Entre dualisme et dualité, entendement et raison, sens et conscience

Publié par sthierry le 10 Aout, 2015 - 18:45
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Je me sens tout petit ici, mais je tenais à revenir sur un passage du discours de Bernard Stiegler : la première séance de Pharmakon 2015 (qui concernait l’Anthropocène)  qui ne remet pas en cause l’essentiel du discours mais qui m’a tout de même embarrassé de la part de l'auteur, d’autant plus que j’ai fait moi-même cette erreur (si erreur il y a )…

 

Bernard fait allusion à l’image du « diable qui se cache derrière le scientifique », et du point de vue de ceux qui pensent que « le diable du péché originel c’est la science, la connaissance » ;

 

Si je ne suis plus vraiment convaincu depuis quelques temps de la vérité de ce point de vue comme faisant partie d’un message « religieux », du moins chrétien, je constate en tout cas (comme beaucoup d’entre nous) que l’expression le « diable est dans le détail » se vérifie régulièrement ; et comme un tourment en appel souvent à un discernement… j’en profite ici pour développer une réflexion (qui pourra peut être sembler parfois trop simple par la suite pour certains d'entre vous, n'étant ni universitaire , ni littéraire):

 

comme l’a rappelé un homme d’Eglise il y a peu dans une émission radiophonique, il est écrit dans la bible : « tu ne mangeras pas de l'arbre de la connaissance… du bien et du mal » ; hors si il est possible que quelques hommes d’Eglises ou pseudo religieux, ont pu oublier eux-mêmes cette fin de phrase, et limiter effectivement la connaissance à certains domaines ou interprétations, il semble bien que « le malin » se joue de nous à travers des « raccourcis » et des oublis.

( à la manière de certains médias qui, pour ne citer qu’un exemple, ont usé et abusé de cette fameuse expression qui colle à la peau de Mr Rocard « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde » qui outre le fait qu’elle n’amène aucune solution et ne représente aucunement la pensée de l’auteur, est complètement sortie de son contexte pour être mieux instrumentaliser par des politiciens peu scrupuleux)

 

Des hommes d’Eglises et des universitaires ont pu se réserver le privilège d’avaliser ou non telle connaissance, telle interprétation : après réflexion et sans intention de justifier quoique ce soit, il m'est apparu que la notion de bien ou de mal, au delà de la recherche d’une vérité, est à la fois relative et complexe, qu’elle dépend d’un contexte historique et politique, d’un équilibre hiérarchique et sociale (entre les échanges « bottom up » et « top down »), ou d’un processus que l'autorité souhaite ou non « méta » stabiliser ;

néanmoins il semble bien que la plupart d’entre nous ait été amputé d’un savoir faire et savoir être bien plus grand que l’on imagine et qui dépasse la question d’une connaissance purement scientifique ou linguistique .

 

En outre, lorsqu’ un dogme (ou mêmes de simples règles) sans véritables échanges dans l’organisation sociale, base trop souvent son enseignement autour des notions du bien et du mal, il semble que l’on peut facilement, individuellement comme collectivement, adopter une perception biaisée des choses :

dans ces conditions de valorisation excessive de ces notions qui semblent participer à notre capacité de discrétisation et de catégorisation, celles-ci semblent entrainer un raisonnement perverti qui privilégie la subjectivité, la volonté de jugement et d’ascendance sur les choses, et de figer ce jugement dans l’espace et le temps, raisonnement et attitudes régressives qui s’amplifient et se focalisent sur « ce qui est » plus que « sur ce qui consiste » lorsqu’on se situe dans un contexte où l’individu ressent une perte de contrôle sur son devenir ou celui de ses proches.

 

Bref, on retrouve ici ou là ce que j’appellerais la « grande duperie » , à savoir : un mode de raisonnement guidé par une « cosmologie » manichéenne, plutôt que de penser le monde et la politique avant tout à travers le pharmakon, ce qui revient à privilégier la plupart du temps l’instrumentalisation de ce monde virtuel qu’est notre pensée, devenant la « caverne » de nos désirs et sentiments, puis par une certaine technicité devenant la « chambre de résonnance » des désirs de ceux qui nous gouvernent, plutôt que de démocratiser une certaine « liberté » que nous offre les « techniques de soi ».

 

Pour aller plus loin, je trouve opportun de faire un rapprochement avec le zoroastrisme dont on parle si peu … en tout cas de le faire avec ce que certains « spécialistes » du dévoilement en disent, internet amenant une débauche de « révélations » confuses, sans limite, et qui par définition nous dépassent plus ou moins en tant que profane.  

 

D’après Paul du Breuil ou Khosro Khazai, le zoroastrisme semble avoir inspirée les principaux philosophes grecques et arabes (Platon, Aristote, Averroes..),  les religions monothéistes autant que les spiritualités plus ésotériques, ou que les initiateurs (comme Nietzsche)  du mouvement de pensée dit de la « contre eglise » et dit « moderne ».

 

On y retrouve également : la valorisation de la connaissance (puisque le Dieu ici n’est pas défini comme « tout puissant » mais « tout connaissant ») , la valorisation du libre arbitre, et d’une certaine manière la valorisation de la transmission et de la transindividuation car l’existence même de ce Dieu en fait une spiritualité moins intériorisé que le bouddhisme très proche, avec un idéal, d’après Khosro Khazai, positionné entre soi et le reste du monde comme dans de nombreuses religions, la question qui touche le genre (Dieu hermaphrodite), la valorisation de l’ « égalité » homme femme, et d’autres aspects multiples qui se retrouvent dans la culture contemporaine…. 

 

D’après Khosro Khazai, il semble qu’ il existait déjà au sein même de cette pensée religieuse (peut-être la religion « primordiale » monothéiste d’ailleurs) deux oeuvres distinctes ayant de nombreuses contradictions (comble d’ironie, le plus grand « péché » pour cette religion étant le mensonge) :

 

Depuis plus de 2100 ans cette religion qui semble avoir inspiré  de grands esprits, avait pour référence le livre de l’Avesta qui rassemble les articles des transmissions orales de Zoroastre (zarathustra); mais il existe d’autres écrits intégrés à l’Avesta avec un langage plus ancien: les Gathas, qui semble t il ont été déchiffré il y a 200 ans par Anquetil-Duperron (dont les traductions ont notamment influencé l’œuvre de  Schopenhauer ) et finalisé par l’allemand Martin Haug  ;

 

 Que cela soit avéré ou non, il est intéressant de se pencher sur la principale contradiction, l’Avesta semblant être avant tout inspiré par des religions indo-perses ou indo-aryennes prézoroastriennes (comme le Zurvanisme analogue au concept de Chronos, ou d’autres qui ont par exemple inspiré le mithraisme et son bonnet phrygien que certains romains ont repris et particulièrement appréciés…):

 

La notion de dualité dans les Gathas à travers un seul Dieu, devient un dualisme dans l’Avesta, à travers 2 dieux : la notion éthique propre à l’humain (les notions de bien et de mal) se transforme en une notion cosmologique pré existante à celui-ci (qui s’apparenterait donc à une… « hérésie » ?) 

Ainsi on pourrait y trouver une parenté avec l’Arbre de la connaissance du bien et du mal de la Bible, où l’homme s’approprie cette connaissance qui n’est donc pas cosmologique ? mais où l’homme risque alors la répétition du péché , c'est-à-dire la tentation…  de se complaire et construire avant tout sa pensée dans l’illusion de la persistance d’un état ou d’un jugement alors que ceux-ci sont relatifs à un monde en constante transformation, d’où le « péché » de la mésinterprétation et par extension, de la tentation au mensonge et au bouc emissariat (?) qui tend à se substituer aux techniques de soin si chère à Socrate;

 

Ainsi aujourd’hui l’idée d’une religion qui ne voudrait absolument pas « progresser » est un excellent levier pour nous faire adhérer à cette « caverne » du n’importe quel « progrès » sous fond de dualISME qui étouffe la question de la dualité elle-même, du pharmakon, de la notion de création et de limite.

(ces réflexions m’ont d’ailleurs permis de découvrir accessoirement à travers un exemple historique que l’on peut largement nuancer par rapport aux idées recues, la position et l’attitude de l’Eglise face aux découvertes de Copernic)

 

Le dualisme (associé à l’idéalisme) semble donc tout approprié pour confondre les valeurs subjectives « bonne» ou « mauvaise » des choses avec un apparent état statique et immuable, voire dépendante d’une loi inhérente à la nature (la méchante!):

 

n’est-ce pas idéal lorsqu’on désir se rendre « possesseur et maitre de cette nature » comme dirait Descartes (?) à moins que cela soit une étape intermédiaire pour mieux la sacraliser après coup, en consentant ou non à des politiques usant « d’états de faits devenant des états de droits » pour reprendre l’expression de Bernard Stiegler , (tel qu’a pu être une des formes politiques du Taoisme en se basant sur la nature).

 

D’où l’intérêt entre autre, comme le propose Bernard Stiegler, de faire la distinction entre l’entendement et la raison ; à ce propos j’ai été amusé de voir une similitude, en écoutant une des conférences de ces « érudits » sortis de l’ombre tel Jacques Grimault, qui opposait quelques valeurs fondamentales disposées sur 2 triangles : l’un représentant les notions valorisées dans le monde « moderne » et l’autre dans le monde « des anciens»: au milieu de ses 2 triangles s’opposaient le terme « sens » (pour le moderne) et « conscience » (pour l’antique) 

(https://www.youtube.com/watch?v=4FYigl9IXxY  à 34mn :

une occasion ici aussi d’illustrer une facette de « la fin des certitudes » que provoque l’absence de limite de l'outil internet, ou des méthodes holistiques employées par leurs auteurs dignes d'interêts mais plus fascinantes que rigoureuses et pauvres en véritables débats contradictoires.... c’est un autre sujet)

 

Je finis avec une citation zoroastrienne qui me rappel d’une part la pensée auto centré de certains amis à la recherche du « saint graal transitionnel immanent» sécurisant (plutôt que l’ « objet » qui consiste)  que semble agiter certaines politiques sociales communautaires, et d’autres part la pensée (à la fois similaire et divergente, notamment sur le rapport à la nature) d’un J Attali ou d’un P Rabhi qui propose d’arrêter de tout attendre de l’autorité…. (sans véritablement poser la question du darwinisme social qui en découle) :

 

« "Quel sera votre choix ? leur demande Ahura Mazda : "être créés et lutter contre la tromperie et la vaincre par vous-même ou être assurés de ma protection éternelle ? Ils choisirent de naître et de lutter..." Texte zoroastrien : Le livre de la création "Bundahism" »