La télécratie n'est plus ce qu'elle était

Publié par aferro le 14 Octobre, 2006 - 20:12
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Ce fut une excellente rentrée, ce 14 octobre 2006, à Ars Industrialis.

Un bon débat, fécond pour la mise en route de quelques idées autour d'une nouvelle puissance publique, sous fond de techniques financières de capitalisation à court terme (!!!) et stratégie télévisuelles, ou mieux télé-visuelles (y compris celles de la construction interactive de programmammation "podcastée" sur le net).

Il fut, bien sûr, question d'icones politiques, évitant soignement le débat et recherchant les feux de la rampe, mais aussi de la récupération politique des blogs d'opinion.

Il fut question également de logiciels à vocation sociale, utilisés maintenant par les télés (M6, dans le cas qui a été présenté)  pour rendre complice les utilisateurs de leurs productions à l'intelligence low cost.

Nous pouvons nous poser la question de ce qu'est la "télécratie", maintenant que l'opinion publique repose (presque) autant (dans certains pays) sur un télévisuel produit par les mass-média (avec une ligne éditoriale et une programmation) que sur des médias produits par tout et chacun.

La question de la régulation est certes politique... en partie, mais également, et plus, éducative. On peut certes légiférer sur la télévision, sur Internet, mais l'éthique ne nait pas de la loi, c'est tout le contraire.

La loi n'est que représentation (toujours imparfaite, toujours injuste, au nom même de sa recherche incessante de justice) d'un "souci", de cette tension vers le "haut", le "ce qui nous dépasse" (chacun substituera ce haut avec le terme qui lui convient : idéal, spiritualité, valeurs, trascendance, nous social...).

Une régulation est certes nécessaire, mais laquelle ' La situation est assez complexe.

On peut (on doit) lutter contre l'instrumentation télévisuelle, contre la pipolisation politique, contre les logiques capitalistiques de l'audimat mais.... que faire des circuits d'opinion "libre" '

Il n'y a pas d'un côté les méchantes télés et de l'autre les bons internautes redresseurs de torts informatifs. TF1 contre You tube.

C'est la reflexion à laquelle m'invite la lecture de l'article qui, hasard des dates et heures, le monde.fr a publié ce jour même à 14h06 (c'est à dire au moment-même où nous débattions de ces choses). : "YouTube, nouvel 'il du monde".

La captation du cerveau disponible ne stimule pas seulement les vendeurs de la pub pour cocacola, mais aussi les politiques souhaitant faire tomber leur adversaire dans le piège des mots et des images, vite relayés par les internautes, à travers des vrai-faux circuits de communication "spontanée".

Elle stimule aussi, comme dans le cas de "Lonelygirl15" plein de petits malins en recherche de pub.

Quand au marketing viral (buzz marketing), il a bien compris l'intérêt de l'impusion  donnée par la création de vrai-semblable.

Le vrai-semblable, voilà où nous en sommes ! Le produit qui est vendu est le produit qui vise le pulsionnel tout en nous parlant de désir. Par exemple : le voyeurisme fait semblant de s'intéresser à la politique, le fromage blanc "Calin" nous parle de tendresse...  C'est cela le vrai-semblable, plus vrai que le vrai !

Comme les aromes artificiels, comme le seins refaits de plus en plus tôt, changés plusieurs fois comme l'on change de vêtement, comme le faux blogs perso des hommes (et femmes) politiques et des patron de grands groupes industriels.
L'heure est à l'hystérie sociale, avec son hypertrophie communicationnelle et son insensibilite sociophysiologique.*

Dans YouTube on trouve pêle-mêle des vidéos sur l'actualité, des scoops savamment préparés par des agences de com, des images qui font le tour du monde et qui peuvent faire basculer l'opinion publique, des vidéos d'happy slapping (happy, mais pas pour tout le monde)....

Un fourre-tout n'est pas un contre pouvoir. C'est également, comme les mass-media, un lieu où la manipulation s'installe.

La démocratie, ce n'est pas TF1. Ce n'est pas non plus YouTube. La démocratie n'est pas sans intelligence, sans vision à long terme, sans recul vis à vis du vu et du supposé su.

La démocratie n'est rien sans parole, et sans parole qui engage. La démocratie n'existe pas sans honnêteté, et donc sans que l'autre nous mette en demande d'engagement.

Lutter contre la télécratie, c'est à mon avis lutter contre la primauté d'un télé- dont la distance se fait ennemi du face à face, de toute polémologie qui aurait en elle une possibilité de rencontre effective avec l'altérité que l'on combat, avant de l'accueillir en tant que différence, "augmenté" de l'autre.

"Aime ton lointain comme toi-même !"
Voici la prophétie de Paul Virilio dans son livre "Cybermonde, la politique du pire".

Aime ton lointain comme toi-même, c'est à dire comme ce que tu donnes à voir de toi-même par média interposé (selon l'analyse très intéressante qu'en fait dans "L'intimité surexposée" Serge Tisseron).

Rencontre d'images, d'imaginaires réduits par le rapport à l'immédiateté. Immaginaire du voir et d'être vu, dans l'instant, dans l'espace-temps reduit de la juissance.

Face à cela, la solution n'est pas "télé", même s'il faut dire des choses, même si la télévision comme mass-média doit avoir sa place dans une polémologie des technologies de l'esprit.  Même si la puissance publique doit investir le lieu, les lieux de la production et de la programmation télévisuelle.

Face à cela, la solution passe par la réhabilition du Visage, et non pas par son image, mais de sa hauteur. C'est à dire (en disant comme Levinas) de ce à quoi je ne puis pas me dérober, parce que "ça me regarde".

Ce qui est important n'est pas tant en effet ce que nous voyons, mais ce qui nous regarde.

Tout ceci pour dire que la lutte contre la télécratie s'exprime (entre autre) dans la valorisation du lien social de proximité, dans l'action micro-sociale, dans tout ce qui met à distance le télé- pour lui donner à nouveau un sens informatif et formatifs conscient, c'est à dire choisi.

Adrien Ferro



*Je parle ici de sociophysiologie car, comme il y a"corps" social, il y a physiologie sociale. Celle-ci doit être analyséedans le cadre des sociopathologies, pour identifier comment sedéveloppe, dans un occident soumis au capitalisme financier, "l'inscription corporelle de l'esprit" (je reprends ici la formule de Varela, Thompson et Roch, titre du livre homonyme).Je reviendrai dans un article ad hoc sur ce concept.

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