association internationale pour une politique industrielle des technologies de l'esprit
extrait introduction
Cet ouvrage rend compte d’une partie des travaux conduits au sein d’un séminaire réalisé au Laboratoire d’Economie et de Sociologie du Travail entre avril 2014 et mai 2016 à Aix en Provence
Les apports disciplinaires ont été larges puisqu'aux disciplines pratiquées au LEST (économie, gestion, sciences juridiques, sociologie et sciences politiques) sont venues s’ajouter et dialoguer la philosophie, la psychologie du développement, la psychologie cognitive et les sciences de l'éducation.
Pourquoi toutes ces disciplines ont-elles été convoquées et que nous ont-elles apporté en termes d'analyse des organisations ?
L'invitation qui était adressée aux chercheurs était tout d'abord animée par la curiosité de formes nouvelles d'organisation et de gestion. Cette curiosité correspond à la perspective des travaux de notre laboratoire qui a toujours travaillé les questions d'innovation : aussi bien en termes technologiques et sociaux, qu’en termes organisationnels et individuels. Notre demande s'est donc orientée vers des auteurs ou des spécialistes de concepts particulièrement riches en termes d'éclairage.
Cette curiosité était d'autre part soutenue par la conviction qu’en matière de dynamique des organisations, le mouvement préexiste aux règles d'organisation. C'est parce que les acteurs sont en interaction, qu'ils cherchent des modes favorables d'existence et qu'ils souhaitent parfois dépasser les cadres habituels de leur activité qu'ils sont par la suite conduits à élaborer collectivement des règles d'encadrement des actions.
Notre intention rejoignait donc les questionnements contemporains à propos de l’émergence d’une économie et de modes de gestion pris sous l’influence d’une montée en puissance des exigences de renouvellement des savoir-faire et des pratiques de collaboration dans le travail. Cette perspective nous a orienté vers des disciplines qui effectivement interrogent le rapport du sujet individuel au collectif, qui prennent au sérieux le développement d’une économie cognitive et qui pour cela ne laissent pas réduire leur recherche à une partition entre dimension sociale et dimension cognitive des apprentissages.
C’est de cette manière que nous avons accueilli dans ce séminaire des travaux qui s’inspirent de la philosophie de Georges Canguilhem qui, rappelons-le, a soutenu que tout le vivant, et non pas seulement le biologique, permet de comprendre la vie et nos modes d’existence. L’activité signale la spécificité de l’humain et nous ne pouvons pas faire une économie de l’éthique. Cette orientation philosophique a reçu un complément considérable avec les travaux inspirés par Jean Piaget, Lev Vygotski et les différents courants de la psychologie du développement.
Ces deux traditions, fortes dans les sciences humaines mais trop peu prolongées dans le domaine des sciences de l’organisation, offrent des possibilités d’analyse de l’action non plus en termes d’individus et de collectif d’individus, mais de sujets doués d’une activité mentale structurée, d’outillage mental et animés par du désir. Ce qui permet de revenir sur le débat relatif aux apprentissages qui a animé les communautés de management stratégique et de management des compétences depuis les années 90. Ce retour sur les voies de l’apprentissage est salutaire puisqu’il permet d’identifier les schémas de modification des comportements en complément de l’évolution des capacités et routines de l’organisation. Dans ce sens l’apport de ce courant philosophique ainsi que de la psychologie du développement et de l’analyse de l’activité résident dans la prise en charge de la question de l’effectivité du changement et de l’apprentissage.
Le séminaire C 3 a d’autre part reçu les éclairages de la psychologie cognitive et de la sociologie du numérique.
La psychologie cognitive recouvre un large champ de recherches qui pour certaines sont de plus en plus mobilisées pour tenter de rendre compte des processus de décision et de coopération au sein de l’activité de travail. Nous avons été particulièrement intéressés par les travaux portant sur la mémoire de travail telle qu’analysée par Baddeley (2000). C’est-à-dire une mémoire qui intervient à l’intersection de la mémoire à long terme et de la situation de travail ou du contexte. Cette mémoire a pour fonction d’élaborer des représentations mentales qui soutiennent et guident l’action. Est-elle une mémoire fidèle au contexte ? Dans quelle mesure est-elle sous l’influence de l’imaginaire du sujet ? Autant de questions qui s’avèrent nouvelles pour les spécialistes du travail et des ressources humaines.
Dans une certaine mesure, la psychologie cognitive c’est aussi le courant des cartes cognitives auquel participe le sociologue Karl Weick. Loin d’envisager l’humain en termes de modules spécialisés reliés à un processeur central, ce courant du cognitivisme nous invite à penser la complexité des représentations mentales, leur persistance et leur influence en matière de prise de décision. Une carte cognitive est composée de concepts reliés entre eux, elle se présente le plus souvent comme une représentation graphique qui a la forme d’un schème (des concepts et des relations).
Le numérique pour sa part reçoit un début d’attention au LEST depuis le début des années 2010, notamment avec les travaux de jeunes chercheurs qui s’investissent dans une sociologie des activités en réseau soutenues par les technologies numériques. Cette analyse sociologique nous permet d’envisager différemment l’activité collective et même ce que l’on qualifie de manière emblématique de « collectif » au singulier ou au pluriel. Cette sociologie du numérique flirte avec l’économie de la propriété puisqu’elle prend très au sérieux la problématique des licences de logiciel libre. Chemin faisant elle aborde donc la question des Communs qui fait un retour remarquable dans les travaux en sciences sociales.
Rappelons à ce titre que c’est en 1989 que Richard Stallman et Eben Moglen lancent la General Public Licence (GPL). La GPL ambitionne de protéger la construction du projet communautaire GNU (GNU’s Not Unix), c’est-à-dire une gouvernance adaptée à un type de bien, à une série de règles et normes communautaires et à un projet politique porté par la Free Software Foundation (Le Crosnier, 2015). « La GPL s’appuie sur le droit d’auteur, pour compléter celui-ci par un contrat privé (une licence) qui autorise tout usage (donc offre les quatre libertés du logiciel libre), mais contraint celui qui s’appuie sur du code libre à rendre à la communauté les ajouts et corrections qu’il aura pu apporter. On parle d’une licence virale : tout logiciel qui utilise du logiciel libre doit lui aussi rester un logiciel libre » (Le Crosnier, 2015, p. 158). Les quatre libertés du logiciel libre sont : la liberté d’exécuter le programme, pour tous les usages (liberté 0) ; la liberté d’étudier le fonctionnement du programme, et de l’adapter à ses besoins (liberté 1) ; la nécessité d’accéder au code source, la liberté de redistribuer des copies, d’aider son voisin (liberté 2) ; la liberté d’améliorer le programme et de publier ses améliorations, pour en faire profiter toute la communauté (liberté 3), et donc pour cela la nécessité d’accéder aucode source.
Fichier attaché | Taille |
---|---|
PubActivicollectifs.pdf | 250.75 Ko |