Démocratie (participative)

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Démocratie (contributive)

Il est plus facile de s’entendre sur ce que la démocratie n’est pas, que de dire ce qu’elle est. Si la démocratie n’est pas l’addition du droit de vote et du libre marché, qu’est-elle ? Ceux qui veulent réduire la démocratie au suffrage universel oublie que l’histoire du suffrage universel n’est pas séparable de celle de l’école : la participation citoyenne est impossible sans le savoir-lire et le savoir-écrire ; ils ne veulent pas voir, en outre, que l’abstention avoisine partout cinquante pour cent des électeurs.

 

Si la démocratie est le pouvoir du peuple, le peuple n’existe qu’en tant qu’il ne cesse de s’instituer : c’est un idéal, une consistance – il consiste plutôt qu’il n’existe. « Le peuple » n’est ni « les pauvres » (ou la plèbe, ou les gueux) ni l’unité de la Nation qui est toujours multiple. Ce peuple qu’est le démos n’est pas un individu, mais un processus : c’est précisément un régime de ce que Simondon appelle l’individuation psychique et collective, tel qu’il est fondé par l’accès critique de tous aux principes constitutifs de la transindividuation qui relie le psychique au collectif, cet accès critique étant lui-même rendu possible par un type spécifique de rétention tertiaire que le citoyen doit adopter à travers une éducation politique qui commence avec le skholeion grec.

 

La démocratie est ce que ruine la télécratie en particulier depuis les deux dernières décennies. La télécratie a produit la pire des situations : une démocratie participative non-représentative1, soit une démocratie sans peuple parce que sans idéal du peuple.

 

En s’inspirant de Mc Crawford Brough Macpherson2, on peut distinguer quatre idées de la démocratie : la démocratie de protection (garantissant la sécurité et protection des biens) ; la démocratie d’épanouissement (garantissant l’aspiration à l’épanouissement personnel, trop vite réduit au « pouvoir d’achat ») ; la démocratie d’équilibre (garantissant la régulation de l’offre et de la demande en s’appuyant sur un système de parties politiques comparables à des entreprises concurrentes) ; la démocratie participative, dont nous posons cependant qu’elle est la seule forme véritable de démocratie (et c’est pourquoi ce qui a été appelé ainsi par Ségolène Royal fut un pléonasme dangereusement trompeur).

 

Autant dire que ce que l’on a pu appeler la démocratie participative en l’opposant à la démocratie représentative est un leurre tout proche d’une conception populiste de la démocratie. Ou bien la démocratie est participative et représentative, ou bien ce n’est pas une démocratie. Peut-être vaudrait-il mieux alors parler de démocratie contributive3, pour ne pas opposer contribution et représentation mais au contraire repenser la représentation à partir de la contribution, ce qui nécessite la conception et la mise en œuvre d’une technologie politique spécifique.

 

Il n’y a pas d’espace public – ni a fortiori d’espace démocratique – en dehors de techniques ou de technologies de publication. De toute évidence, et comme la publication des télégrammes diplomatiques par WikiLeaks l’a fait apparaître au niveau planétaire, nous vivons une révolution des technologies de publication qui impose de repenser en totalité l’espace et le temps publics, c’est à dire la chose publique, tout aussi bien que le régime démocratique qui en fait en principe l’affaire de tous.

L’espace numérique et planétaire de publication requiert une nouvelle pensée de la constitution politique et démocratique.

 

 

1 L’intervention formatée du peuple sur les plateaux de télévision est l’autre face d’une politique du sondage où on ne sait plus qui de la télévision ou du peuple commente ce que dit l’autre.

 

2 Crawford Brough Macpherson, Principes et limites de la démocratie libérale, Paris, La Découverte, 1985.

 

3 Nous préférons parler de « contribution » plutôt que de « participation », car la participation évoque la partition, soit la particularité d’un vote. Si on peut toutefois parler de « participation » c’est au sens de Simondon : « La participation, pour l’individu, est le fait d’être élément dans une individuation plus vaste par l’intermédiaire de la charge de réalité préindividuelle que l’individu contient, c’est-à-dire grâce aux potentiels qu’il recèle » (Simondon, L’individuation psychique et collective, p. 18). La participation nomme alors la relation qui fait correspondre une réalité non individualisée en vous (préindividuelle) et une réalité non inter-individualisée hors de vous (transindividuelle). La participation en ce sens nomme la relation individuante avec un milieu associé, dans le cas contraire les milieux sont dits dissociés ou désindividuants : par exemple, lorsqu’on subit les effets d’une industrie de services, on voit son existence se transformer sans participer ou contribuer à cette transformation. Ce détour par Simondon nous aide à comprendre que l’individu n’est pas ce à partir de quoi il faut penser la démocratie, ou l’activité politique, car l’individu est tout au mieux le fruit provisoire d’une relation à un milieu transindividuel, et en aucun cas son point de départ.

La démocratie participative comme démocratie de « n’importe qui » (cf. Jacques Rancière, La haine de la démocratie, La Fabrique, 2005), n’est pas nécessairement une démocratie de n’importe quoi. Or, il n’est pas d’autres moyen d’agir sur le quoi, que d’agir sur les instruments que se donnent les qui pour accéder à leur quoi. Ce pourquoi la participation citoyenne est toujours subordonnée à l’intelligence des milieux contributifs.