association internationale pour une politique industrielle des technologies de l'esprit
Nos valeurs républicaines sont mises à rude épreuve. Chacun l'admettra. Ici ou dans les rues de Karrada près de Bagdad.
Les médias, les auteurs d’attentats et les politiques semblent avoir respecté la trêve olympique, ou celle de leurs vacances d’été, allez savoir.
Le vacarme des mots qui a suivi celui des maux a provisoirement cessé.
Je profite de ce calme relatif pour partir à la recherche de l'une des valeurs les plus fondamentales, les plus osées, les plus innovantes, et au fond les plus oubliées, de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.
Rappelons-nous quand et pourquoi nous l'avons rédigée au sortir des deux conflits les plus violents que l'Humanité ait connu.
Cela paraît évident, incongru, inutile, obsolète, de rappeler nos valeurs fondatrices.
Mais vus l'agitation électoralo-populiste aux USA ou en France, en particulier après l'horreur de Nice, et l'échec récent que représente le Brexit (échec au sens où les politiques menées semblent avoir perdu en route l'idéal prévalant à la construction européenne jusqu'à pousser un pays à rompre avec l'utopie du projet), tout se passe comme si les gouvernants, les aspirant gouvernants et la société civile avaient oublié que les textes fondamentaux sur lesquels reposent notre monde civilisé sont basés non pas sur une, ni même deux, mais bien sur trois valeurs.
Et ce n'est pas du tout par hasard. L'Histoire a fait plusieurs essais pour en arriver à cette synthèse.
Pas facile de définir la Liberté. La déclaration de 1789 nous dit : « La Liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». C’est-à-dire, pour reprendre un adage célèbre : « La Liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ».
Faisons un peu de géométrie. Visuellement, cela ressemble à cela :
Comme on peut le voir, les espaces de liberté L1 et L2 respectent la définition.
En revanche, L1 profite ici d’un espace de Liberté 4 fois plus important que L2, simplement parce qu’il a élargi davantage sa sphère d’influence; il a repoussé ses "frontières".
Il a pu pour cela exploiter une inefficience de L2 (par faiblesse ou simplement par manque d’intérêt), ou bien une zone de non-droit, une zone grise, ou bien une position dominante, voire une entente avec un tiers qui lui aurait cédé son terrain. Il pourrait même avoir utilisé la force, plus ou moins légalement.
Chacun sent bien que cette situation ne peut pas durer et que tôt ou tard, ce déséquilibre sera source de conflit.
Les libéraux humanistes partisans de la non-violence introduisent donc la valeur Égalité comme indissociable de la Liberté.
Liberté et Égalité vont faire leur apparition dans les textes fondateurs des premières républiques, dans la Déclaration d’indépendance des États-Unis en 1776, puis dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en France en 1789.
"Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes: tous les hommes sont créés égaux"
Extrait de la Déclaration d'indépendance
Si l’on respecte le principe d’Égalité, cela donne ceci :
L1 perd un peu moins de la moitié de son "territoire" de Liberté, tandis que L2 fait plus que doubler son espace de Liberté.
Les pertes de l’un et les gains de l’autre sont si importants qu’ils suffisent à expliquer bien des conflits. Les uns animés par la peur de perdre et par l’esprit de conservation, les autres par la jalousie, la haine et par l’envie de plus (plus de sécurité, plus de nourriture, plus de santé, plus de confort, plus d’épanouissement, plus de Liberté religieuse, etc.).
Mais il faut bien voir que ces conflits sont dus à une situation de départ déséquilibrée où l’un est défavorisé par rapport à l’autre. La situation serait différente si on avait pu créer d'emblée ces espaces en pensant à l’Égalité. Mais c'est un peu tard. On ne va pas refaire l'Histoire du développement humain. La réalité est que certains ont plus que d'autres.
Cette situation déséquilibrée était de mise partout où on a introduit les valeurs d’Égalité et de Liberté. Car on a introduit ces valeurs à un moment où les plus forts (ou les plus intéressés, ou les plus malins, ou les moins honnêtes) avaient déjà conquis leur espace. Toute tentative de rééquilibrage est donc difficile et a créé bien des conflits. Même avec une bonne intention au départ, cela a pu mener, à l'extrême, à une forme de totalitarisme.
Cela a fait dire à certains, dont Milton Friedman en 1980 (prix Nobel d’Économie en 1976 et ardent défenseur du libéralisme), que l’Égalité devait passer au second plan, être subordonnée à la Liberté:
« Une société qui met l'égalité au-dessus de la liberté n'aura ni l'un, ni l'autre »
Que la liberté soit prioritaire sur l'égalité, ou l'inverse, définit en grande partie le clivage gauche-droite en politique. Le rééquilibrage par le levier fiscal est un des thèmes les plus débattus en politique économique.
C’est là où les premiers républicains français en 1789, parmi lesquels Camille Desmoulins, suivis par les rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l'homme en 1948, ont une idée de génie et inscrivent une troisième valeur fondamentale. Une valeur éthique, morale, qui ne repose pas sur le Droit et qui vise la communauté des individus:
« [tous les êtres humains] sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité »
Extrait de la déclaration universelle de 1948
Car si on l’applique, voilà ce que cela donne :
Dans ce nouveau schéma, chacun partage exactement le même espace de Liberté, sans aucun conflit.
La seule concession demandée à l’un et à l’autre est de partager, respecter, tolérer, coopérer.
L1 retrouve son espace qu’il avait initialement dans notre premier exemple. L2 n’a plus rien à envier ni de haine à nourrir. L1 n’a plus peur, car son espace est préservé, ce d’autant plus qu’il est co-protégé par L2.
C‘est la force de la Fraternité et de toute société civilisée: gagner sur les deux plans de l’Égalité et de la Liberté, en même temps, sans conflit. Et non seulement cela, mais en plus obtenir le maximum de Liberté pour chacun.
Résumons:
Ceci s'est exprimé dans de nombreuses tentatives d’intégration, comme l'Union Européenne, par exemple. Et c'est ce qui a été totalement oublié dans l'Europe pre-Brexit où les préférences et les enjeux nationaux l'ont bien souvent emporté sur l'intégration (dernièrement avec la dette Grecque ou les réfugiés) ou dans le repli identitaire ou communautaire (au sens d'une communauté qui exclurait les autres) qui fleurit aujourd'hui partout dans le monde et dans les idées populistes.
La Liberté est un but, l’Égalité une condition, la Fraternité le liant qui permet d'obtenir le maximum de l'un et de l'autre. Ce n'est pas juste une belle idée humaniste, on vient également de le démontrer par la géométrie.
Nos dirigeants politiques, médiatiques et économiques ont-ils oublié leurs responsabilités et leurs devoirs alors que tous agitent, mais aucun n'explique, ni n'éduque? Ne pourraient-ils revenir à ce qui nous fonde alors que n'en finit pas l'escalade des conflits économiques, sociologiques, territoriaux, écologiques, politiques, "terroristes", que j'ose mettre sur un même plan, en ce qu'ils puisent à la même source?
Fragiliser la Fraternité, ou le Respect, ou la Tolérance, c’est nécessairement se priver à plus ou moins brève échéance non seulement de l’Égalité, mais aussi de la Liberté