants de penser par et pour eux-mêmes avec rigueur, cohérence etoriginalité.  Ces espaces « où les jeunes pourraient acquérirl'esprit critique, l'autonomie de la réflexion et le jugement par eux-mêmes,les assure contre les manipulations de tous ordres et les prépare à prendre enmain leur propre destin », pour Yersu Kim, Directeur de Division de la Philosophie et del'Ethique, à UNESCO, sont ceux  de laphilosophie. Nous allons donc y faire quelques pas.

 

 

 

B- ITINERAIREEN PHILOSENFANT :

 

J'appelle ainsi, d'un terme volontairement vague, cevaste continent encore en friche où les enfants sont invités à philosopher.Avant de vous présenter un travail clinique avec eux sur le thème de notrecolloque, ENFANCE ET DESORDRE, je vous propose un rapide itinéraire en« philosenfant ».

 

·       Ce continent philosenfant est né justement issu du désordre. C'est eneffet en 1942, donc en plein milieu du chaos de la guerre mondiale, que des ministres alliés de l'Education se  réunissent. Un but les rassemble, j'ai enviede dire, une idée folle, une utopie : ils veulent contribuer  àconstruire un monde délivré du fanatisme et de l'obscurantisme, et de la haine,et cela par des moyens moraux et intellectuels. Belle utopie, émergeant duchaos donc !  A Londres, en 1945,lors de la première conférence de cette nouvelle organisation, Léon Blum, sonvice président remarque que la guerre avait été essentiellement« idéologique ». Il montre aussi comment l'éducation, la culture etla science peuvent se retourner contre les intérêts communs de l'humanité. Jerappelle, pour mémoire, que c'est du chaos qu'est crée en 1946 l'Unicef, lesFonds des nations unies pour l'enfance, première organisation du monde quiveille à apporter à chacun d'entre eux, santé, éducation, égalité, protection.

Rappelons aussi pour mémoire, puisque notre champd'action est celui du soin, que c'est aussi du chaos de la solution finale,que  l'éthique médicale se constitue dansla même période,  à l'issue du jugementdes médecins des camps, par le  code deNuremberg en 1947 ; c'est de là que sont issus les principes debienfaisance, d'autonomie de la personne, et le principe de dignité quiimplique lui-même les notions de consentement, d'information, deconfidentialité sur lesquels se fonde l'éthique de notre pratique en CMPP.(18). Mais revenons à notre  Organisationde Nations Unies pour l'Education, la Science  etla Culture.  En un mot,  l'UNESCO donc, vous l'avez reconnue.  Elle réaffirme, dans le préambule de sa constitution, que  « la négation des principes de dignité,d'égalité et de respect des hommes, avait rendu possible la guerre ».Cette constitution  impute laresponsabilité du conflit à l'ignorance et aux préjugés.

La première clause du préambule stipule le lieu de l'action : « lesguerres prenant naissance dans l'esprit des hommes, c'est dans l'esprit deshommes que doivent être élevées les défenses de la paix ». Le moyen d'yparvenir est de  développer les contactset les échanges de telle sorte que progressent la connaissance et lacompréhension mutuelles. La connaissance favorise la compréhension, et ouvre lavoie à la solidarité morale et intellectuelle de l'espèce humaine. Là se trouvepeut -être l'esprit utopique qui a inspiré les fondateurs de L'Unesco. Dans cetesprit, la philosophie comme pratique éducative et culturelle, est d'embléeun  acteur  fondamental du développement  de l'esprit critique, d'une autonomie à laréflexion et du jugement critique et libre. Ce qui est intéressant dansl'Unesco, c'est qu'elle est une réponse institutionnelle à une questionphilosophique : celle du développement durable de la paix et de lasécurité.

 

·       On doit remonter vers la fin des années soixante pour saisir les débutsde la  philosophie pour les enfants.C'est en effet le moment où un philosophe américain, Matthew Lipman, imagine l'idée d'écrire un petit roman racontantl'histoire d'un groupe d'enfants partis à la découverte des principes de l'artde bien penser. Cette histoire, qu'il intitule « La découverte deHarry », est destinée à des enfants âgés entre dix et douze ans.  On y trouve des personnages (enfants etadultes) en train de créer  «  une communauté derecherche »,  au sein de laquellechacun prend part activement à la recherche, à la discussion et à la découvertedes façons les plus efficaces de penser.

Comme dans la communauté scientifique, (comme« la main à la pâte »), il s'agit de choisir avec les élèves unequestion, de la traiter de façon la plus rigoureuse possible, dans tous sesaspects, de constater des désaccords, d'en régler certains, et de progresservers une vérité qu'on sait'. Temporelle.

Y préfigure donc,  l'idée centrale qui guide tous ceux et cellesqui pratiquent la philosophie avec les enfants : créer des conditions permettant aux enfants de penser par et poureux-mêmes avec rigueur, cohérence et originalité.

 

Lipmann a écrit 7 romans, destinés à être luspar des enfants ; 7 romans, un par année scolaire. C'est pour cela, quel'on parle de programme Lipmann.  Lepremier s'adresse aux enfants de 5 -6 ans. Ici le texte littéraire joue le rôlede support pour accéder à des idées,  auxgrandes questions. Ces romans sont, en quelque sorte, une reconstructiondialoguée de l'histoire de la philosophie occidentale. Les personnages, quisont des enfants du même âge que les lecteurs, jouent un rôle de modèle desformes de conduites rationnelles. A la suite de la lecture, il est demandé auxenfants de dire quels sont les mots ou les passages importants du texte, ceuxqu'ils retiennent, ceux qui leur posent problème, ceux qui correspondent à desquestions qu'ils se sont déjà posées. La littérature permet  ce sautvers l'universel, cette décentration. C'est un peu comme nous, lorsque, aulieu de parler d'une situation  cliniquequi nous préoccupe, nous utilisons un cas de la littérature, un mythe,  pour réfléchir à un problème qui ne nousparaît pas uniquement singulier.

 

 

 

·       Cette démarche dephilosophie avec  les enfants de Lipmanva trouver, au Brésil, tout un terreau fertile à son développement.

Le Brésil est dans cedomaine l'un des pays pionniers de la philosophie pour enfants (PPE). Depuis lafin de la dictature, au début des années 80, l'introduction de la philosophie àl'école dès le plus jeune âge est devenue l'un des axes d'un combat pour larestauration et la consolidation de la démocratie. La philosophie des Lumières est toujours un combat ! Partantdonc des travaux de Lipman, les professeurs brésiliens ont très vite débordé lecadre un peu strict de la méthode et du programme et expérimenté d'autres démarchesque celles de la « communauté derecherche », chère à Lipmann.

Le neuvièmecongrès  international de Philosophiepour enfants, ICPIC (International Council for Philosophical Inquiry withChildren) s'est tenu, il y a peu de temps, à Brasilia. Lors de congrès, dont leprésident d'honneur est Matthew Lipman, se retrouvaient des chercheurs d'unetrentaine de  pays, grâce en partie, biensûr, au travail de l'UNESCO.  « Unematinée a été consacrée à la visite d'écoles dans divers quartiers de Brasilia,en vue d'observer in vivo des séquences de philosophie pour enfants.On  peut ainsi assister pendant prèsd'une heure à un débat entre élèves de niveau CM (dix ans environ) sur le thèmede la violence. Assis en cercle à même le sol, ils soulèvent, avec leurmaîtresse, un grand nombre de questions comme par exemple : la violenceest-elle seulement physique ' Quelles formes non physiques de violence peut-onrelever (violences verbales, morales, etc.) ' Pourquoi quelqu'un est-il violent' Y a-t-il des violences légitimes ' Les enfants ont en particulier beaucoupdiscuté de la violence dans la famille, des châtiments corporels qui, dans lesfamilles brésiliennes, sont souvent très pratiqués et très durs. » (19).

 

Actuellement, laphilosophie est pratiquée au Brésil uniquement dans les écoles volontaires(primaires et secondaires), à raison d'une ou deux heures par semaine. Il y aplus d'un millier d'écoles participant à ce programme, et les enseignants quile souhaitent reçoivent une formation d'une année (sous forme de sessionsintensives de quelques jours par mois) à l'université de Brasilia. Legouvernement brésilien finance cette expérience, et les enseignants qui y sontengagés militent pour qu'elle soit généralisée dans les plus brefs délais.

Beaucoup de professeursenseignent la philosophie à la fois au niveau secondaire (en particulier dansles classes de second cycle, où elle est pratiquée sur deux ou troisannées  et à l'école primaire). On estloin de la philo en terminale, en France, pour ceux qui passent par laterminale !

 

·       Au Québec, la Faculté de philosophie de l'Université Laval avec qui nous avons des échanges, est  impliquée, depuis longtemps, dans les actions de prévention de la souffrance engendrée par la violence. Elle dispense une formation de premier cycle dans ce domaine depuis maintenant 20 ans. L'intérêt des enseignants  pour cette pratique a connu récemment un nouvel essor avec la réforme de l'enseignement mise en 'uvre par le ministère de l'Éducation, dans le Programme de formation de l'école québécoise, publié en l'an 2000, qui mentionne la philosophie comme l'un des axes de la formation culturelle des élèves. «La violence, c'est une absence de vocabulaire'», aime à nous rappeler Gilles Vignault, chanteur québécois, est aussi parrain d'un projet intitulé « Prévention de la violence et pratique de la philosophie avec les enfants».

·       Certains pays, comme la Belgique, la Norvège ou le Brésil, ontdéjà pris des décisions concernant l'initiation à la philosophie dès l'écoleprimaire.

 

·       Philosenfants en France :

 

Quelques paysages  du continent Philosenfant. Pour faire simple je vous en décris que deux, en les opposants de manière  artificielle, donc grossière, pour fixer les idées.

 

Nous avons rencontré déjà le premier paysage, avec  Lipmann et  ses « communautés de recherche », appuyées sur des textes, sorte de matrice narrative pour  ouvrir et problématiser les idées, les savoirs et valeurs. A se promener dans le continent  des PPE, on est frappé par la multiplicité des paysages, et cette diversité montre le coté vivant de ces approches. Ainsi, en France, Michel Tozzi et Gilles Geneviève, qui se situent avec toutefois beaucoup de nuances dans la mouvance de Lipman, donnent ; il me semble, la priorité à la logique ' apprendre à argumenter, problématiser, conceptualiser - et ils font de l'entraînement au débat un élément central.  Même largement transformé, le paysage de Lipmann reste 30 ans après, bien d'actualité semble t'il, bien identifiable. Il s'est bien sûr transformé.

 

 

Quelles que soient les diversités des approches, elles se réclament explicitement, par la façon dont elles se désignent elles-mêmes, de la philosophie : « ateliers philo », « moments philo », « discussions philosophiques », « discussions à visée philosophique »,  « goûters philosophiques », « chocophilo » «  philo-cité ». Cela nous montre la vitalité de ce qui se passe. Ainsi, par exemple, pour « philo-cité ». Dans ce paysage, on peut voir un jeune, à l'aise dans son jogging noir de la Juventus, Abderramane Yosri, étudiant en philosophie à la Sorbonne et chargé d'aide aux devoirs. Il  dévoile à des collégiens le sujet de la semaine. Il leur rappelle la règle :  « vous avez le droit de tout dire, mais il faut argumenter ». Notre jeune philosophe de 22 ans, reçoit donc une dizaine d'élèves de cinquième,  dans un local prêté par la municipalité. Ce sont des élèves de la cité d'Orgemont, en Seine-Saint-Denis qu'il reçoit  deux fois par semaine.  Les sujets  qui les réunissent dans une communauté de penser :  « qu'est ce que le respect ' », « Toute vérité est-elle bonne à dire ' », Faut-il se fier aux apparences ' » (20). 

Il y a  aussi, bien sûr les discussions philosophiques pour enfants, organisés par Gilles Geneviève, (21), à l'Université populaire de Caen, lancée en 2002 avec Michel Onfray. 

 

A coté de ces  paysages proches de Lipmann, il est un paysage de philosenfant différent. C'est  celui  dégagé par Jacques Lévine, et que je vais vous décrire un peu.  C'est en effet,  dans ce paysage  là, que se situe la présentation clinique qui suit et  que  nous  allons y rencontrer des enfants. La démarche de Jacques Lévine est celle d'un psychanalyste de l'éducation, qui a travaillé avec Henri Wallon. Il a mis en place à la maternelle des « ateliers philo », sur Lyon et Paris.

 

 

L'association qu'a fondée Lévine, (l'AGSAS) (22)fonctionne comme un groupe Balint - enseignants et concourre à des rencontresde la pédagogie et de la psychanalyse.

A la différence de Lipman qui propose, comme onl'a vu,  une matrice narrative pourdévelopper  cette communauté de rechercheen philosophie avec des enfants,  Levine  a eu très rapidement la conviction quel'enfant a besoin de faire une double expérience préalable. Il a besoin devivre pleinement le pouvoir de la pensée, et il a besoin de se centrer,autrement que sur un mode scolaire, et sur la valeur des conceptions del'existence que nous véhiculons. Alors que Lipman, après toutessortes de détours, semble proposer le raisonnement logique comme finalité,Levine pense que le point d'impact principal des ateliers de Philosophie doitêtre « la parole de l'enfant, entant que miroir de sa façon de penser la vie, et cela, avec le minimumd'additions en provenance des adultes ». Il ne s'agit pas, pour Lévine,d'obéir à une quelconque idéologie de la non-directivité.  Il ne s'agit pas là d'un problème secondairede méthodologie, mais d'un choix de finalité. Autrement dit, après avoir luLipman et mis au point  sa propreméthode, il y a, pour lui,  deux façonsde concevoir ce qu'on peut appeler « la naissance de la pensée philosophiquedes enfants ».  «  Il y a deuxapproches, la sienne et la nôtre, mais loin d'être incompatibles, elles peuventet doivent être considérées comme complémentaires. »,  insiste Lévine.

 

Ainsi, en France, beaucoup d'ateliersphilosophiques donnent la priorité à la logique ' apprendre à argumenter, problématiser,conceptualiser,  font de l'entraînementau débat un élément central. Bien sûr, il serait stupide de s'opposer à cequ'une pédagogie du « bien raisonner » prenne toute sa place, mais pour Levine,avant le débat, et pour qu'il soit possible, «  il faut le temps du « faire connaissance » avec ce qui donne matièreet matériau au débat, c'est-à-dire l'étrange découverte que la vie est cequ'elle est, que nos pensées et celles des autres, sont ce qu'elles sont. Il nous faut donc donner le temps àcet étonnement premier, le rendre vivant et le faire retrouver. ».

Il insiste beaucoup sur expérimenter ce quialimente l'appareil à penser, c'est à dire, le registre émotionnel.Expérimenter un contenant susceptible de transformer  le sensoriel brut, expérimenter et développerune capacité de transformation, une capacité de rêverie, préalable à la constitutiond'un appareil à penser la pensée. C'est cette capacité de rêverie qui ouvre lapossibilité de se représenter nos propres contenus psychiques. Ce registreréflexif de constituer un contenant pour penser les pensées, qui permet depasser des préconceptions aux conceptions et aux concepts, a évidemment toutesa place, mais pas à n'importe quel moment. En ce sens, ceux qui sont familiersdu psychanalyste Bion, reconnaîtront aisément cette argumentation. , au c'ur desa théorie psychanalytique de la pensée.

 

Certains philosophes trouvent que c'est trèsintéressant de faire réfléchir les enfants mais à condition de ne surtout pasappeler cela « philosophie » et suggèrent de les appeler « ateliers de pratiqueréflexive ». Je n'ai aucune qualité à ouvrir ce débat. Cependant en allantvoir de quoi ça débattait, j'ai retrouvé certaines de nos interrogations.Ainsi, quand dans nos CMPP, nous débattons sur la nature des  indications pour des groupes contenants trèsstructurés. Ainsi  quand nous proposons àun enfant un groupe conte, un contenant avec une structure narrativepréalable,  plutôt qu'un groupeprivilégiant le libre déploiement  de sastructure narrative par  l'association libre.

Restons près de notre propos qui est d'explorerl'intérêt de la philosophie dans  laprévention de la souffrance psychique : des espaces pour  nourrir la pensée, et penser l'action,débattre au lieu de se battre.

Ainsi je l'ai montré,en Amérique latine, pour la consolidation de la démocratie après lesdictatures.

En Autriche, unprogramme de la philosophie pour enfants a été mis sur pied dans les écolesprimaires pour faire face au racisme provoqué par l'arrivée d'élèves venus despays de l'Est et de l'ex-Yougoslavie.

Ailleurs, en Afriquenotamment, c'est le problème de la drogue ou encore du SIDA, qui motive unetelle introduction. La dictature ou ses enfants,  la drogue, le racisme,la violence, la guerre, dont nous avons parlé en introduction, autantd'éléments qui justement introduisent l'urgence d'une autonomie à laréflexion et du jugement critique et libre, l'intérêt de  la philosophie pourenfants.

Retenons que  la philosophie pour enfants apparaît presquetoujours comme la réponse aux exigences d'une situation sociale, sanitaire ouculturelle donnée. 

 

 

 

CONCLUSION :

 

Parti d'une réflexion  critique de la prévention de la souffrancepsychique au pays de l'or noir, j'ai souhaité aborder une perspective  autre de prévention. Laphilosophie pour enfants apparaît  commeune réponse aux effets des changements de notre société, changements qui neconcernent pas uniquement notre hexagone.

Penser ensemble,débattre au lieu de se battre, développer des espaces développant une penséecommune, tout cela  va être d'autant  plus nécessaire que, marché etdémocratie poussent énormément à la liberté individuelle, et orientent lascience  vers une science de l'objetmarchand individuel. D'autant plus nécessaire que l'autre nom de la liberté,c'est la précarité. Au Québec, en Norvège, en Belgique ces questionnements ontconduit à  des programmes d'aide audéveloppement de la philosophie pour enfants. Ce questionnement l'UNESCO  y travaille, et il va être de plus en plusimportant  avec les sciences cognitiveset évidemment avec les découvertes de la génétique, deux enjeux majeurs del'éthique de demain.

 

 

 

C- FILM : « Les passeurs de lumières » :

 

Ce petit film est le fruit d'untravail collectif issu d'une petite caravane, une  communauté de recherche.  C'est celui de 68 enfants avec  Marie Paul, Michèle et Christian, troisenseignants de classe préparatoire, dans une école de  banlieue parisienne. C'est aussi un travaileffectué avec Julie, étudiante en master de psychologie à Brest, Marie-Noëlle,orthophoniste au CMPP de Marmande et Benoît, qui est journaliste à Paris. Ilest possible de voir ce court-métrage sur le site : passeurs de lumières

Adresse(s) de messagerie :

  http://passeursdelumieres.blogspot.com/

 

 

D- De l'intérêt des ateliersphilosophiques dans la prévention de la souffrance psychique :

 

 

·       Trèssouvent et de plus en plus sollicités par les écoles, nous nous sommesintéressés justement à des initiatives qui proposent des espaces « oùles jeunes pourraient acquérir l'esprit critique, l'autonomie de la réflexionet le jugement par eux-mêmes, les assure contre les manipulations de tousordres et les prépare à prendre en main leur propre destin ». Je citelà,  Yersu Kim, Directeur de Division de la Philosophie et del'Ethique, à l'UNESCO.

Cetteinitiative  leur est proposée, dansle  cours de leur scolarité, au sein mêmede leur école, dans des ateliers philo, animéspar leurs institutrices(eurs). J'y vois là, auc'ur même d'une collectivité où l'enfant se doit d'entrer, l'école, justement un espace de liberté, où il estpossible de   développer une capacitéréflexive, sur  les grandes questions quiles affectent.

 

 

·       Pourpartir d'un travail de terrain, je vais vous faire partager un petit film, etdéployer avec vous quelques interrogations. Ce film, a été réalisé tout d'abordpour partager le travail avec d'autres collègues et les parents des enfants. Jevous le propose en l'état, pour partager cette aventure : trois ateliersphilosophiques  d'enfants de CP, invitésà « réfléchir sur les grandesquestions que se posent les hommes depuis longtemps».

 

Aécouter ce qui se passe dans les ateliers philosophiques que j'ai pu découvrir,je ferai quelques remarques générales  etune  proposition sur ce qu'ils mesemblent apporter de particulier,  auxrepérages que je vous ai proposés sur la souffrance psychique.

 

·       Je ferai une  remarque préalable et une impression généralesur les ateliers :

 

Certainsphilosophes trouvent que c'est très intéressant de faire réfléchir les enfantsmais à condition de ne surtout pas appeler cela « philosophie » et suggèrent deles appeler « ateliers de pratique réflexive ». Je n'ai aucune qualité àouvrir ce débat. Je dirais que, justement s'il s'agit d'ateliers de pratiqueréflexive, après ce que je viens de dire sur la souffrance des enfants et saprévention, c'est loin d'être négligeable. C'est même plus qu'une excellenteentrée en matière.

Parailleurs, j'ai été impressionné par l'ambiance, le  sérieux quipréside dans ces ateliers philosophiques, même si la présence de la caméra aperturbé un jour leur travail. Les étrangers que nous étions, ont étéaccueillis avec une très grande bienveillance, je dois le dire.

 

·       Je vous proposemaintenant,   comme réflexion sur lesapports des ateliers philosophiques à  la souffrance des enfants, quatre apports qui me semblent se dégager desateliers philosophiques : Ces quelques éléments sont aussi l'occasion de saluer la pensée de Jean- Pierre Vernant.

 

Unemise en disposition du pouvoir et de la pensée :

 

Ledispositif, on l'a vu sur le film, est  celui du pouvoir, de l'autorité,  le  kratos,est placé au centre du démos, commedans la démocratie grecque. Ce kratos central,ce pouvoir est  dépersonnalisé, réduit àrien. Personne au centre du cercle, en un lieu vide,« inappropriable ». Chacun est mis en périphérie, mais pour enconstituer le contour.  Les conséquencessont considérables : symboliquement, chacun des membres de l'atelier, dela micro- société, n'est là, dominé par personne. Cette mise en disposition encercle, autour de ce  vide central,signifie que les membres ont  une partégale au pouvoir.

Cequi peut être saisi,  par ce décentrement,  c'est justement la parole, symbolisé par lebâton de parole, mise à la disposition de chacun et de tous les membres.

 

Cedispositif  du pouvoir et de la parole auc'ur des ateliers permet, il me semble, de mettre à disposition et développertrois savoirs :

 

Unsavoir-faire. Cela renvoie àl'individuation technique, l'art de manipuler des instruments et d'exécuter destâches.

Ici,le savoir- faire, pour tous et aussi bien sûr, pour les désaffectés dont j'aiparlé,  c'est remettre les mots, donc lesaffects en mouvement. C'est la grande difficulté des enfants dépressifs, desenfants désaffectés. Pouvoir retrouver, associer et articuler des mots, sebaigner, même sans prendre la parole, dans le bain du langage, dans del'humanité.  En ce sens,  il me semble justement que pour l'enfant,philosopher, c'est s'interroger sur ce que pensent les mots, sur ce que lesmots pensent et éclairent du monde environnant.

Alorssi ça éclaire, « Qu'est ce que les Lumières ' ». Kantnous dit combien il est bénéfique à l'homme de penser par lui-même, sanspréjugé. Sapere aude, dit-il, « ose penser », invitation à avoir lecourage de se servir de son propre entendement

L'individualisation ne peut sefaire que par la mise en mouvement de la pensée, des mots et des affects, dansun tissage de la parole du singulier articulé au collectif. . Cette puissancede la parole, dont les  Grecs feront unedivinité : Peitho, la déesse depersuasion et de la séduction, la fille d'Hermès et d'Aphrodite.

Oser savoir, prendre le bâton de parole, savoir le redistribuer,  c'est aussi la possibilité donnée à chacunde  mettre dans un tous ensemble, la mainà la pâte de la complexité de l'humain.

 

 Un savoir-vivre. Il désigne un ensemble de règles et pratiques socialesinscrivant les relations entre individu dans des schèmes ordonnés. Il traduitla prise en compte par chaque sujet d'un intérêt commun partagé avec d'autres.C'est la philia des Grecs, cesentiment de se sentir mutuellement unis, que l'on appelle communémentl'amitié. L'atelier philosophique développe le souci d'autrui, donc une estime de soi.

 

Ilme semble également, qu'il introduit la mise à disposition d'un savoir  autre au pouvoir, à l'autorité, dont j'aidéveloppé le dispositif. Comme nous avons pu l'entendre dire Michel Serres( 23), dans l'idée d'autorité il y a cette « augere », cette idée dequelque chose qui « augmente » ou « élève » dans unerelation de pouvoir et qui peut produire une augmentation de ce pouvoir. Ce quia autorité est ce qui augmente le sujet quand il parle, celui qui augmente  la puissance de notre intelligence d'espritet de c'ur, pas ce qui écrase. Celui qui élève, donne une force, pas uneviolence fasciste : la fureur guerrière, autrement dit, la lussa des Grecs,  qui met hors de soi la philia, l'esprit de la communauté, et qui commencetoujours  par expulser   les mots étrangers et   la parole de l'autre. La philia sophia y substitue une autreépreuve : pouvoir tout dire, mais il faut argumenter.

Commele disent les instituteurs, ils instituent un « chacun a le droit de penser ce qu'il veut » mais il ya  un savoir « apprendre à réfléchir sur les idées des autres ».

Ici,donc dans les ateliers présentés, c'est laphilia qui est mise en avant. A la place de Phobos, fils d'Arès  etd'Aphrodite, qui incarne  la peurpanique, est invitée Peitho, la forcede persuasion.

 

Un savoir être est aussi le résultat d'un processus de constitutionpsychique, individuel et collectif. L'atelier philosophique développe, un artd'être et de séjourner en ce monde commun, institué par l'atelier. Mais on peutpenser aussi que l'avènement de cet art d'être, reste une question ou uneaffaire personnelle et, comme tout art, demande du temps. Il doit inviter  la sophia,autrement  dit la sagesse, dont la philosophia est l'amour, et dont Jean Pierre Vernant nous dit qu'àsa naissance en Grèce, elle se trouve dans une position ambiguë : elles'apparente à la fois aux initiations des mystères, faire voir le monde des adèla (des choses invisibles) qui sedissimulent derrière les apparences, et aux controverses de l'agora, l'espace publique. C'estjustement ce qui me semble ici mis en place.

 

Nous faisons donc  la proposition que les ateliersphilosophiques développent une mise en disposition  de culture des fruits de l'esprit : unsavoir- faire, un savoir- vivre, et  unsavoir- être. En ce sens,   ilsconcourent, de façon originale et à leur façon, aux soins des enfants.

Voilà les quelques points que jesouhaite mettre en débat avec vous.

 

 

Jean Ribalet

ribalet@wanadoo.fr

Pédopsychiatre

CMPP Lorient.

 

 

BIBLIOGRAPHIE :

 

1-Ethique et thérapeutique,Presse Universitaire de Strasbourg, 1998, p 517.

2- Philosophie Magasine, N°7,Lia Duboucheron, p.18-19.

4- Clastres P, Chronique desindiens Gyayaki, Terre humaine/ Poche, 1972, p267-268.

5- Clain O,  « les mots des maux », in Aporia, N°6, mars 2007

6- Roland Gori et Marie Josée Del Volgo,  « La santé totalitaire : Essai sur la médicalisation de l'existence », Paris, Denoël, 2004.

7- Ehrenberg, A. « Le Culte de la performance », Paris, Calmann-Levy,1991.

8- Ehrenberg, A. « L'individu incertain », Paris, Calmann-Levy, 1995.

9-Ehrenberg, A. « La Fatigue d'être soi ». Dépression etsociété.  Paris, O.Jacob, 1998.

10- htpp ://www.novartispharma.ch/news/hs/hs206_f.pdf

11-LipovetskyG, « les noces de l'éthique et dubusiness », Le Débat, N°67, 1991.

12-htpp : //www.prnewswire.co.uk/cgi.news/release ' id=144838.

13-Attali J, « Une brève histoire de l'avenir »,Fayard, 2006.

14-Lipovetsky G, « L'Ere du vide. Essais sur l'individualismecontemporain », Paris, Gallimard, 1983 ; rééd.  « FolioEssai ».

15- Lipovetsky G, « Les temps hypermodernes », le livrede poche, Essai, N°4401, p.118.

16-Lipovetsy G, « Narcisse pris au piège de lapost-modernité ' », Métamorphoses de la culture libérale, Ethique,médias, entreprise, Montréal, Liber, 2002, p.25

17-Stiegler B & ArsIndustrialis, « Réenchanter lemonde », Paris, Flammarion, 2006

18-Ribalet J,  Ethiqueet thérapeutique en C.M.P.P, Aporia, N°2, 2005.

19- htpp : //gillg14.free.fr/philo_ecole.htm

20- Philosophie magasine, n°5,p 53.

21- Geneviève G, « La raison puérile », Lorleval,Labor, 2006.

22-htpp : //agsas.free.fr

23-Serres M, http : //www.radiofrance.fr., lesens de l'info, interview 14 /11/2004.