Jeanne d’Arc et Barbe bleue à l'Opéra

Publié par bumbrecht le 15 Novembre, 2010 - 12:13
Version imprimable

J’ai eu l’occasion lors d’un récent voyage à Berlin de faire la découverte d’un opéra étonnant, œuvre d’un compositeur dont j’ignorais jusqu’alors le nom : Walter Braunfels. Le titre de l’opéra Jeanne d’Arc, Szenen aus dem Leben der Heiligen Johanna (Scènes de la vie de Jeanne d’Arc).

Je précise ainsi le titre parce qu’il n’est pas habituel que l’on dise en Allemagne Jeanne d’Arc, lui préférant le plus souvent Heilige Johanna. Il s’agissait de la  reprise d’un spectacle créé en 2008 à la Deutsche Oper de Berlin.

L’opéra met en scène la double présence de Jeanne d’Arc et de Gilles de Rais dont la dernière phrase prononcée est “Satan a triomphé”  (sur lui et sur le monde) avant que le vicaire inquisiteur ne chante : “Nous avons brûlé une sainte”.

Dès leur première rencontre, Jeanne nomme Gilles de Rais, Barbe bleue.

Gilles de Rais :

Ainsi tu me connais

Et tu sais comment souvent on me nomme.

 

Jeanne :

Je ne vous ai jamais vu

Mais on m’a dit que vous viendriez aujourd’hui

Et j’ai vu qui vous êtes 

Et que peut-être vous ne resterez pas toujours ce que vous êtes.

 

Gilles de Rais :

Et que suis-je ?

 

Jeanne

Un saint homme

Aucun mal ne s’est encore emparé de vous.

 

Son devenir est encore incertain. On sait ce qu’il adviendra à la fin.

Et l’on pense à cette phrase de Paul Valéry amplement commentée par Bernard Stiegler dans son dernier livre :

Tant d’horreurs n’auraient pas été possible sans tant de vertus”.

La permutation des signes entre le Bien et le Mal est à l’œuvre tout au long de l’opéra. Aux dires des musicologues, c’est une passion au sens des passions de Jean-Sébastien Bach.

C’est surtout une passion de l’ambiguïté, à la fois catholique et hérétique.

L’œuvre raisonne évidemment très fort aujourd’hui que la maltraitance des enfants est le fait de dignitaires de l’Eglise.

Elle a été composée entre 1938 et 1942 alors que Walter Braunfels, qui est aussi l'auteur du livret, vivait dans un exil intérieur au bord du Lac de Constance. Compositeur reconnu sous la République de Weimar, il a été traité par les nazis d’artiste dégénéré et frappé d’interdit professionnel, ce qu’il a vécu comme une sorte de mise au bûcher spirituelle.

La mise en scène est inspirée par Christoph Schlingensief récemment décédé. Dans le l’hommage que lui a récemment rendu Alexander Kluge, dans son jardin, on peut voir un reportage sur le spectacle. Il faut malheureusement passer d’abord  par une publicité. On commence par la rencontre entre Jeanne et le roi de France qui demande ce qu’il doit faire.

http://www.dctp.tv/#/christoph-schlingensief/szenen-aus-dem-leben-der-heiligen-johanna/

 

bernard.umbrecht[at]free.fr