association internationale pour une politique industrielle des technologies de l'esprit
" Mais, à présent, à y mieux réfléchir, il sent s'insinuer dans son c'ur comme un grain de camaraderie pour ses imitateurs. Car il lui semble maintenant qu'il n'existe dans le monde qu'une poignée de récits ; et si on interdit aux jeunes de pirater les anciens, il leur faut à jamais garder le silence ". (1)
Pour l'essentiel, le débat autour de la loi sur le droit d'auteur, particulièrement les dispositions sur le téléchargement de fichiers musicaux, tourne autour de l'idée d'un conflit d'intérêts.
Cette note que je ne peux qu'esquisser plaide pour une approche fondamentalement différente: une approche culturelle.
Elle tient en deux points : réhabiliter l'autonomie du domaine culturel, clairement distingué du politique ou de l'économique; centrer cette approche sur une évaluation clairement revendiquée des pratiques.
Concrètement, l'approche culturelle peut être représentée comme une méthode : écarter, réserver pour la phase suivante tout ce qui n'est pas proprement culturel ; et commencer par poser la question : en quoi cette activité est ou n'est pas intéressante, estimable, " valable " d'un point de vue culturel.
Autrement dit, on reportera pour plus tard les questions qui non seulement encombrent le débat, mais l'ont obstrué dès le départ : qualification des délits, préjudices, évolution du marché, dispositifs de contrôle ou de collecte. Et on se centrera sur l'examen de cette activité pour la décrire, l'analyser, en débattre, et finalement l'évaluer, c'est à dire porter un jugement sur elle.
C'est en fonction de ce jugement, sur la base de ses attendus qu'on examinera, nécessairement mais dans un second temps les aspects économiques et juridiques.
Examiner une pratique culturelle, c'est cesser de considérer le consommateur, l'usager, le public, l'amateur comme strictement déterminés par le marché, l'institution, la tradition, ou la procédure.
Par exemple, la lecture n'est pas pure soumission au régime d'autorité du texte. Une politique de lecture peut tenter d'obtenir cette soumission. Mais la lecture ne peut pas être pure soumission et elle ne l'est jamais. Les différentes lectures peuvent donc être abordées comme pratiques, sans qu'il soit besoin pour autant d'opter pour une quelconque " primauté du lecteur ", et encore moins de considérer toutes les lectures comme équivalentes.
Jusqu'ici j'emploie le mot " pratiques " dans un sens courant. Il est évidemment nécessaire de distinguer " pratiques ", " usages ", " consommation " et j'essaierai de le faire dans une prochaine note. Mais le point qui me semble le plus important est le suivant : adopter le point de vue de la pratique culturelle, ce n'est pas a priori la valider ; au contraire, c'est la comprendre pour l'évaluer.
J'ai un peu travaillé la question de la lecture. En revanche, ce que je dis maintenant de la musique sur le net n'est rien d'autre qu'un essai, une première approximation à partir de constatations empiriques, la proposition d'un cadre descriptif qui demande à être approfondi et critiqué.
Il est clair que le terme de " téléchargement " a été retenu à des fins polémiques : il décrit simplement une opération technique présumée illégale. Mais comme toujours, ce type de manipulation lexicographique est on ne peut plus révélateur.
Une formule comme " le téléchargement de fichiers MP3 ", quand il s'agit d'écouter de la musique d'une autre manière, est la traduction histrionique de l'oubli de la culture.
Mais elle ne peut manquer de révéler que nous sommes bien devant une opération technique nouvelle : pour écouter, il faut télécharger et ce qui est téléchargé est un fichier numérique.
Le mot " téléchargement " indexerait donc la question d'une écoute probablement différente, parce que différemment outillée.
Ma référence générale a été le livre de Peter Szendy " Ecoute " (2).
J'essaie d'abord de rendre compte de ces pratiques à travers quatre grandes opérations : la découverte, la constitution d'une musicothèque, l'écoute, et le partage d'écoutes.
Puis j'examine deux questions générales qui se rapportent à la place de la musique dans nos sociétés : les gratuités et les passivités.
La première pratique caractéristique de la musique en ligne est la découverte.
Une étude de Yann Nicolas pour le département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la culture donne comme principaux motifs " l'exploration " (pour découvrir et tester) et " l'échantillonnage " (pour écouter une fois) (3).
Une particularité et une contrainte ancienne des produits culturels est leur caractère de prototype et leur dévoilement lent, évident pour ceux d'entre eux qui sont des objets temporels.
Aussi mirobolante que soit la créativité des industriels de la chaussure, je peux me faire une idée assez précise du dernier modèle de tennis en la regardant dans la vitrine. Mais un livre, un disque, un film, un logiciel doivent être testés, essayés pour être appréciés par l'amateur.
D'où l'importance des dispositifs d'intermédiation : table du libraire, casques d'écoute du disquaire, bandes-annonce, services comme Google-print. Certains musiciens arrivent à vendre une quantité non négligeable de leurs disques après les concerts.
Mais, en général, il est frappant de constater que - malgré l'omniprésence de la musique- cette fonction de découverte, de test est aujourd'hui particulièrement mal assurée par l'industrie musicale. Je ne crois pas que l'irrationalité du consommateur- qui est réelle- soit celle du joueur du poker : d'une manière ou d'une autre, il cherchera à se protéger contre le risque de déception.
Le succès de la fonction " découverte " m'apparaît directement liée à la méfiance croissante des amateurs de musique à l'égard des industries du disque.
La musicothèque numérique est une sorte de discothèque idéale personnelle. Elle permet d'éviter le stockage forcé des morceaux dont l'amateur ne veut pas, et de tirer pleinement parti des baladeurs. Au delà elle lui permet de sélectionner et regrouper des interprétations, des morceaux, des types de musique, selon ses goûts propres, distincts de l'offre commerciale.
Bref c'est, sous une forme nouvelle, l'activité de collectionneur qui est " démocratisée ", en même temps qu'un " propre " est défini à la place du formatage industriel, de la synchronisation sonore caractéristiques de la radio ou de l'industrie du disque.
J'ai déjà dit, à propos de la bibliothèque, l'importance qu'il fallait accorder aux dispositifs de collections personnelles. Voir ici.
En effet la musicothèque numérique n'est pas seulement un moyen pour l'amateur d'affirmer son autonomie, ses goûts propres. C'est aussi une pratique distincte qui, autour d'une opération de mise en ordre, favorise grandement la culture musicale. Ce point apparaît assez évident : un amateur de jazz c'est quelqu'un qui a une collection de disques de jazz et qui les écoute.
Et la collection numérique ne semble nullement inférieure aux autres types de collection, en particulier de CD. Elle présente des avantages matériels évidents et conséquents : gain de place, mobilité. Elle permet d'associer aux fichiers musicaux des textes de paroles, des notations, des images fixes ou animées. Surtout cette collection est une " vraie " collection, dans le sens où elle suppose toute une série d'activités volontaires : classer, copier, reclasser, enregistrer, décrire (métadonnées).
Bref c'est un dispositif de mémoire active.
Et un point clé de cette mémoire active, c'est la production de " versions d'écoute ".
Fondamentalement l'écoute est plurielle. D'un côté, la musique est " allographique " : je la reçois à travers telle ou telle interprétation ; de l'autre, elle est particulièrement adaptée à la plasticité du cerveau., et je peux la recevoir dans des contextes d'audition très divers.
Le même morceau de guitare électrique peut être écouté comme un moment de virtuosité d'un musicien apprécié, le rappel d'une émotion fugace, le totem sonore d'une tribu, l'exemple du troisième chapitre de la méthode Rébillard.
Je ne peux dire que des banalités là dessus; lisez Szendy, le chapitre sur l'arrangement.
L'idée simple, c'est que la musique numérique permet de définir un ordre particulier d'écoute, qu'il s'agisse d'écoute attentive, érudite, d'apprentissage, de programmes pour danser, d'ambiances musicales, voire de simulations d'écoute.
Comme régime individuel cette écoute échappe à la police des programmations, ce qu'on appelle si bien matraquage. Mais au lieu de définir la " bonne " écoute individuelle, elle permet à l'amateur de jouer sur la gamme des résonances, par là d'être un peu musical, sinon musicien.
De fait, on retrouvera ces pratiques d'arrangement, de citation, de remix dans les activités musiciennes elles même.
La production d'arrangements, de versions d'écoute, même dans la forme minimale d'une simple programmation différente du ou des produits industriels (disque, émission de radio) peut être individuelle ; elle est aussi fréquemment collective.
Ecouter ensemble. Ce qui m'est apparu le plus étonnant dans la discussion sur " l'échange de fichiers musicaux ", c'est le fait que certains de ses opposants ne semblaient concevoir que les types d'écoute les plus stéérotypés : l'écoute du grand collectif institué, sous la forme fusionnelle des concerts ou celle de la foule solitaire des mass-médias et l'écoute isolée du consommateur individuel.
Il semble pourtant qu'une caractéristique de la pratique musicale soit l'écoute partagée active, le " faire écouter ", l'écoute non pas à deux ou plusieurs, mais à l'initiative de l'un vers l'autre ou les autres. Cette possibilité traditionnelle qu'a l'amateur de proposer une écoute, son écoute, est une pratique particulièrement significative et intéressante de l'échange de musique téléchargée.
Elle se concrétise aussi sous la forme de microéditions de disques, par exemple à l'occasion de fêtes. Anniversaires, mariages, " enterrements de vie de jeune fille " : on grave sur un CD les airs qu'on a aimés ensemble.
Ecouter écouter : le livre de Peter Szendy est une philosophie des singularités qui s'agencent à l'occasion de l'écoute musicale.
Voici son dernier paragraphe :
" Nous ne sommes donc pas une communauté d'auditeurs à l'écoute d'un même objet qui nous réunirait, tel ce peuple d'oreilles muettes dont semblait rêver Wagner. Nous sommes une addition infinie de singularités qui veulent chacune se faire entendre entendre. Donc sans sommation possible. Nous n'écoutons comme un seul corps : nous sommes deux, et (donc) toujours un de plus. "
Pratiques musicales et pratiques numériques sont étroitement associées.
Si les pratiques liées à la musique en ligne (découverte, musicothèque numérique, écoute, partage d'écoutes) ont été correctement identifiées, il faut souligner qu'elles ne sont pas " neutres " techniquement.
Au contraire, elles ont été rendues possibles et correspondent à ce qu'on appelle le peer-to-peer.
C'est le P2P qui a constitué le plan d'opérabilité de l'écoute numérique, comme le web avait réalisé les conditions effectives de la lecture numérique, dans la mesure où la quantité des musiques proposées et leur diversité, et surtout la liberté des usages et des expériences, ont rendu possible ces nouvelles pratiques.
Situation que n'auraient pu créer, et que n'ont d'ailleurs pas cherché à créer, les dispositifs de diffusion centralisée de la musique. Là aussi, le parallèle est frappant avec l'invention du web.
Au delà, le P2P est un cadre technologique qui correspond bien à la dimension collective de l'écoute numérique. Cette dimension n'est pas nouvelle (cf les remarques de Szendy), mais elle rebondit avec le réseau numérique.
Le P2P n'est pas seulement un réseau horizontal de machines et de logiciels, ni même un réseau de services autour de la circulation de la musique, c'est aussi un réseau d'écoutes, un réseau d'auditeurs.
Florent Latrive conclut son livre " Du bon usage de la piraterie " (4) par un éloge de la bonne gratuité, en quelque sorte un détournement de la marchandise. Il oppose " deux univers hybridés aux règles différentes : marchand/non marchand, payant/gratuit, concurrence/coopération ".
Une telle construction nécessite évidemment d'écarter la " fausse gratuité ", c'est à dire le financement par la publicité, ce qu'on appelle parfois l'économie-media. Latrive différencie et oppose donc la gratuité " réelle " et la " fausse " gratuité.
En réservant le sens général d'une telle construction, je dois dire qu'elle ne me semble pas très bien adaptée au cas du téléchargement de la musique.
Dans l'usage concret, un point est décisif : les usagers sont surtout des " jeunes ". Or s'il s'agit des jeunes, il nous faut parler non pas d'une mais de deux " fausses " gratuités.
La première gratuité, fondamentale, mais constamment évacuée, est celle qui provient de la mise en place du marché de la jeunesse, prototypé d'abord à partir des années 50 sur le groupe bientôt baptisé " teen-age ", et qui commence aujourd'hui dès les écoles maternelles.
La véritable école universelle de nos sociétés est la " Consomm-Academy ". Elle a plusieurs points communs avec l'autre école : comme celle-là, elle est publique, obligatoire, gratuite. Il est vrai qu'elle n'est pas laïque puisqu'on y pratique ostensiblement le culte de la seule idole consommation.
Le jeune - le " néo " - est un donataire métamorphosé en client, un pouvoir d'achat sans revenus, un expert de la consommation qui ignore tout de la production. De cette première gratuité, il faut encore dire autre chose : le consommateur y est hyper-actif.
La deuxième gratuité est bien celle que résume le mot " publicité ", soit que la musique fasse partie du contenu d'un média financé par la publicité, soit qu'elle s'intègre directement à la publicité. Il s'agit d'échanger de l'attention contre un " contenu ", un " message ".
Cet échange est un troc et je ne vois aucune raison de qualifier cette deuxième gratuité de " fausse ". Il est vrai qu'elle introduit une falsification de l'économie, dans le sens où le prix de la publicité, de l'émission de musique, du feuilleton ou du journal gratuit est reporté, augmenté et acquitté ailleurs, sur les chaussures, les jeux, ou le portable.
Mais le troc lui même est véritable. C'est précisément ce qui distingue la misère de la pauvreté : la misère comporte toujours une participation du sujet, individuel ou collectif.
Aussi bien le troc attention-message traduit-il un certain penchant du consommateur, une inclination de moins en moins secrète à participer au diktat de l'envie industrialisée.
On a souvent souligné l'omniprésence de la musique dans la vie quotidienne.
La musique accompagne l'audiovisuel depuis le début, notamment sur le plan technologique, et sa place n'a cessé d'y augmenter. Il y eut des émissions musicales, puis des radios ou des chaînes musicales, et maintenant des radios ou des chaînes spécialisées dans tel ou tel type de musique, le plus souvent pour les jeunes.
Depuis les années 60, la musique rythme la grille. " Hélène et son destin " décourageait alors définitivement les amateurs de la " Lettre à Elise ". La publicité pour Dim tournait autour de la musique de Lazlo Schiffrin. La musique " colle à l'identité du produit " ; l'image musicale est le pivot autour duquel tournent les images visuelles.
Les mélodies sont devenues du café, de l'assurance, des voitures, de la crème fraîche ou des lunettes. Il y a un violoniste qui ne se contente pas de vendre ses mauvais disques dans les super marchés, il vend le super marché lui même.
Si les jeunes ont une " culture de la gratuité " ( !), il faut reconnaître que l'industrie musicale, la publicité et les industries culturelles en général n'y sont pas pour rien.
Car les deux gratuités font système et elles ne sont pas égales.
Le jeune sait bien - on le forme très soigneusement à ce genre de connaissances- que la musique de publicité est subordonnée à la consommation : toute la musique qu'on lui propose est ainsi aimable, gratuite, dévalorisée. Vivant dans une gratuité générale, identifiant la musique comme un cas supplémentaire de gratuité relative, une hyper-gratuité, il achète moins de disques et se demande pourquoi il faudrait payer sur internet.
Séparer la gratuité " réelle " (selon Florent Latrive) des autres gratuités
caractéristiques de la formation initiale par laquelle l'économie encadre et produit le jeune consommateur me semble donc une vue de l'esprit.
La gratuité permet une exploration sans contraintes des modes de consommation musicale.
Elle favorise pour les jeunes qui y sont enclins la boulimie - ce que les Latins appelaient Glutia, la gloutonnerie- qui, dans ce domaine, n'est pas considérée comme dégradante ou négative, et ne semble pas constituer une addiction.
On peut se demander cependant si la boulimie musicale de l'adolescent ne participe pas d'une préparation psychologique aux futures addictions réelles, à commencer par l'addiction de base à la consommation, dont l'achat compulsif n'est que la forme extrême.
Mais, sauf ce qui vient d'être dit, je ne crois pas que la notion d'addiction soit une bonne entrée pour le téléchargement. Manifestement, la musique ne se combine pas au réseau de la même manière que le jeu qui produit une véritable addiction croisée.
Il me semble que la vieille notion de " conditionnement ", que Mr Le Lay a relancé si opportunément il y a deux ans, avec sa préparation de " temps de cerveau humain disponible " est ici encore utile.
Que la musique puisse être l'instrument d'un conditionnement de masse semble assez peu discutable. Au même moment des millions de spectateurs vont être le public d'une musique-café ou d'une musique-crème fraîche. Il n'est pas tout à fait garanti qu'ils se précipiteront pour consommer ce café là, ou s'assurer à cette mutuelle là. Mais à coup sûr, répondant au chef de claque télévisuel, ils auront tous en même temps suspendu leur activité neuronale en direction de la liturgie commerciale.
La musique en ligne peut renforcer ce type de conditionnement : il ne semble pas réaliste d'espérer que les improbables tubes de Star-ac restent à l'écart des I-pod. Mais en sens contraire, elle peut permettre à l'amateur de planter son décor personnel, d'échapper au conditionnement, voire de partager sa " zone temporaire ".
Il faut donc, une nouvelle fois, s'intéresser à la pratique. La boulimie d'ambiance musicale peut aller jusqu'à figurer un programme de vie, une grille d'existence quotidienne, ce à quoi, d'ailleurs, correspond parfaitement bien l'idée de " radio personnelle ".
Ce programme est une grammaire d'exil : le jeune se retranche de sa famille, du groupe de voyageurs, voire de sa bande. Dès qu'il peut, il saute sur ses oreillettes et retarde toujours le moment de les enlever, par exemple avant de prendre place en classe.
La musique devient alors la structure de formatage des émotions et de l'attention, le packaging des états de conscience, parfois une camisole. Elle est comme la Catena des anciens, la chaîne mentale d'association des images (mais dans l'Antiquité tardive, il s'agissait d'images visuelles et non pas auditives).
Je pense aussi à " L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau ", musicien atteint de la maladie Alzheimer, incapable de reconnaître les êtres et les choses, mais indexant sur des airs de musique toutes les formes de sa vie quotidienne. (5)
Il y a beaucoup de jeunes (en réalité, ce n'est pas le nombre qui compte, mais le fait que des générations entières aient été " formées " dans cet esprit) qui prennent le monde, c'est-à-dire leur vie quotidienne, pour un épisode de Star Académie.
Mais la plupart du temps, grâce à la musique, tout le monde, à commencer par eux, peut faire semblant de ne pas s'en rendre compte.
Il faudrait trouver un mot pour dire le contraire d'agenda : cette grille temporelle des passivités auxquelles certains ne peuvent pas échapper, par lesquelles il leur faut nécessairement passer, et auxquelles même ils contribuent.
Ce dont nous avons besoin, c'est d'une polémologie des usages ou des pratiques culturelles. Le mot était utilisé par Michel de Certeau dans " L'invention du quotidien " (6). Il l'est aujourd'hui par Bernard Stiegler et Peter Szendy.
En somme, on cherche à savoir si la pratique culturelle en question, le téléchargement de musique par exemple, relève de ces arts de faire qui inventent le quotidien selon Michel de Certeau, ou si elle s'apparente à la position du spectateur que Debord a critiqué, notamment sous la forme du public du cinéma. (7)
Pour Certeau comme pour Debord, le public a un rôle dans le dispositif. Mais dans le premier cas, ce rôle, cet usage est intéressant dans la mesure même où il se détourne du dispositif (et il s'en détourne toujours). Pour le second, la participation du public au spectacle n'est rien d'autre qu'une acceptation servile de son aliénation.
Simplifions encore. Pour Certeau, les usages sont toujours inventifs ; ils emportent toujours des arts de faire. Pour Debord, le public de cinéma ne construit jamais de situations.
Au passage, je note que les logiques des deux auteurs me semblent irréconciliables. Elles sont comme deux balises de cette polémologie des pratiques.
(1) J-M Coetzee, " Lui et son homme ", Le Monde diplomatique, Juillet 2004, traduit par Catherine Lauga du Plessis.
(2) Peter Szendy " Ecoute. Une histoire de nos oreilles ", 2001, Editions de Minuit.
(3) Yann Nicolas " Le téléchargement sur les réseaux de pair à pair"
(4) Florent Latrive " Du bon usage de la piraterie ", 2004, Exils Editions
(5) Oliver Sacks " L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau ", Editions du Seuil.
(6) Michel de Certeau " L'invention du quotidien. 1. arts de faire " 1980, 10-18, UGE, et 1990, Gallimard
(7) Guy Debord " In girum imus nocte et consumimur igni ", 1978, Champ libre, et 1990, Editions Gérard Lebovici.
(publié aussi ici: http://alaingiffard.blogs.com/culture/ )