« le rêve: condition de la pensée, la folie: condition de la Raison »

Publié par sthierry le 10 Juillet, 2016 - 04:38
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Je lis des ouvrages plus haut que mon "séant",  je pensais néanmoins opportun de faire des rapprochements entre des citations et le discours de Bernard (reformulé à partir de son intervention sur France Culture le 10 juin 2016)  vous proposant plus un choix, là où votre oeil vous arrêtera et finissant par une  question de conclusion (puisque c'est l'"ère de l'inversion") :

 

« la morale bourgeoise à travers le nihilisme et en transformant la morale religieuse devenue hypocrite, est une dégradation de l’origine de la philosophie qui est l’éthique, c'est-à-dire la discussion des limites face à la démesure que représente la capacité de l’extériorisation des désirs humains et la production de liens moraux qui constituent une société »

 

« ce qui produit le Temps Humain c’est ce qui produit une double « epoque » : d’abord une technologie apparait, qui suspend des modèles existants, puis un travail collectif produit des nouvelles formes de pensées et provoquent des désirs communs ce qui se fait dans toutes les sociétés, sauf dans la nôtre, qui ne produit que des projections négatives, des processus de dénégations qui rendent fous » car

« L’entendement, qui est la capacité d’extérioriser et discrétiser les contenus mentaux à travers des processus technique, à pris de vitesse la Raison, qui est une faculté synthétique de désirer, de connaître et de juger à travers une capacité de projections positives dans le futur. » 

 « C’est la morale bourgeoise et la désinhibition apparue dès la Renaissance et à la mondialisation du Capitalisme, qui est à l’origine du déchainement de la barbarie »

 

« La folie est la condition de possibilité de la Raison »

 

« le rêve est à la fois la condition de la folie, du malin génie, de la méditation,  de la liberté, et de la pensée. »

(Bernard Stiegler)

 

"S’ensuit une longue stagnation de la cure, où le patient déverse sur Freud un flot de rêves(...) «L'imprécision de ces idées obsessionnelles(Zwangsgedanken) est remarquable ; dans les rêves elles sont bien plus nettes.»

 

En réalité, c’est une confirmation du virage que Freud a pris depuis quelques séances et qui touche au coeur de sa doctrine. On ne peut plus distinguer si clairement d'un côté des pensées bien formées, qui correspondent à ce que Freud appelle dans laTraumdeutung de 1900 «les pensées du rêve», lesquelles sont fondamentalement latentes, découvertes par interprétation et de l‘autre, « le travail du rêve», pure activité de déformation au service de la censure, qui produit le rêve manifeste. Si le texte des obsessions est plus net en rêve, c'est qu'en un sens très dérangeant, le rêve pense. Il ne se contente pas d'assembler des mots entendus ici ou là puis de les coller ensemble.

 

Il les articule : « Les idées inconscientes, en tant que voix intérieures, ont la valeur de discours réels qu'il n'entend qu'en rêve.» Où loger cette intelligence-là dans le système des processus primaires et secondaires de laTraumdeutung ? Elle n'y a pas de place. Freud d’ailleurs n'en a jamais rien tiré. Il exile la difficulté dans une note de la réédition de 1909 du livre sur les rêves.(...) Freud ne se met plus en quête de pensées normales déformées dans le rêve ou le symptôme par un « travail » qui leur seraitextérieur. Les obsessions nous apprennent que, dans l'inconscient, ça parle. Les injonctions et les interdits qui en jaillissent ne sont pas, comme les mots parlés dans les rêves, des agglu­tinations contingentes qu'il faut déchiffrer en y lisant autre chose que ce qu'ils disent. Ça dit «non ! »(nicht !) etça veut tout à fait le dire

 

(...)On peut donc supposer que c'est à l'école des obsessions de Lanzer que Freud a peu à peu découvert que le transfert, au singulier, écoute un tel sujet de l'inconscient - autrement dit ce qui «se» dit par-delà ce que le patient énonce en disant «moi». L'ennui, c'est que l'Autre voix qui profère en rêve le texte parfaitement net des obsessions dont la conscience vigile ne veut pas, sollicite aussi chez l'analyste une oreille Autre.

On se rapproche dangereusement de l'idée que seul l'inconscient entend l'inconscient, ou que c'est avec son Œdipe qu'on interprète l'Œdipe d’autrui. Au total, Freud est doucement en train de rompre avec les derniers vestiges de l'objectivité psychologique, sinon du sens com­mun. Il peut se cramponner tant qu'il veut à une théorie plus ou moins scientifique de la représentation et de l’affect ; ce qui porte la cure en avant disloque cette gangue de concepts périmés. Ses lapsus sont les grincements de son appareil psychique tordu dans l'effort."

 

(…) Lanzer révèle quelque chose de bien plu inavouable « Gigellsamen » la formule propitiatoire (...) Lanzer a retenu des mots dont on devine I appartenance à des prières du rite catholique ((…) « heureux»,(…) «maintenant et toujours. Amen). Si la formule a fini par remplacer une heure et demie d’oraisons quotidiennes, les lois auxquelles obéit sa réduction sont énigmatiques. Toujours est-il que Lanzer récite cette prière, immunisée toute insertion parasite par sa compacité insensée, quand il craint de nuire à la Dame dans l'au-delà en se masturbant.

J’ai rappelé l'affinité de sa technique avec les procédés de la liante spiritualité grecque. (…)

 

Lanzer, pour sa part découvre qu’en tentant de rigidifier le texte de sa prière pour la rendre imperméable à I équivoque, il est acculé à traiter le langage comme une quasi-matière : une agglutination de lettres qui ne « protège » le sens qu’en virant à l'insensé. (…) La formule apotropaïque se réduit à un mot qui n’est qu’un contre-projectile expulsé à la hâte et dans l'angoisse.(...) Il faut fouiller l'imaginaire des damnés pour mesurer la douleur d'un obsédé sans Dieu.(...) En somme l'échange projectif atteint son paroxysme parcequ'il n'y a plus aucune raison, mais aussi plus aucun moyen de se retenir."

 

"Mais le père avait aussi eu une jeunesse turbulente.Spielratte, autre­ment dit «rat de jeu» (joueur compulsif), il avait perdu, au régiment, une somme soustraite à la caisse militaire. Un ami, qui n'avait d'ailleurs pas hésité à lui dire qu'on pouvait bien se tuer pour une faute pareille, l'avait tiré de ce mauvais pas, lui prêtant l'argent manquant. Freud qui inscrit ici en marge «transfert paternel»(Vaterubertragung)note à ce sujet un propos dont on ne sait pas si c'est une question qu'il se pose ou une question que Lanzer se pose mais qui a pour lui une importance extrême : « L'a-t-il jamais remboursé ? ». Ces dettes-là ne s'acquittent pas avec de l'argent. Le père Lanzer n'a jamais remboursé son ami, c'est un fait moral aussi compact que tout ce qu'on pourrait découvrir en épluchant des bilans. Car ce qu'on doit à celui qui vous sauve la vie, c'est, à vie, la conscience de sa dette."

 

 

(extrait de "La fin des coupables" de Pierre Henri Castel)

 

«  Il a supprimé le billet de la dette qui nous accablait depuis que les commandements pesaient sur nous : il l'a annulé en le clouant à la croix du Christ » (Lettre de saint Paul Apôtre aux Colossiens)

 

« Faire l’inventaire critique de notre civilisation, qu’est-ce à dire ? Chercher à tirer au clair d’une manière précise le piège qui a fait de l’homme l’esclave de ses propres créations. Par où s’est infiltrée l’inconscience dans la pensée et l’action méthodiques. » ( Simone Weil OC VI 1, 116-117)

 

"Nous vivons dans la terreur parce que la persuasion n'est plus possible, parce que l'homme a été livré tout entier à l'histoire et qu'il ne peut plus se tourner vers cette part de lui-même, aussi vraie que la part historique, et qu'il retrouve devant la beauté du monde et des visages; parce que nous vivons dans le monde de l'abstraction, celui des bureaux et des machines, des idées absolues et du messianisme sans nuances. Nous étouffons parmi les gens qui croient avoir absolument raison, que ce soit dans leurs machines ou dans leurs idées. Et pour tous ceux qui ne peuvent vivre que dans le dialogue et dans l'amitié des hommes, ce silence est la fin du monde."

(Albert Camus, "Le siècle de la peur", Combat, 1948)

 

Les populations spectatrices ne peuvent certes pas tout savoir du terrorisme, mais elles peuvent toujours en savoir assez pour être persuadées que, par rapport à ce terrorisme, tout le reste devra leur sembler plutôt acceptable, en tout cas plus rationnel et plus démocratique. » 

(Guy Debord commentaire sur la société du spectacle)

 

« La valeur d’intensité a investi tout la société par le milieu -la bourgeoisie et les classes moyennes - ; à travers des personnages qui en faisaient un idéal, son concept est devenu une norme ; en devenant une norme elle aboutit à un long épuisement dans la conscience moderne »

 

 « Tout la question lorsqu’on est attaché à l’idée d’intensité vitale, que l’on pense que le sens d’une vie c’est de parvenir à soutenir le sentiment d’être vivant tant qu’on l’est, (…) c’est de renvoyer dos à dos -et à échapper aux pièges- de la sur-affirmation de l’intensité et de la négation de l’intensité vitale, par le salut ou la sagesse »

(Tristan Garcia - France Culture)

 

Benjamin, qui intègre sans doute des mêmes heideggeriens dans sa réflexion, perçoit les potentialités émancipatrices de la technique en même temps qu'il en souligne le caractère destructeur dans certaines conditions historiques.

 

(…)il cherche à définir (…)un art authentiquement moderne, qui accepte, jusqu'au bout, la technique comme promesse d'émancipation

 

(…)Le modem style, selon une expression de Benjamin, cultive l'aura, la « force » comme on force une fleur ou une plante, pour la faire parvenir à maturité hors de saison. Alors que tout dans la société moderne industrielle qui se met en place au début du XIX eme siecle , est une négation implicite puis explicite de l’aura, le modern style, avec le siècle finissant, veut produire dans l’intimité de l’âme une aura de hors saison.

 

Baudelaire «(…) « les balcons du ciel en robes surranées » à l’etat d’esprit du modern style qu’il annonce, est habité par une « impulsion destructrice », une volonte de detruire l’apparence faussement harmonieuse d’un « ordre naturel ».

 

(...)Benjamin cherche ce qu'il appelle au début de l'essai sur les Affinités électives de Goethe - le plus ambitieux de tous - la « vérité intérieure » qui se dissimule dans l'œuvre, par opposition à la vérité extérieure, apparente, intentionnelle, de l'œuvre. Or, cette vérité intérieure, cette « teneur » est l'expression d'une expérience traumatisante qui a toujours à voir avec l'apparition angoissante des techniques, « à l'âge du capitalisme ». Ce  que le chiffonnier de la culture tire de son sac, ce sont  ces fragments d'expérience, des éclats microscopiques qui reflètent une tendance de fond : la disparition de  l'individu, cet individu, qui, écrit Benjamin, à propos de Monsieur Teste, « sur le point de franchir le seuil de la disparition historique, ombre déjà, répond une dernière fois à l'appel de son nom ».

 

" Alors que l'homme moderne avait établi à la Renaissance une relation purement optique, visuelle, et distante avec la nature, la dernière guerre — celle de 14-18 — a repré­senté une « tentative pour célébrer de nouvelles noces encore inouïes avec les puissances cos­miques ».

 S'est instaurée une autre relation, collective sans doute, avec le cosmos, une forme moderne d'ivresse. Une ivresse proche de celle qu'a connue l'enfant, et en même temps bien différente, car métamorphosée par une mauvaise fée en ivresse de la destruction.

 

(...)Chez Goethe aussi, la technique est un élément pro­fondément ambigu.Si elle est j reconnue comme un facteur qui permet d'améliorer lej sort de l'homme et de rendre son séjour terrestre plusj commode, elle est aussi perçue comme une menace,  comme une force qui détruit les anciennes relations sociales

 

« Ces grandes fiançailles avec le cosmos s'accomplirent pour la première fois à l'échelle plané­taire, c'est-à-dire dans l'esprit de la technique. »

 « Mais, à cause de la soif de profit de la classe domi­nante, la technique a trahi l'humanité et a transformé la couche nuptiale en bain de sang. »

 

La technique organise une physis (ou nature, dans le sens global de "tout ce qui est" et son evolution) nouvelle dont on peut aussi bien faire l'experience dans les villes, avec par exemple l'expèrience de la vitesse, car "le frisson qui accompagne une authentique expérience cosmique n'est pas necessairement lié à ce minuscule fragment de la nature que nous avons l'habitude d'appeler nature".

 

"Chez Benjamin, la déception, qui est un sentiment d'ordinaire dépourvu de valeur éthique, acquiert la force explosive d'une condamnation qui frappe l'ordre existant au nom d'une exigence plus haute, plus ancienne, et toujours en souffrance. Une promesse non tenue ( dans son enfance pour son exemple) ne revele que l'inadéquation du réel"

 

"De nos jours personne n'a le droit de s'entêter sur ce qu'il "sait faire". L'improvisation fait la force. Tous les coups décisifs seront portés comme en se jouant"

(Extrait de L aura et la rupture -J. Lacoste, Maurice Nadeau)

 

L'homme éveillé choisit ses rêves ; celui qui dort les subit.
  Augusta Amiel-Lapeyre ; Pensées sauvages (1909)

 

 « La base naturelle de l'État antique, c'était l'esclavage; celle de l'État moderne, c'est la société bourgeoise, l'homme de la société bourgeoise, c'est-à-dire l'homme indépendant, qui n'est rattaché à autrui que par le lien de l'intérêt privé et de la nécessité naturelle, dont il n'a pas conscience (Karl Marx)

 

Ainsi la méthode scientifique, qui a permis une domination de la nature de plus en plus efficace, a fourni les concepts purs, mais elle a fourni au même titre l’ensemble des instruments qui ont favorisé une domination de l’homme par l’homme de plus en plus efficace, à travers la domination de la nature. La Raison théorique, en restant pure et neutre, est entrée au service de la Raison pratique. Cette association leur a été bénéfique.

 

En effet le manque de liberté ne se présente pas comme un fait irrationnel ou un fait qui a un caractère politique. Il traduit plutôt le faite d’être soumis à un appareil technique qui donne plus de confort à la vie et augmente la productivité du travail .

 

La rationnalité technologique ne met pas en cause la légitimité de domination : elle la défend plutôt ; et l’horizon instrumentaliste de la raison s’ouvre sur une société rationnellement totalitaire.

 

La dynamique du progrès technique sait sans cesse imprégnée de contenus politique. Le logos de la technique est devenu le logos de la servitude prolongée. La force de la technologie pouvait être liberatrice par l’instrumentalisation des choses ; elle est devenue une entrave à la liberté par l’instrumentalisation des hommes. »

(Herbert Marcuse  - L'Homme unidimensionnel: Essai sur l'idéologie de la société industrielle avancée 1964 pp. 171 & 174 & 181-182)

 

« Parmi les caractéristiques du monde moderne (...), l’impossibilité de penser concrètement le rapport entre l’effort et le résultat de l’effort. Trop d’intermédiaires. Comme dans les autres cas, ce rapport qui ne gît dans aucune pensée gît dans une chose : l’argent. » (Simone Weil  PG5, 173-174)

 

L'ignorance des complexités de la société contemporaine provoque un état d'incertitude et d'anxiété générales, qui constitue le terrain idéal pour le type moderne de mouvement de masse réactionnaire. De tels mouvements sont toujours "populistes" et volontairement anti-intellectuels. THEODORE W. ADORNO 1950

 

« Parmi toutes les formes actuelles de la maladie du déracinement, le déracinement de la culture n’est pas le moins alarmant. La première conséquence de cette maladie est généralement, dans tous les domaines, que les relations étant coupées chaque chose est regardée comme un but en soi. Le déracinement engendre l’idolâtrie. » (Simone Weil  E2, 92-93)

 

« L’aliénation du spectateur au profit de l’objet contemplé s’exprime ainsi : plus il contemple, moins il vit ; plus il accepte de se reconnaître dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et son propre désir… C’est pourquoi le spectateur ne se sent chez lui nulle part, car le spectacle est partout. » (Guy Debord La societe du spectacle)

 

"Au commencement était le verbe, le logos. En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes. Et la lumière a resplendi dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont PAS COMPRISE. Elle était la vraie lumière, et elle était en ce monde, et le monde ne l'a pas connue. Il vient dans SA PROPRIETE, et les siens ne l'ont pas accueuilli. Mais à tous ceux qui l'ont accueilli, il a donné le pouvoir d'être propriétaire et de croire en l'Unique et en son nom. Mais qui a jamais vu ...l'Unique ?

(Karl Marx - L'Idéologie Allemande chp. "Apocalypse selon St Jean Le théologien ou la logique de la nouvelle sagesse")

 

« A travers le fétichisme -du spectacle- de la marchandise, le Capital peut tout inverser, rendant possible la diffusion d’une pensée de domestication qui elle-même sclérose et aliène, puisqu’elle fait pénétrer  en chacune de nos intimités profondes, le grand renversement de l’indistinction. »

 

 « Le monde n'est pas une chose donnée, c’est une relation dialectique »

 

« il n’y a qu’un coté véritablement positif de la marchandise : elle a créé son pire ennemi : un homme universel qui peut la terrasser " (Francis Cousin)

 

Il existe donc un désir chez certains hommes, de "transmuter" le processus du rêve en "technè, et au vue de la "nature" de la nature dévoilera à l'esprit de l'Homme soit qui il est... soit plus probablement en quoi il consiste (notamment après qu'une partie de lui rêve d'être lui-même tout entier) ? c'est a dire une altérité et une répétition, qui n'est pas le défaut mais ce qu'il faut lorsque toutes les deux "rêvent" d'une harmonie ?