Techniques de soi

 

Ce que Michel Foucault appelait le souci de soi (« epimeleia heautou » ou « cura sui ») n’est pas un simple état d’esprit : c’est ce qui se constitue à travers des pratiques. L'histoire des techniques de soi occidentales est structurée par le processus de grammatisation.

 

Pierre Hadot critique la manière traditionnelle de lire les philosophes grecs pour en dégager des idées ou des doctrines et soutient que la philosophie consiste d’abord en une conversion à une forme de vie, à un art de vivre qui s’appuie sur un travail de soi sur soi à travers un ensemble d’exercices noétiques (intellectuels et spirituels). La philosophie elle-même serait un tel exercice.

 

Michel Foucault redécouvre le souci de soi en travaillant ce qu’il appelle « l’herméneutique du sujet », soit la relation entre subjectivité et vérité. Foucault étudie les « arts de soi-même », la « pratique de soi », et, explicitement, les « techniques de soi », parmi lesquelles, l’écriture de soi. Les pratiques de soi ont certaines caractéristiques. Elles doivent être répétées, régulières, voire ritualisées. Elles relèvent de l’entraînement, de l’exercice (« askèsis » ou « exercitium »). Elles sont éclairées par le souci de soi en général, et par l’orientation (la doctrine) propre à l’école philosophique (Stoïciens ou Épicuriens, par exemple).

 

Ainsi, Philon d’Alexandrie a donné deux listes de techniques de soi qui portent la marque du stoïcisme. La première comprend : la recherche, l’examen approfondi, la lecture, l’écoute, l’attention, la maîtrise de soi, l’indifférence aux choses indifférentes ; la deuxième : les lectures, les méditations, la thérapie des passions, les souvenirs de ce qui est bien, la maîtrise de soi, l’accomplissement des devoirs. D’un point de vue pratique, les exercices intellectuels comme l’écoute, la lecture, la mémorisation préparent la méditation qui s’approfondit dans la recherche et l’examen, et débouche sur les techniques de maitrise de soi.

 

L’attention (« prosochè ») est à la fois une orientation générale des pratiques de soi et une technique particulière. La méditation joue un rôle central dans les techniques de soi. Le mot latin meditatio traduit mélètè qui signifie en grec le soin, le fait de s’occuper attentivement de quelqu’un ou de quelque chose, et qui, initialement, désignait la préparation de l’orateur. La méditation, le plus souvent associée à la mémorisation, est l’exercice spirituel par excellence.

 

Les techniques de soi constituent une tradition critique de l'attention. Elles permettent aujourd'hui d'interroger le type d'attention caractéristique d'une « majorité qui s'oppose au dressage » c'est-à-dire à la destruction des savoirs et du travail par l’emploi et au formatage par le psychopouvoir. Ars Industrialis pose que les technologies numériques de l'esprit peuvent et doivent être mises au service de techniques de soi. Les industries culturelles, les industries de programmes, les médias, les télécommunications, les technologies culturelles et les technologies cognitives – qui ne sont rien d'autre que les hypomnémata de notre époque – sont ainsi évalués du point de vue du souci de soi, qui n’est pas un penchant égocentré, comme tend à le faire croire l’idéologie contemporaine du « bien-être » (d’autant plus bavarde que le mal-être étend son règne), mais au contraire s’inscrit toujours dans une façon de prendre soin de la jeunesse et des générations. Cette évaluation des technologies de l'esprit, et notamment du numérique, porte centralement sur la relation entre école, techniques de soi et écriture, par exemple à travers la critique de la lecture numérique et des « lectures industrielles », et à travers les réflexions qu’Ars Industrialis partage avec skholè.fr.