Un déni de grossesse politique

Publié par olandau le 4 Septembre, 2014 - 14:22
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J’affirme que la classe politique français et la gauche européenne sont en situation de dénie de grossesse.

« Ni mensonge conscient ni tentative d'échapper à des responsabilités civiles ou juridiques, le déni de grossesseest une réelle affection psychiatrique ... » Santé-Médecine

« Quand le déni dure jusqu'au terme de la grossesse, l'accouchement est un choc psychologique très important pour la mère qui n'a pas pu se préparer psychologiquement à l'accueil de l'enfant et n’a pas recours à son entourage. ... La mort du bébé peut survenir de manière accidentelle, par manque de soins, suite à un traumatisme crânien ou suite à une intervention de la mère. Cette confrontation brutale avec la réalité peut occasionner une panique porteuse de pulsions infanticides … Dans certains cas, la mère croit son enfant mort-né et s’en débarrasse alors qu’il est vivant. » Wikipédia

Pendant la grossesse niée, l’entourage de la femme ne peut donc chercher des remèdes que pour répondre aux symptômes apparents que sont les rondeurs : il faudrait qu’elle maigrisse, c’est normal à son âge, ça lui passera, il faut qu’elle fasse du sport,… et crée involontairement des conflits, sans évidemment pouvoir proposer de solutions adaptées à la situation.

Le monde est en pleine gestation d’une considérable révolution qu’occasionne le numérique, au même titre que celle qui a suivi l’invention de la machine à vapeur et le recours massif aux énergies fossiles au XIX° Siècle.

Ces révolutions, comme on a pu l’observer au cours des deux précédents siècles, entrainent des modifications profondes de la société, en totale rupture avec les organisations sociales précédentes : installation de formes successives de capitalismes, développement massif du salariat, création d’une classe ouvrière, réduction de la paysannerie, émergence d’une petite bourgeoisie,…

A la différence de l’aristocratie anglaise, la royauté française ne l’a pas compris et a sombré à la fin du XVIII°S. Par contre, « les lumières » pendant plus d’un demi-siècle, consciemment ou inconsciemment, ont préparé et débattu des conditions de la nécessaire transformation du contexte sociale et politique provoquée par la science, par le recours aux énergies fossiles, par le commerce, par le développement des usines,… et ont placé l’humain au centre de l’idée qu’il se faisait d’une future société.

L’ensemble de cette pensée a accompagné non seulement les révolutions et l’indépendance des Etats Unis,… mais a aussi donné les éléments fondamentaux aux luttes sociales et aux utopies du XIX°S, plus globalement les socles de nos démocraties modernes.

Nos politiciens considèrent que nous sommes aujourd’hui, seulement dans une crise de croissance « classique » du capitalisme, donc, dans la continuité des modèles issus de la révolution industrielle du XIX°S. En conséquence, le débat politique qu’ils animent se limite à proposer des remèdes aux symptômes apparents de modèles qui disparaissent : proposer des béquilles à un keynésianisme que la robotisation accélérée de l’industrie et des individus remet en cause, ou cautériser les maux causés par un capitalisme financier qui engrange le plus vite possible le maximum de revenus dans un contexte de « terre brulée »,…

Plus prosaïquement ces politiques considèrent, pour mille et une raisons, qu’il en va de leur intérêt personnel de limiter le débat à ce contexte.

En conséquence, notre classe politique française, toutes tendances confondues, est en « déni de grossesse », situation largement ressentie par les citoyens, qui perçoivent bien que les propositions des partis ne correspondent en rien aux enjeux actuels. Ainsi les gouvernements successifs sont naturellement conduits à mettre en place des mesures d’une autre époque, que bien souvent la gauche a critiquées en d’autres temps. Le gouvernement Valls joue les Thatcher mâtinée de Blair et de Schröder, et veut appliquer des mesures libérales adaptées aux années 80 (post trente glorieuses), à l’époque largement refusées en France. Les « libéraux » d’aujourd’hui, tel que certains du gouvernement de David Cameron, ont largement intégré le changement de période et les nouveaux paradigmes structurant l’économie numérique, aussi les mesures, largement critiquables d’un point de vue de gauche, qu’ils proposent ne sont pas comparables à celles de celui de Valls.

En ce qui concerne le travail et l’emploi, les crises des années 70/80 n’étaient pas de la même nature que les mutations que nous observons aujourd’hui, le chômage était considéré comme un volet d’ajustement, permettant de contrôler les salariés et réduire le pouvoir des syndicats. Aujourd’hui, le numérique et la robotique réduisent massivement le travail humain au sein des entreprises, le chômage n’est donc plus conjoncturel, mais structurel.

En effet, la richesse des « Majors » des industries numériques telles que Google, Apple, Facebook, Amazon, Twitter (GAFAT) repose sur la valeur créée par leurs clients, leurs contributions cognitives et personnelles, donc un travail fournit gratuitement, tel que décrit dans le rapport Collin & Colin[1]. Plus généralement, la majorité des entreprises font glisser nombre de fonctions et de tâches vers leurs clients : « mon banquier c’est moi », réservation de transports, caisses automatiques sans agent,… Dans ce contexte comment imaginer que les entreprises, même avec une prime de 40 milliards d’Euros puissent envisager d’embaucher ? Il est en effet possible, quand l’État est actionnaire, comme dans le cas d’Orange, d’exiger de leurs dirigeants de garder des salariés sans travail ou avec des activités complètement inadaptées à leurs compétences ! On en constate toujours les effets, le nombre de suicides ne baisse pas !

Dans ce contexte, après les discours stupides sur l’inversion de la courbe du chômage, il devient criminel, surtout si on se dit de gauche, de stigmatiser les citoyens qui n’ont pas d’emploi salarié. D’autant que dans le même temps, ces mêmes chômeurs créent de la valeur pour des entreprises du numérique florissantes, permettent d’économiser des postes de travail, en se substituant aux salariés qu’ils auraient pu être, par leurs propres contributions en ligne.

La stupéfaction de ces politiciens va être grande, lorsque ce sera des entreprises telles que les GAFAT qui pousseront certains gouvernements à l’établissement d’une économie de la contribution avec la création d’un « revenu minimum d’existence » pour l’ensemble des citoyens. Ils ne l’appelleront évidemment pas « l’État providence » mais cette nouvelle organisation sociale leur sera nécessaire pour que les Google et autres ne perdent pas leurs sources de valeur, c’est-à-dire les usagers de leurs services en ligne… un Néo-Keynésianisme ? ou l’invention d’un Fordisme numérique ?

Mais ce sera une politique de droite, répartissant les miettes nécessaires aux citoyens pour le succès d’un nouveau capitalisme numérique. Elle conduira à une nouvelle prolétarisation de nombre de métiers, quand le numérique pourrait au contraire déprolétariser les citoyens et donner une place centrale aux savoirs,… là ce serait une politique de gauche !

Olivier Landau

3/09/14




[1]
Rapport sur la fiscalité du secteur numérique - 18/01/2013

bonjour, remplacer le terme

bonjour,

remplacer le terme de "croissance" par "grossesse", je trouve cela génial ! et bien pensé ! c'est pas grand chose, mais l'eclairage est nouveau et fait du bien.

bravo !