TECHNIQUES DE SOI, PAR DEFAUT

Publié par smichalon le 17 Decembre, 2012 - 14:30
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TECHNIQUES DE SOI, PAR DEFAUT

Petit atelier : L’ARBRE SANS FIN

Recto

 

Premier jour
L’Arbre sans fin, Claude Ponti, L’Ecole des Loisirs, Page 7

Ouvrir un album de Claude Ponti à sa première page.

1- Apprendre par cœur la ou les phrases de cette page.

« Très tôt, devant sa maison, Hippolène dit bonjour au petit matin.
Aujourd’hui est un grand jour. »

2- Sans attendre, recopier de mémoire sur son ordinateur.

« Très tôt, devant sa maison, Hippolène dit un grand bonjour au petit matin.
Aujourd’hui est un grand jour. »

3- Comparer et corriger à partir de l’originale :

S’il y a une ou des différences entre l’originale et la première copie : méditer sur les nuances.

Ici : un grand bonjour / à la place de / bonjour

Là j’ai par exemple de quoi penser sur cette difficulté pour moi à inscrire une pratique espérée dans l’ordinaire d’un quotidien, en l'occurence un simple et régulier bonjour et non un grand bonjour. Par contre en bon "addict" espérant désespérément une technique qui fasse rupture une bonne fois pour toutes, je bien recopié l'adjectif "grand" attribué par Ponti à cet Aujourd'hui qui forcément sera un grand jour.

- Continuer ainsi chaque matin, page à page, jusqu’à la fin de l’album.

 

***

 

Deuxième jour
L’Arbre sans fin, Claude Ponti, L’Ecole des Loisirs, Page 8

Autour de la maison, l’arbre sans fin dort encore.
Il n’a pas de début, pas de fin.
Au bout d’une branche, il y a toujours une autre branche et des feuilles, beaucoup de feuilles.
Plus loin que très loin, le feuillage est bleu, presque invisible.
Cela s’appelle le ciel.
Grand-Mère l’a dit.

1- Je lis et j’apprends par cœur cette page.
2- Dans la foulée je la retranscris de mémoire au clavier du PC.

Autour de la maison, l’Arbre sans fin dort encore.
Il n’a pas de début, pas de fin.
Au bout d’une branche, encore une autre branche et des feuilles, beaucoup de feuilles.
Plus loin que très loin, le feuillage est bleu, presqu’invisible.
Cela s’appelle le ciel.
Grand-mère l’a dit.

3- Puis je cherche des différences entre la copie et l’originale.
encore une autre branche / à la place de / il y a toujours une autre branche

Je me saisi de cette différences comme prétexte à laisser aller la réflexion. Ici je confonds encore et toujours. Je confonds comme toujours : encore et toujours. Que l’arbre de Ponti soit sans fin, cela ne m’aide pas. Que le bleu du ciel soit le feuillage à l’infini, cela ne m’aide pas. Je ne veux pas contempler cet infini. Je ne suis pas heureux ce matin là. Je ne saisi absolument pas la chance, la joie, qu’il y aurait à pouvoir toujours compter sur une autre branche, sur un autre matin, pour s’appuyer et s’aventurer. Non moi je compte et recompte et les branches et il y en a encore et encore et je perds le fil de mon décompte, et c’est sans fin, désespérant. Certes je n’ai pas le même âge qu’Hippolène. Il n’en reste que j’en viendrai à espérer que les branches manquent et qu’il n’y ait enfin plus rien ! Elaguer, Elaguer !

Et voilà comment d’un simple album jeunesse je bascule dans la déprime. Il me vient à penser que cet exercice d’atelier est vraiment nul. Lectio, scripto, meditatio… Que suis-je en train de faire à écrire ainsi dans un blog d’Ars Industrialis, c'est-à-dire, dans un espace on ne peut plus intellectuel, un exercice on ne peut plus ridicule. Le mot nul me permet de me souvenir d’une rédaction de Français en classe de 3ème. Le sujet était «  Vous êtes sur une barque au milieu d’un lac  et soudain vous vous apercevez que votre barque prend l’eau ». La prof de français était très jolie. Sa jeunesse en imposait à tous les garçons de cette classe. J’avais rédigé mon texte façon photo floue de David Hamilton ; la barque, la jeune fille avec moi, à moi les rames, à elle le parapluie-ombrelle, et la brume sur l’eau du lac… et à la fin ne sachant comment finir ou plutôt comment conclure avec cette jeune fille, j’avais écrit en post scriptum de l’exercice que le sujet proposé était nul. Je fus convoqué. Seul avec la prof je restais sans voix, je pleurais.

Ni Ars Industrialis, ni Alain Giffard , ne semblent avoir de technique de soi prête et magique, à me proposer sur le champ.  Je comprends qu'il y a a eu un groupe se réunissant au théatre de la colline le samedi, mais je m'en sens exclu. Je n'ai pas d'autres choix que ce blog. Je décide de m’accrocher un peu en continuant sur l’intuition de la structure de ce petit atelier de simple membre isolé d'AI. Je continuerai donc quand même demain en présentant peut être un peu différemment les séquences :

1 : Lecture,
2 : Mémorisation instantanée ? Immédiate ?
3 : Copie ou recopie ?
4 : Relecture. Recherche des écarts ? Des fautes ? Analyse des écarts ?
5 : Réflexion ou méditation ? Sur les différences ? Les fautes ? 

Et s’il n’y avait pas de fautes, du fait que la re-copie serait parfaite, serait sans défaut ? Méditerai-je sur la toute puissance ? 

***

 

Troisième jour
L’Arbre sans fin, Claude Ponti, L’Ecole des Loisirs, Page 9

1 : Lecture

Grand-Mère sait tout. C’est elle qui choisit le meilleur jour pour la chasse aux glousses.
C’est la première fois qu’Hippolène s’en va chasser.
Elle part toute seule avec son père qui lui a prêté sa grande épuisette.

2 Mémorisation rapide

3 Copie de mémoire

Grand-Mère sait tout. C’est elle qui choisit le meilleur jour pour la chasse aux glousses.
C’est la première qu’Hipollène s’en va chasser.
Elle part toute seule avec son père qui lui a prêté sa grande épuisette.

4 Analyse des écarts

La première / à la place de / la première fois

5 Méditation sur les nuances à l’écart

J’ai oublié le mot fois. Et alors ? je me plie quand même à l’exercice. Et je réfléchis. Je vais bien en penser quelque chose ? Pourquoi ai-je sauté par-dessus cette fois. Je sais bien que je suis avec Ponti dans un conte d’apprentissage. Ici l’apprentissage d’un enfant à partir du savoir de sa Grand-mère et de la pratique de son père. En oubliant le mot fois je fais d’Hippolène elle même la première, celle qui est la première. Or il ne s’agit pas ici d’être la première. Il s’agit de n’être surtout pas la première, mais d’être dans une lignée de transmission. Hippolène est une héroïne.  Je pense à mon épouse, à la mère de mes enfants, et je me demande si cette Grand-Mère serait de la lignée de la mère de son père ou celle de sa mère ? Je pense à ma fille qui est dans la lignée de sa mère. Grand Mère sait tout. Pas besoin de Père dans tout cela. J'entends le jour même Antoinette Fouque à la radio qui dit que c'est Lacan qui dit que le Monde c'est une fille, qui fait une fille, qui fait une fille, qui fait une fille... 

***

 

Quatrième jour
L’Arbre sans fin, Claude Ponti, L’Ecole des Loisirs, Page 10

1 : Lecture

Pour surprendre les glousses, il faut guetter sans bouger. Être un œil qui écoute, en silence.
Hippollène fait tout bien comme son père.
Son père est un grand chasseur. Le plus fort du monde. Son nom est Front-D’Eson-l’Ecarte-Pluie

2 : Mémorisation rapide

3 : Recopie de mémoire

Pour surprendre les glousses, il faut guetter sans bouger. Être un œil qui écoute, en silence.
Hipollène fait tout bien comme son père.
Son père en attrape plein. Son père est un grand chasseur. Son nom est Fron d’Eson L’Ecarte Pluie.

4 : Repérage des écarts 

Son père en attrape plein / à la place / Le plus fort du monde.
Hippolène
/ à la place de / Hipollène.

5 : Réflexion

Son père en attrape plein / à la place de / Le plus fort du monde.
Quand mes enfants étaient petits, et encore aujourd’hui je n’acceptais pas qu’on puisse ne serait-ce que supposer, venant de moi, une réelle force ou la moindre maitrise d’une technique. Il fallait toujours que cela soit raté. Avec mon petit salaire de libraire, je n’attrapais pas plein d’argent. Je n’étais pas bon mari et pas bon père pensais-je.
Je n’étais pourtant pas si mauvais libraire et père pour lire et relire et raconter les Ponti mais qu’il était difficile pour moi que mes fils  puissent dire que j’étais le plus fort du monde.  C’est leur mère qui me forçait à entendre mes fils s'émerveiller de ma capacité à sauter par dessus les platanes de l'avenue Denfert-Rochereau, à entendre ma fille s'émerveiller devant les "machinanniversaires" que je construisait pour elle... Mais alors toujours pour compenser, dans l’instant je ratais autre chose d’important pour bien montrer ma nullité.  Et d’une certaine façon c’est professionnellement c'était et c'est toujours la même sensation aujourd’hui.… A la différence que quand j'étais libraire traditionnel il se trouvait chaque jour un client pour me dire que j'étais bon libraire. Je ne me sens pas bien. ePagine est trop dur. J’ai soudain envie d'arrêter là cet exercice, de ne pas réfléchir, à la question du métier qui me semble trop vaste. On verra une autre fois. 

Je passe quand même à l'analyse de l'autre écart repéré tout en devinant déjà qu'il me ramènera à la même question : Hippolène / à la place de / Hipollène. J'écrit ce prénom avec deux PP au lieu d'un.
Bien que je sois père, dans ce livre de Ponti c’est à cette petite fille que je vais m’identifier, c’est elle qui sera héroïque et c’est vers elle que me portent mes rêves et fantasmes de puissance paternelle et d’héroïsme. Un grand bonjour, la première, et maintenant son nom que j’écris avec 2 P. Les deux P de hippo, comme si son prénom en appelait à la puissance du cheval. Je pense à l'enfant que j'étais et qui rêvait de monter à cheval. Mais surtout ce prénom d'Hippolène avec 2 lettres P m'évoque le prénom de Philippe, prénom associé très étroitement à un ancien rêve dont le souvenir est récurent et que je nomme  le rêve de Philippe. Je suis sûr que j’ai entendu dans le prénom d’Hipollène, la double consonne P à la racine du mot cheval.  En entendant Hipollène, j’entendais Philippe.

Il faudrait que cette Hipollène soit forte mais le soit par elle-même, sans lignée,  sans père.  Cela n’a aucun sens pour moi de penser que mon père m’aurait transmis ou prêté quelque chose ; si ce n’est pour me le reprendre et donc pour me le voler. Si mon père a tenté de me transmettre quelque chose, c'est justement cette incapacité à transmettre dont il a lui même hérité de deux générations précédentes et contre laquelle je lutte dans cet exercice même. Je ferai mieux d'entendre la poésie de Ponti qui me suggère deux L légers por s'envoler à la place de ces  deux P. Mais tout me ramène d'abord à Hipo ou Hippo. Je suis nul en orthographe et pire en orthographe grammaticale. Le gras des passages d’autodictées en primaire me revient maintenant. En orthographe, rien n’est sûr pour moi, tout est sujet au doute, je pense avoir à priori toujours tord. J’en appelle toujours, quand j’y pense, au correcteur externe de word que je ne sais pas paramétrer. Hippodrome prend bien deux P. Comme Philippe. Hippolène – Philippe.

Ai-je réellement connu un Philippe lorsque j’étais petit enfant. Mi rêve - mi cauchemar, ce songe est une longue image.  L'image derrière un rideau de douche d'un jeune homme torse nu, aux cheveux longs comme une crinère, qui va mourir. Un centaure familier. Seul. Je sais que dans ce rêve Philippe désigne un jeune babysitter régulier employé par mes parents et qui je pense s’est suicidé quand j’étais enfant. J’ai par ailleurs un vrai souvenir d'un certains Nicolas, qui je crois étais le frère de ce Philippe et auquel je pense tout de suite évidemment car je crois que lui aussi venait me garder et que lui aussi s'est suicidé… Je suis sûr du prénom de Nicolas. Je doute maintenant du prénom de Philippe. L'exercice me replonge litérallement dans l'imaginaire de ce souvenir : je suis enfant, mes parents sortent et me font garder, deux des babysitter se suicident. L'un s'appelle Nicolas, l'autre s'appelle peut être Philippe, les deux semblent m'appeller à grandir mais décident de mourir. Est-ce que j'exagère ? Est-ce que je délire ? 

Bref dés ce 4ème jour,  je viens donc comme à la sauvette de tirer cet exercice du côté de l’autoanalyse de faire l’association qui peut être explique cette intuition d’indispensable, d’inévitable, de nécessité à l’ouverture de ce post dont le but, par delà le ridicule, était de tenter un atelier de technique de soi. Seul en scène, mais cadré par une possibilité ouverte de commentaires ou réactions, sommes toutes assez rares dans les blogs des membres, ou par la possible lecture de Giffard lui-même. Qui sait ? Je dois continuer, je crois. Ce n’est pas vraiment de l’analyse puisque je n’ai personne à qui parler, puisque je ne parle pas j’écris. 

Donc finalement en pensant à Augustin, à Anzieu, et à Barthes  cet exercice de technique de soi pourrait se décomposer ainsi :

1 : Lecture silencieuse.
2 : Jeu de Mémorisation rapide
3 : Recopie instantanée
4 : Recherche des écarts 
5 : Notes sur les nuances à l’écart

 

Ce matin comme nous sommes à 3 jours de Noël, au lieu d’appeler MS, libraire sûrment fort occuper, en descendant du train qui me mène à Paris, je branche ma clef 3G et j’envoie tout cela à CG, qui saura me décourager , s’il le faut, de poster ce délire.

Le lendemain, je chercherai pour MM, une idée de cadeau pour un de mes fils. Je sais qu’il va commencer un séminaire sur la Chine, je regarde du côté de François Julien et je trouve à la librairie les Temps Modernes un essai sur l’Ecart ou l’Entre, chez Galilée. La librairie , ce lieu de toutes nos solitudes comme dirait Christian Thorel. 

 

Donc au final la structure de l'exercice pourrait être :
1 : Lire, 
2 : Écrire ou réÉcrire,
3 : reLire,
4 : repérer les différences ou les écarts
5 : Méditer entre les nuances et les écarts, ou entre les nuances à l’écart.

 

En 2013, j’appellerai ma mère. Je lui demanderai pour ce Philippe et ce Nicolas, ces deux fantômes accrochés à mon arbre sans fin, qu'Hippolène, je veux maintenant écrire Hipollène, a fait resurgir, maintenant, et il doit y avoir une raison à cela. Grand-mère sait tout. Si elle ne répond pas, si elle ne peut ou ne veut pas répondre, je chercherai sans elle malgré tout. C'est déjà arrivé. Si je ne trouve rien de ce double suicide à l'enfance, il ne me restera qu'à remballer ma technique et son album pour tout envoyer à l'ami par poste. 

 

 

Post scriptum & résolution de l'énigme : TECHNIQUES DE SOI, PAR DEFAUT 2 (Avril 2013 ?)