association internationale pour une politique industrielle des technologies de l'esprit
... , et c'est ce que les effarouchés publics, qui ne ressemblent décidément en rien à Zeus, qui n'ont rien ni d'olympien, ni de titanesque, et qui répondent à ce non en poussant ces cris d'orfraie par quoi ils croient pouvoir se dispenser de le penser, ne comprennent pas : ils ne comprennent pas que l'on n'est écouté que par ceux que l'on se rend capable d'écouter.
C'est par la même raison qui fait qu'il faut participer pour sentir que celui qui n'écoute pas n'est pas écouté. Mais pour pouvoir écouter, pour pouvoir me rendre disponible et attentif à celui que je dois écouter pour pouvoir lui parler, il faut que j'aie le savoir et le sentiment que je peux participer au circuit symbolique, et donc qu'il existe un tel circuit, et que ça y circule... quoi ? L'énergie libidinale. Il faut un seuil de confiance symbolique qui supporte écoutes et répons.
Or, un tel circuit est ce que doit entretenir la vie politique pour que ce seuil de confiance se maintienne. Son maintien suppose lui-même une culture politique.
C'est ce seuil qui a été détruit. Et de nos jours, la question de ce seuil, c'est la question de la socialisation des technologies culturelles et cognitives, réalités de l'échange symbolique aujourd'hui convergentes et dont le modèle de socialisation a été confisqué par une idéologie du marché suicidaire (elle se ruine elle-même).
Une culture politique capable de mettre en œuvre une économie industrielle des technologies du symbole et de l'esprit ouvrant largement le sentiment d'un avenir est ce qui devra faire l'objet d'une politique originale de l'Europe prochaine, celle qui saura produire de la motivation parce qu'elle aura développé une économie politique et industrielle au service de l'élévation de Européens, et non de leur crétinisation.
Tel est l'objet d'Ars Industrialis. Pour plus de précisions, voir le Manifeste sur ce site.
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Je me suis dit, lorsque Béatrice Vallaeys m'a proposé cet exercice d'écrire chaque jour d'une semaine pour un quotidien, que je ne saurais jamais faire court, et que je ne le voulais pas : je peste de plus en plus contre le sommaire, du moins en matière d'actualité (car j'aime aussi les poèmes précisément parce qu'ils sont courts - quand il ne s'agit pas de poésie épique et de ce qui s'y assimile).
Et d'autre part, je me suis dit que ce qui serait intéressant, dans cette expérience, ce serait l'occasion d'y réfléchir sur ce que c'est qu'un journal, sur ce qu'est l'écriture journalistique, et son rôle, et ce à quoi elle pourrait bien encore servir aujourd'hui, elle qui se porte si mal, et comment, surtout, on pourrait la réinventer en réinventant un peu les règles du genre littéraire qu'est devenue cette rubrique, la semaine d'Untel, qui paraît chaque week-end dans Libération.
D'où ce lien vers le site d' Ars Industrialis, sur ma " page personnelle " ou mon " blog ", créé pour l'occasion.
Qu'est-ce d'ailleurs que la personnalité à l'époque des blogs et des " pages perso " ? Et qu'en est-il de ce que Blanchot appelle l'impersonnel lorsque le marketing propose la personnalisation comme nouveau mode de captation de la libido - laquelle ne cherche que le singulier, qui est, je le crois, originairement, mais dès l'origine par défaut, et comme son défaut d'origine même, en rapport à cet impersonnel ?
" Le savoir impersonnel du livre " : tel est selon Blanchot, en effet, la question des questions qui advient à la fin de l'âge oraculaire qui l'aura engendré, ce livre, comme l'oracle du tragique.
Personne et impersonnel forment le circuit du désir - du singulier. Le circuit symbolique est un circuit du désir et c'est aussi celui de ce que j'ai appelé, dans De la misère symbolique 2, l'exclamation. L'exclamation est ce qui surgit comme la racine de l'expression qu'est le cri de joie ou d'horreur, l'interjection, le juron et l'onomatopée, mais qui, tout de suite, symbolise au delà du cri, c'est à dire désire au delà de la pulsion, et s'inscrit dans le circuit du don et du contre-don qu'est l'échange symbolique.
L'ex-clamation est l'origine de l'ex-pression, et celle-ci se constitue dans l'ex-sistence en tant qu'elle est conditionnée par l'ex-tériorisation technique : tout cet appareillage et cet agencement d'ex-... est aussi ce qui fait de l'être que j'appelle noétique, avec Aristote - pour éviter ce mot, qui fut naguère si neuf, avec Hume et Rousseau, et qui est devenu si creux, d'" humain ", et que tout le monde a à la bouche désormais, comme on voyait les mandibules des années soixante mâcher toutes le même chewing-gum baptisé Hollywood - , c'est ce qui fait de cet être, donc, l'humain, l'être qui est essentiellement ex-... , et en tant qu'existence, il est ce qui désire l'ex-ception - c'est à dire aussi l'accident qu'est l'extérieur, ou, comme dit encore Blanchot, le dehors. (Ce qui veut dire aussi qu'il est toujours déjà en train de devenir caduc, un " ex-homme " du XXè siècle... vaste question).
Je n'exclame sereinement, et on appelle cela s'exprimer (sereinement), et non pas dans cette souffrance verbeuse qui s'apparente au cri (quand cela n'est pas plus couramment et simplement et banalement le bavardage), je ne symbolise tranquillement, sûrement, efficacement, que lorsque j'ai accès à l'écoute des autres parce qu'ils entendent que je les y écoute et parce que je le sens. Cela, être écouté, confère évidemment une certaine forme (dangereuse - et même très dangereuse, et qui menace aussi bien les journalistes) d'assurance de soi, par exemple quand on peut accéder à Libération et s'adresser à des milliers de gens. Mais cela peut aussi engendrer l'illusion d'être écouté, quand, au contraire de donner l'impression d'écouter au moment même où on s'ex-prime, on est subi.
Car il y a des milliards de gens qui ne peuvent s'adresser presque plus à personne, et à qui, en vérité, plus personne ne s'adresse non plus. La forme dominante de l'adresse journalistique, devenue un business qui doit faire de l'audience, détruit ses audiences du même coup : elles débandent, car on ne s'adresse pas à ceux que l'on ne vise pas (précisément parce qu'on les écoute en s'adressant à eux, les lecteurs, ou les électeurs : les citoyens) comme à une cible, quantifiable et vendable, comme Le Lay, l'ennemi du beau, le fait sans vergogne sur TF1. Cela, c'est ce qui engendre le bavardage - des journalistes et de leurs lecteurs, des hommes politiques et de leurs électeurs, à la radio ou dans la presse écrite, et finalement, de nos jours, cela va si mal à cet égard que l'on a de moins en moins affaire au bavardage et de plus en plus au cri, et à la rage, et comme substituts du meurtre ou de toutes autres formes de violence, individuelle ou sociale. En attendant...
Quant au bavardage, Ignace de Loyola écrit dans ses exercices spirituels que c'est un péché de parler en vain. Dieu m'en garde, lui qui est mort.