« Professionnaliser le citoyen »

Publié par bumbrecht le 19 Mai, 2010 - 21:50
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Le 15 avril dernier à l’Ecole supérieure de design de Karlsruhe, Barton Brok et le recteur de l’Ecole qui n’est autre que le philosophe Peter Sloterdijk ouvrent le semestre d’été par un nouveau cursus intitulé professionnaliser le citoyen.

 

Le texte - très racoleur- du dossier de presse  précise ceci :

 

"Où le citoyen peut-il apprendre à s’affirmer comme client, croyant, électeur, récepteur, patient ?"

 

La réponse :

 

"A partir du semestre d’été 2010 dans les écoles de visiteurs, les cours pour patients, les entrainements de consommateurs, les exercices de capacité critique.

 

Celui qui ne veut pas sortir de l’hôpital en plus mauvais état qu’il n’y est rentré, doit savoir plein de choses sur le système de santé, celui qui ne veut pas devenir fou (sic) après des heures passées devant un automate d’envoi de courrier postal, qui ne veut pas être dégradé au rang de serviteur du marchand devra reconnaître que le pseudo client roi rapporte aux entreprises des millions en faisant lui-même un partie du travail. Service ? Balivernes ?

 

La nouvelle offre de formation propose une  professionnalisation  grâce à un diplôme de patient, de croyant, de citoyen, de consommateur, de public"

 

Cela ressemble à l’histoire du philosophe qui tombe dans le puits. Qu’il faille apprendre à se servir d’un automate d’affranchissement postal comme de plein d’autres nouvelles techniques est une chose, plein de gens s’y adaptent, qu’il faille pour cela une formation universitaire en est une autre. On se demande si l’on ne joue pas là aussi sur du populisme.

 

J’ai un peu de mal à traduire cette notion de Rezipient. C’est, en termes de communication, ce que l’on appelle un récepteur. Il désigne ici en quelque sorte l’amateur d’art, le visiteur de musée, le spectateur de théâtre, l’auditeur de concert. Bazon Brok, professeur d’esthétique émérite, pratique depuis les années 60 la formation des visiteurs de musée. Il postule que la stimulation de l’artiste, et partant, l’efficience du marché de l’art provient d’un accroissement de la qualité de la demande, et donc de la professionnalisation de l’amateur d’art. L’université forme des artistes de toutes disciplines mais pas de spectateurs, d’auditeurs ou de visiteur de musée.

 

L’objectif est de reprendre, dans le contexte contemporain, le classique projet de Bildung (mot qui évoque tout à la fois l’éducation, la formation et la culture) des universités.

 

A la question de savoir quelle différence il établit entre un citoyen majeur et un citoyen professionnalisé, B. Brok répond qu’aujourd’hui la question n’est plus d’oser plus de démocratie (mot d’ordre de Willy Brand) mais de savoir utiliser sa/ses liberté(s). On en déduit qu’elles sont supposées acquises. Comment faire pour les utiliser ? Il faut l’apprendre comme on  a du apprendre à lire, à écrire à calculer, à se comporter en automobiliste, à gérer son compte et à remplir sa déclaration d’impôt. On ne sache pas cependant que concernant ces trois derniers exemples, cela fasse l’objet d’un apprentissage scolaire.  « Le procédé décisif consiste à s’exercer, s’exercer, encore s’exercer. Le citoyen professionnalisé est le représentant exercé de son propre intérêt ». Cela rappelle évidemment l’injonction de Peter Sloterdijk : “Tu dois changer ta vie”. Le philosophe de Karlsruhe s’occupera personnellement de la formation du citoyen  qui devra apprendre à ne plus être un assujetti à l’impôt mais un donateur. Son séminaire s’intitule « Pour une économie politique du don »

Le cursus pour l’obtention du diplôme de croyant commence par un séminaire intitulé : «  Une esthétique péripatéticienne du monde islamique ». Il sera suivi d’un autre sur le passage de la religion institutionnelle à la religion individuelle.

Il me semble que cette initiative est une tentative de réponse à quelque chose que l’on connaît à Ars Industrialis à savoir la perte de savoir faire, de savoir vivre et de savoir tout court. Cela n’est bien sûr jamais évoqué, ni analysé en ces termes. Mais l’initiateur du projet, Barton Brock, ne déplore-t-il pas que les métiers soient devenus des boulots, et que le passage de l’un à l’autre signifie “l’élimination d’un ethos citoyen” ?

Les Allemands unissent dans un même mot, Bürger, le citoyen et le bourgeois. La dernière émission télévisée du Quartett philosophique animée par P. Sloterdijk et R. Safranski déplorait la disparition du bourgeois éclairé, autre symptôme d’une société qui sous son apparente stabilité couve bien des questions.

 

La formation est ouverte à tous les publics. Aucune mise en ligne n’existe pour l’instant.

 

http://www.hfg-karlsruhe.de/features/der-professionalisierte-buerger.html

 

bernard.umbrecht[at]free.fr