Le projet européen est-il soluble dans la peur ?

Publié par mtichauer le 9 Aout, 2005 - 13:53
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         Le projet européen est-il soluble dansla peur '

 

Ladémocratie que nous vivons, avec toutes ses qualités et ses défauts, est uneforme de consensus : chaque individu donne un peu de lui-même, et la sociétélui rend autre chose. Basée sur de grands idéaux issus des lumières et remodeléspar les technologies industrielles, elle place la liberté en haut des frontonsdes mairies, à côté de deux autres trucs auxquels plus personne ne croitvraiment.

Laphase ultérieure du projet européen, celle d'aujourd'hui en somme, qu'on aitvoté OUI ou NON, est bien celle d'une Europe politique, et non plus seulement(bassement ') économique. Qu'allons-nous mettre sur le fronton de nosmairies européennes, dans 10, 20 ou 50 ans '

 

Laliberté, ça c'est un bon concept, coco. Il faudrait le garder. C'est vendeurpour les révolutionnaires oranges, qui sont clairement dans notre c'ur decible, ça fait bien sur les papiers à en-tête du ministère, et au fond, noussommes bien d'accord, il est bien plus agréable de vivre en France en 2005 qu'àPrague en 1968. La liberté est une bonne marque : sur notre marché, nousavons même les femmes et les enfants qui sont potentiellement consommateurs, cequi nous donne un avantage concurrentiel certain par rapport à nos concurrentsfondamentalistes d'un peu partout. Je ne vous raconte pas l'effet de gamme qu'onpeut créer avec un concept pareil : au niveau local, régional, national,supranational, continental, de la liberté partout, et sous toutes ses formes !Liberté de penser, liberté de circuler, liberté de la presse, liberté de culte,liberté d'inculture, liberté de tout ce que vous voulez : vous êtes libresd'inventer un mot pour aller avec liberté ! Et puis c'est très fédérateur,la liberté. Onpeut imaginer des concerts pour la liberté, qui feront se réunir sans aucunproblème les lituaniens et les espagnols, si si. Au nom de la liberté, onpourra même créer des tas de lois pour protéger la liberté.

Laliberté, on garde.

 

L'égalité,bon ce n'est pas franchement simple, par contre. Sur le segment, il y a quand mêmeMicrosoft qui veut nous rendre tous égaux devant notre ordinateur, il y a lescommunistes qui veulent nous rendre tous égaux devant le plan quinquennal, il ya les religions qui veulent nous rendre tous égaux devant Dieu ou son envoyésur Terre. Et puis il faut regarder les choses en face : il y a une vastemajorité de la population pour qui les lois sont faites, qui paient leurs impôtset qui vivent leur vie, qui font attention à la maréchaussée et qui râlent surleur situation, il y a une minorité qui refuse de jouer le jeu et qui de toutefaçon navigue de lycée en lycée, de centre en centre, de stage en stage, de prisonen prison, et qui se fait toujours rattraper par l'égalité imposée, et il y aune autre minorité qui de toute façon est vaguement au-dessus des lois, a desprivilèges ' mais aussi des contraintes autrement plus importantes que lespeuplades bêta et bêta moins. Aucune des trois population ne désire fondamentalementque ce système change, alors passons rapidement sur l'égalité, on verra si onpeut la repeindre proprement.

 

Lafraternité, c'est bon. L'Europe serait un grand film de Klapisch avec plein degens très beaux qui parlent plein de langues toutes plus sibyllines les unes queles autres. Les Européens sont tous sympas, c'est porteur et ça permet d'effacernotre échec après le lancement de notre dernier grand produit ' le nazisme ' quiétait quand même un peu dur à faire adopter par tout le monde.

Lafraternité, on garde.

 

Voilà,il suffit d'écrire LIBERTE FRATERNITE et un peu d'EGALITE sur nos frontons, etle tour est joué, nous la tenons notre démocratie industrielle européenne. Allons-ypour le plan d'actions ...

 

J'aimieux.

 

Leprojet européen a besoin de masses qui lui soient dédiées, il doit sortir descouloirs de Bruxelles,il doit être partagé par le plus grand nombres. Or, encette début de XXIe siècle, une valeur montante brille au firmament de tous lesplans marketing de la planète. Une valeur qui a conquis l'Amérique en moins d'unedécennie, qui a fait plier la Russie, et qui s'attaque aujourd'hui à notrepéninsule :  la peur. Nul besoin derelire Lovecraft pour se rendre compte de l'effet fédérateur de la peur. Sous la bannièrede la peur, tous les peuples se retrouvent, unis dans leur frayeur. La peur estle ressort basique du populisme, de la xénophobie, et ça marche depuis quelquesmilliers d'années, alors pourquoi ne pas continuer ' Depuis les attentatsde Madrid et Londres, l'Europe a de bonnes raisons d'avoir très peur, car leterrorisme s'attaque à la démocratie là où ça fait mal, c'est-à-dire dans sapermissivité. La mondialisation avait lancé l'assaut, maintenant la peur estlà, immanente, irrationnelle, homogène.

 

Européen,l'équation est simple, jusqu'où es-tu prêt à aller dans l'Union, sous labannière de la peur ' Quelles libertés es-tu prêt à lâcher à la police, l'armée,la voisine ou le juge en bois brut, pour assurer ta sécurité ' La peur nedéstabilise pas la bonne marche de l'économie mondiale, bien au contraire. Ellepermet de se concentrer sur des produits technologiques, à forte valeurajoutée, pour trouver des bombes-aiguilles dans des populations-meules de foin,ou pour surveiller. C'est bon à savoir, européen, car serais-tu prêt à lacherégalement ta sacro-sainte économie par pur réflexe réactionnaire etindividualiste '

 

Resteraces questions : le projet européen, le projet politique s'entend, leprojet de vie de ces peuplades diverses, sera-t-il soluble dans la peur ' Peut-ilsortir quelque chose de bon dans une fuite en avant qui ne manquera pas dedoubler celle de notre machine perverse de surproduction et de captationlibidinale ' L'Europe nous proposera-t-elle de jouir en elle encontrepartie de la peur que le reste du monde suscite en nous '

 

Vasteentreprise de schizophrène en perspective.