association internationale pour une politique industrielle des technologies de l'esprit
Voici le texte de L'ordre du discours" de Foucault, portant sur une "anecdote" qui depuis a fait l'objet d'une exploitation cinématographique et télévisuelle impressionnante:
"J'aimerais, sur ce thème, rappeler une anecdote qui est si belle qu'on tremble qu'elle soit vraie. Elle ramune à une seule figure toutes les contraintes du discours: celles qui en limitent les pouvoirs, celles qui en maîtrisent les apparitions aléatoires, celles qui font sélection parmi les sujets parlants. Au début du 17ième siècle, le shogûn avait entendu dire que la supériorité des Européans -- en fait de navigation, de commerce, de politique, d'art militaire -- était due à leur connaissance des mathématiques. Il désira s'emparer d'un savoir si précieux. Comme on lui avait parlé d'un marin anglais qui possédait le secret de ces discours merveilleux, il le fit venir dans son palais et l'y retint. Seul à seul avec lui, il prit des leçons. Il sut les mathématiques. Il garda, en effet, le pouvoir, et vécut très vieux. C'est au 19ième siècle qu'il y eut des mathématiques japonais. Mais l'anecdote ne s'arrête pas là: elle a son versant european. L'histoire veut en effet que ce marin anglais, Will Adams, ait été un autodidacte: un charpentier qui, pour avoir travaillé sur un chantier naval, avait appris la géométrie. Faut-il voir dans ce récit l'expression d'un des grands mythes de la culture européenne? Au savoir monopolisé et secret de la tyrannie orientale, l'Europe opposerait la communication universelle de la connaissance, l'échange indéfini et libre des discours.
Or ce thème, bien sûr, ne résiste as à l'examen."
Commentaires sur ce texte: 1) on voit dès 1970 le souci de Foucault, qui étonnera beaucoup au début des années 80, de prendre soin de l'époque et de l'impulsion des lumières qui ici, s'annonçent. Foucault critique des lumières? Certes, mais à le lire de près, le procès s'annonce long, compliqué, passionnant.
2) Le Japon, entre cet 'anecdote" du début du 17ième siècle, et l'annonce par l'empereur Matsuhito en Avril 1868 (quelle année, 68!!)que nous avons et que nous devons trouver de nouvelles armes, se retrouve au coeur des problèmatiques d'Ars Industrialis. Qui ne voit pas, sur ce parcours court entre le shogûn et l'empereur, l'impérative nécessité d'une sublimation des pulsions dans la recherche et l'organisation de nouveaux savoirs?
3) Voici un commentaire de ce texte de Foucault que je trouve passablement faible. Il se trouve dans le livre de Christian Salmon, "Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formatter les esprits," un propos qui m'a fait regretter son prix d'achat:
après avoir rappelé le passage, que vous avez maintenant devant les yeux, Salmon écrit: "une telle illusion est-elle encore possible aujourd'hui, alors qjue les sources, les formes et les producteurs d'énoncés ont éclaté, produisant ce pullulement de signes énigmatiques que Lyotard a défini comme "la condition postmoderne'? Comment fédérer l'explosion des pratiques discursives sur Internet? Comment communiquer dans le chaos des savoirs fragmentés sans le secours d'une figure commune de légitimation? Comment donner un sens à des éxpériences sociales et professionnelles caractérisées pr l'effondrement du temps long et la précarité? Comment constituer des ensembles, une suite logique ou chronologique? Comment traiter les conflits d'intérêts, les collisions idéologiques et religieuses, les guerres culturelles? Ce qont quelques questions auxquelles sont confrontés la parole politique et tous ceux ui sont en charge de son expression ..." (pages 129-130)
Ce que reproche à ce texte, c'est le défaut d'admiration et de jalousie de la situation de l'empereur et du shogûn. Ce que je preproche à ce texte, c'est la fuite rapide, panique, dans la critique du storytelling et des spin doctors, plutôt que de séjourner un peu plus longtemps, un peu plus tranquillement, dans les très bonnes questions que ce passage inscrit. Nous sommes depuis longtemps déjà dans le défaut de shogun, et celui d'un empereur. Il ne s'agit ni de pensée nostalgique, ni de positions d'extrême droite. Il s'agit de figures de l'esprit qui sont d'une étonnante actualité, plus brûlante et critique que l'ensemble des critques trouvées dans "Storytelling." On peut imaginer, à la Japonaise, un remerciement poli pour ces prolégomènes, mais il s'agit de s'emparer vite de la notion que nous avons nos propres histoires à raconter, à publier, et à vaire valoir.