je suis un reporter de guerre opérant en berry

Publié par jfremiot le 4 Octobre, 2007 - 08:23
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texte sur "Les territoires occupés", série de photographie de 2006-2007 de Jean Frémiot

Je suis un reporter de guerre opérant en Berry

En territoire occupé

Auteur-photographe installé en Berry depuis toujours, je poursuis depuis deux ans une recherche artistique approfondie sur les transformations paysagères des alentours de Bourges. Cela se traduit par des voyages réguliers dans quelques zones pavillonnaires en construction que l'on peut aussi trouver à la périphéries de n'importe quelle autre ville. Ce travail m'amène à étudier particulièrement ces territoires en devenir, à mettre en évidence l'essor aussi bien architectural que démographique et sociologique de ces zones périurbaines ou péri-rurales en pleine transformation, tout en allant au-devant de populations positionnées comme autant de fantassins sur une ligne de front.

Ces zones conquises sur des terres jusqu'à maintenant dédiées à l'agriculture, situent, composent et forment désormais les éléments constituants de cet avatar géographique inédit qui se met en scène directement sous nos yeux. Le sens naît de lui-même comme les choses se font et mon regard pensif se porte sur ce phénomène avec rigueur et assiduité.  

Du temps de la conquête

Il y a un proverbe chinois qui dit: "Bâtis ta maison et quand elle sera terminée, quitte-la." Ici des familles de "rurbains" s'implantent de manière durable (ou espèrent que ce le soit vraiment), et les maisons éclosent promptement. La mutation "civilisatrice" du paysage est en marche. L'occupation des espaces "vides" gagne rapidement sur le terrain des opérations. A cet endroit-là il y a urgence. La lutte pour un temps raccourci y est effective. A peine croqués, juste esquissés, les desseins des différents protagonistes de cette tragédie sont lisibles un peu partout. Les géomètres balisent pendant que les maçons coulent déjà les fondations d'un avenir visiblement sans résistances possibles.

La série de photographies "Les Territoires occupés" est, elle aussi, en perpétuelle mutation et colle au temps qui se déroule au présent. De nouvelles images s'ajoutent au fur et à mesure que ces colonies insolites s'implantent. Le regard du passant comme celui du photographe feint de se porter vers l'infini. Il y cherche une échappatoire et ne se résout que contraint et forcé à une confrontation visuelle avec ce plan vertical, plaqué sur le point de fuite : le mur, premier décor, premier motif d'exploitation de la surface du sol.

"Bientôt ici une vie meilleure au meilleur prix".

Le témoin de ces métamorphoses, le regardeur attentionné, le spectateur attentif se trouve alors projeté en fond de scène et devient à son tour acteur au centre névralgique de ce théâtre des opérations, tout en gardant présent en mémoire la toile de fond vu des gradins. Devenu à la fois comédien et metteur en scène, interprète de son propre rôle et réalisateur de sa vie, illusoirement conscient d'en être le démiurge, le participant à cette expérience ne peut rester inerte devant pareil spectacle. Impliqué à l'extrême par l'information directe de l'élévation par delà la première ligne de tir, propulsé dans le temps effréné du combat comme un appelé du contingent, mais maintenu à distance par l'ampleur de la sidération, l'expérimentateur de cette rencontre frontale avec un réel strictement représenté ne peut que rester médusé et souffrir de vertiges et d'hallucinations.

"Les Territoires occupés" posent les bases d'une pensée commune au regard (l'esthétique), au sens (philosophique, éthique et politique), aux sens (du sensoriel), et à la culture (par la lecture historique des faits à venir qui semblent inéluctables).

Les éléments naturels et architecturaux, ces "choses" du paysage, mis en scène et composés par le choix des angles de vue, sous l'axe d'une certaine lumière propre à révéler tant l'atmosphère que les formes montrées, avec ses références à la peinture, à la littérature ou au cinéma, parlent autant au spectateur de ces objets que de leur propre représentation face à ces images. Que voit-on' Une photographie de la taille d'une peinture modeste représentant des éléments d'un paysage anciennement "naturel", mais, depuis peu, malmené par les décisions de l'humain conquistador... Bientôt des corps trouveront abri en ces demeures, à cet endroit même où la plaine n'était jadis que sauvages dangers pour l'homme.

Sur la ligne de tirs

Comment se situer judicieusement face à la nécessité problématique d'une urbanisation idéologiquement dominatrice et aussi galopante que conquérante' Demain, des archéologues se pencheront sur les restes de cette histoire, mais comprendront-ils alors de quoi il était question' Il est assurément urgent et possible aujourd'hui de questionner le paysage avant de disparaître prématurément devant cet horizon, comme décline le jour sur une terre dévastée après des temps de guerre et d'occupation.

Déserter, faire le mur deviendrait-il une urgence vitale' L'affront à cette ligne de force interroge la tension qui nous lie les uns aux autres dans notre rapport à l'espace partagé. L'aspect à venir de notre civilisation est aujourd'hui en pleine réalisation. Devant nous s'étend un chantier d'ampleur qui, se déroulant tel un rouleau compresseur, damerait le calcaire de voix incertaines. Nous avons le devoir de faire en sorte qu'il soit mené à bien, et comme il faut, pour les temps futurs. L'attention que je porte à ce champ infini de réflexions nourrit mes préoccupations tant esthétiques que philosophiques, et celles-ci motivent ma volonté de confronter mon regard sur le monde avec celui de ceux qui ne soupçonnent peut-être pas le nombre de batailles en cours.

Jean Frémiot-septembre 2007

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