Populisme industriel et télécratie

 

Si l’on s’accorde à reconnaître que toutes les sociétés peuvent régresser, et que les sociétés réputées démocratiques régressent sur un mode que l’on a pris l’habitude de dire populiste, concept vague qui a une histoire politique précise mais qui désigne tantôt la pratique systématique de la démagogie, tantôt des formes proches de ce que l’Histoire a connu sous le nom de fascisme, notre époque est, sans l’ombre d’un doute, devenue massivement populiste.

 

Cependant, nous soutenons que ce populisme est, en sa nature profonde, d’un genre nouveau, en ceci qu’il procède d’une organisation économique bien plus que d’une causalité proprement politique. Lorsque les sociétés consuméristes atteignent leurs limites, la vie devient structurellement pulsionnelle et addictive, c’est à dire fondée sur la frustration, et ne peut que provoquer une régression massive qui induit secondairement un populisme politique.

 

Ce devenir au cours duquel le pharmakon audiovisuel déploie toute sa toxicité conduit à ce que nous appelons la télécratie[1] – celle-ci organisant le court-circuit de la modalité politique de la transindividuation par les médias de masse audiovisuels. Mais c’est avant tout en généralisant sa fonction de bras séculier du marketing que la télévision impose la télécratie en faisant de la politique elle-même une affaire de marketing – le populisme politique s’en trouvant exacerbé.

 

La télécratie et plus généralement le règne des médias audiovisuels ont cependant d’autres effets toxiques : selon une équipe de pédiatrie de l’université de Washington, le synaptogenèse infantile est directement altérée par une exposition précoce aux images animées. En France, les enfants passent chaque année plus de temps devant un écran que sur les bancs de l’école, et en Amérique du Nord, les adolescents consacrent dix heures et demi par jour aux médias[2]. Aussi, nul ne peut désormais ignorer qu’entre l’école qui cherche à former l’attention et l’industrie audiovisuelle qui la capte pour la déformer, il y a conflit. Cet état de fait devenu calamiteux devrait être au cœur du débat politique contemporain – d’autant que dès 2004, 56% des téléspectateurs français déclaraient ne pas aimer la télévision qu’ils regardent.

 




[1]
Celle-ci est parfaitement résumée par les propos de Patrick Le Lay, cités en note dans l’article « Marketing ».

[2]Selon le rapport 2011 de la Kaiser family foundation, www…