Nouveau seuil franchi dans la disruption systémique de l'e-learning

Publié par abonneau le 7 Février, 2016 - 00:07
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Nouveau seuil franchi dans la disruption systémique de l'e-learning

ou

Comment mimer l'apprentissage de l'enfant pour prendre la main et dominer en sous-main les sociétés

 

La Recherche, Février 2016, n° 508 page 26

« Un nouvel algorithme inspiré de notre façon de raisonner parvient à reconnaître des lettres manuscrites et à les reproduire à partir d’un seul exemple alors qu’il en faut habituellement des dizaines de milliers.»

« Baptisé « apprentissage bayésien de programme », cet algorithme a été testé sur une banque d’images réunissant plus de 1 600 caractères manuscrits provenant de 50 alphabets du monde entier. Confronté à une lettre inconnue, il devait retrouver son alphabet d’origine (sanskrit, tibétain…). Et, chaque fois avec un seul exemple, il a mieux réussi cette tâche que les algorithmes de deep learning. »

« L’originalité de cet algorithme est que, pour apprendre à reconnaître des images, il apprend à les dessiner. Concrètement, face à une nouvelle lettre, il répertorie les types de traits, leur nombre et leur agencement. Puis il définit les étapes nécessaires à la reproduction de l’image. En d’autres termes, il conçoit par lui-même un programme pour dessiner la lettre. »

 

http://science.sciencemag.org/content/350/6266/1332

(traduction)

«  Des caractères manuscrits dessinés par le modèle

Non seulement les enfants apprennent sans effort, mais ils le font rapidement et avec une remarquable capacité à utiliser ce qu'ils ont appris en tant que matière première pour inventer de nouvelles choses.

Lake et al. décrivent un modèle de calcul qui apprend d'une manière similaire, et réussit ainsi mieux que des algorithmes de deep learning. Le modèle classe, analyse et recrée les caractères manuscrits, et peut générer de nouvelles lettres de l'alphabet qui semblentcorrectes”, à en juger par les réponses du modèle à des tests proches de celui de Turing, comparées à des tracés humains manuscrits.

Résumé

L'apprentissage humain de nouveaux concepts peut souvent être généralisé avec succès à partir d'un seul exemple, les algorithmes d'apprentissage automatique nécessitant généralement des dizaines ou des centaines d'exemples pour opérer avec la même précision. Les gens savent également utiliser des concepts appris avec des modes plus riches que les algorithmes classiques, pour agir, imaginer et expliquer.

Nous présentons un modèle numérique qui capture ces capacités humaines d'apprentissage pour une classe vaste de concepts visuels simples : des caractères manuscrits provenant d'alphabets du monde entier. Le modèle représente les concepts comme de simples programmes qui expliquent au plus près des exemples observés grâce à un critère bayésien. »

* * *

Si le résumé introductif de l'article est emphatique, la perspective de tels algorithmes est nouvelle. Elle suppose en effet que les stratégies d'apprentissage de l'enfant ont été « capturées » par le système pour obtenir à la vitesse de la lumière des réponses satisfaisantes, et adaptables en temps réel. Cela marque un saut qualitatif par rapport à des algorithmes de reconnaissance de signatures proposés par Thalès pour un contrôle en temps réel mais qui s'appuyaient sur une banque de données certes immense mais déjà définie. http://www.biometricupdate.com/201211/thales-to-exhibit-biometric-systems-at-paris-security-event

 

«Ces avancées ouvrent la porte à une multitude de nouvelles applications [et] de nouvelles architectures électroniques.

Aujourd'hui, le rythme de progression de la discipline est tel que certains spécialistes n'hésitent pas à partager leurs craintes. Des mises en garde discutées qui ont néanmoins contribué à la naissance de plusieurs initiatives pour assurer le développement d'une intelligence artificielle robuste et bénéfique pour la société.»

http://www.industrie-techno.com/machines-a-penser-l-intelligence-artificielle-au-service-de-l- industrie.40167 (6 octobre 2015)

 

Il est à craindre que le droit et ses formes d'institutionnalisation en soient largement fragilisés, ici aussi, puisque toute écriture manuscrite a pu constituer une preuve de l'identité d'une personne. La reproduction par un système robotique de toute écriture sans modèle ouvre la voie à des falsifications en tout genre, dans un monde où l'authenticité d'une signature est fondamentale pour attester de l'identité de l'acteur de tout acte civique et financier.

A l'heure où les « robots journalistes » voient le jour, y compris en France *, c'est l'ensemble de la certification de documents qui est affectée par cette nouvelle révolution disruptive.

Car si des emplois sont à perdre également dans ces domaines littéralement « phagocités » par les grandes sociétés en capacité de développer de tels algorithmes et de les utiliser (traitement de millions de données) c'est également une inquiétude qui fait suite à l'annonce que j'avais faite précédemment de l'écriture manuscrite rendue optionnelle aux Etats-Unis en 2014

http://arsindustrialis.org/apprentissage-de-l%C3%A9criture-manuscrite-ou-au-clavier et

http://arsindustrialis.org/faut-il-craindre-la-fin-de-l%C3%A9criture-manuscrite-par-jean-luc-vellay

et cette année en Finlande. http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1282710-fin-de-l-ecriture-manuscrite-a-l-ecole-en-finlande-des-effets-negatifs-sur-le-cerveau.html

 

Mais des enjeux politiques à très grande échelle sont également testés, sur la présente thématique de l'écriture automatisée (qui engendre des réponses automatiques (Bernard Stiegler parle de transindividuation, c'est-à-dire d'incorporation des modes comportementaux et des consistances induits par les rétentions tertiaires R3 techniques, lesquelles influencent les rétentions primaires R1: la sensibilité, et formatent les rétentions secondaires R2 : les adoptions de regards et gestes symboliques ou moteurs, lesquelles reprogramment la sensibilité des R1).

 

Ces tests « grandeur nature » (in vivo, mais sans veille sanitaire publique) se font de façon non contentieuse vu que le droit est désormais à la traîne des industriels internationaux comme cet exemple l'atteste :

« Le réseau social Facebook aurait secrètement manipulé 700 000 utilisateurs pour étudier le phénomène de la "contagion émotionnelle". La problématique consistait à déterminer le rôle de la lecture ou de la réception de messages négatifs sur la teneur de leurs commentaires sur le site. »

http://www.ladepeche.fr/article/2014/07/05/1913698-violation-de-la-loi-facebook-passe-aux-aveux.html

 

Des jeux, bien souvent de combat, ont permis depuis une décennie au moins de tester grandeur nature également les réactions du public et l'émotion générée, en l'invitant à “participer” sur des plateformes interactives. Mais participer à quoi ? Pour prendre un plaisir au jeu ou pour contribuer à l'apprentissage des algorithmes, en direct et à son insu ?

Je vous propose de lire attentivement la présentation en slides de Ronan Le Hy, du 6 avril 2007, qui exposait déjà les procédures algorithmiques de l'époque :

http://emotion.inrialpes.fr/people/lehy/presentation_these_ronan_le_hy.pdf

En page 42, vous pouvez ainsi lire :

Réponse aux problèmes du développeur

Programmer :

facilité ? expressivité ?

spécifier un comportement sans programmer ?

besoins mémoire et processeur ?

programmer/régler un comportement par l’exemple ?

Comprendre le programme :

comprendre comment ajuster un comportement

donner un sens aux réglages du comportement

comprendre, modifier, maintenir un comportement complexe

 

Il y a donc bien une urgence à légiférer sur les responsabilités éthiques, politiques, philosophiques et juridiques de ces manipulations (voire escroqueries) internationales à l'intelligence collective ; la confiance des citoyens et des sociétés en ce système récent mais mondialisé mérite d'être interrogée :

Certains systèmes numériques présentent par ces exemples, par-delà les possibilités immenses d'accès au savoir qu'ils “offrent”, un côté hautement toxique pour toute vie publique, privée et participative, en obérant, par la disruption qu'ils engendrent et de par leur égoïsme industriel et colonisateur exacerbé, une ponction généralisée de la part d'espoir des générations en leur propre avenir et en la science, au travers des applications techniciennes palpables au quotidien.

 

Roland Gori, dans L'individu ingouvernable, parle de techno-fascisme, à propos de ces pratiques visent à instituer des processus de gouvernementalité algorithmique totalitaires, destituant des processus historiques et juridiques singuliers du vivre-ensemble.

 

Michel Bauwens, lors de la réunion du 30 janvier au TGP à St Denis, parlait à propos de Facebook de business extractif : des externalités sociales font l'objet d'une maximalisation du profit pour cette entreprise, sans aucun retour monétaire pour les contributeurs.

 

      Il mettait ce comportement industriel planétaire en regard d'un business génératif, ou comment créer une vie économique pour les contributeurs et générer des revenus de ce travail dans un processus idéologique à inventer, comme :

« A Séoul, en Corée du Sud, la municipalité de gauche a choisi d’interdire Uber, non pas pour protéger les taxis mais pour développer des applications locales, parce qu’il n’y a aucune raison qu’une société américaine gère les trajets d’une ville asiatique. Cela peut se faire avec une coopérative d’usagers ou une coopérative municipale qui permet de stimuler l’économie locale, et où la valeur reste équitablement répartie. Il faut développer l’imaginaire social et juridique ! Il existe des groupes de juristes en France comme Share Lex qui travaillent à transformer les lois en faveur de l’économie du partage, à créer une jurisprudence du commun. Les chartes sociales telles que celle de Wikipedia, l’encyclopédie collaborative par exemple, sont déjà de bons exemples de chartes du commun. »

http://www.lemonde.fr/entreprises/article/2015/06/25/michel-bauwens-uber-et-airbnb-n-ont-rien-a-voir-avec-l-economie-de-partage_4661680_1656994.html

 

       Benjamin Coriat, le même jour, décrivait l'“archétype des communs” chez Elinor Ostrom - première femme à recevoir le prix Nobel d'Économie en 2009 - :

1) foncier (pâturage, pêcherie…)

2) rêve d'usage d'une communauté qui a élaboré des règles d'usage

3) common community based : constitué par le peuple du lieu

4) de taille moyenne (< 10 000 personnes)

5) 3° voie entre propriété publique et propriété privée : allocation de voies de propriété par une communauté, aux côtés de l'action publique

 

Benjamin Coriat citait ensuite les biens communs non matériels tels que ceux créés par la Free Software foundation pour lutter contre les enclosures de la pensée (https://fr.wikipedia.org/wiki/Enclosure) face   « au développement totalement inconsidéré de la propriété intellectuelle : l'innovation monumentale et juridique de la licence GNU et du logiciel libre qui constitue la revendication d'un droit de propriété publique protégé par le droit privé ».

 

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* 23 mars 2015, par Les équipes du Monde (http://makingof.blog.lemonde.fr/author/makingof/ )

Des « robots » au Monde ? Oui et non. Pour la première fois, à l'occasion du premier tour des élections départementales du 22 mars, nous avons expérimenté le recours à la génération automatique de textes. Les résultats de plus de 30 000 communes et 2 000 cantons (accessibles lorsqu'on parcourt les détails du vote dans chaque département) ont été présentés à la fois sous la forme de données chiffrées brutes, comme nous le faisons depuis des années à chaque élection, et de courts textes de présentation, écrits avec l'aide d'un logiciel développé par la société Syllabs.

* 30 janvier 2015, par Mathieu Chartier

http://laruche.com/2015/01/30/les-robots-journalistes-dassociated-press-sont-productifs-673421

Chaque trimestre, et ce depuis six mois maintenant, les robots journalistes de l’agence Associated Press écrivent et publient environ 3000 articles… soit plus de 33 articles par jour en moyenne.

Jusqu’à 2000 articles à la seconde

L’un des derniers exemples en date de la maestria du système (qui continue toutefois à être optimisé en permanence) concerne l’annonce des derniers résultats financiers trimestriels d’Apple. Quelques minutes seulement après leur publication, les robots en question avaient déjà passé à la moulinette les chiffres et digéré les commentaires, et écrit leurs articles en conséquence, qui étaient publiés dans la foulée sur les sites partenaires d’ Associated Press (ici sur Yahoo, ou encore là sur CNBC). Les contenus en question manquent certes un peu d’âme, mais à la première lecture, difficile d’y déceler la patte d’un robot, d’autant plus si l’on est habitué au style des dépêches AP, sobre et objectif, basé sur les faits. Il faut alors s’en remettre à la signature « This story was generated by Automated Insights » pour comprendre que l’on vient de lire un texte rédigé par un robot.