Qu'attendre d'un débat sur la loi DADVSI qui arrive trop tard ?

Publié par nesposito le 14 Février, 2006 - 19:19
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Parties en présence

Identifions pour commencer les acteurs de ce débat. Il y a les artistes, les créateurs, les auteurs, ceux qui réalisent les 'uvres. Celles-ci sont reçues par le public, représenté par différents types d'associations. Et bien souvent, des intermédiaires organisent le commerce de ces 'uvres. Ce sont les producteurs, les éditeurs, les distributeurs, etc.

Il y a aussi des diffuseurs qui n'entrent pas directement dans le circuit commercial comme les radios, notamment sur le Web, ou les bibliothèques. N'oublions pas certains handicapés pour qui une adaptation des 'uvres peut être nécessaire. Citons aussi le monde politique et en particulier le gouvernement, que l'on dit souvent sous l'emprise des groupes de pression de l'industrie. Enfin, rappelons-nous que les débats liés à loi DADVSI interviennent dans un contexte riche : le droit d'auteur et son histoire, le numérique et la dimension planétaire d'Internet, les logiciels libres et leur relation compliquée avec les DRM, etc.

Changements récents

Revenons un instant sur le numérique. Celui-ci permet la copie d''uvres à l'identique, leur compression et grâce à Internet, un partage mondial des données. Il y a donc un changement en terme de qualité des copies, mais aussi de diffusion. Un artiste peut désormais se passer d'intermédiaires. Le numérique offre, pour un budget raisonnable, les moyens de couvrir l'intégralité du cycle de vie d'une 'uvre : production économique, diffusion mondiale sur les réseaux P2P, présence sur un site Web, promotion sur les blogs et les podcasts par bouche à oreille, vente de biens culturels, d'articles associés et de places de concert grâce au commerce électronique.

Le numérique aujourd'hui, c'est aussi les DRM. En limitant la copie, ces mécanismes ne permettent pas au public de réaliser leurs copies privées de manière satisfaisante. Par exemple, un DVD n'est à la base pas copiable. Quant aux fichiers musicaux sous DRM, on ne peut généralement en faire qu'un nombre très restreint de copies (ce faible nombre ne garantissant pas une écoute sur plusieurs dizaines d'années). Les DRM posent aussi des problèmes quant à l'interopérabilité. Par exemple : comment, sans contourner les DRM, écouter un fichier acheté à Apple sur un autre baladeur MP3 que l'iPod ' Réaliser une copie privée, une copie de sauvegarde, conduit donc à une gymnastique contraignante. Pour le son, on peut par exemple faire un enregistrement au moment où il est lu. Et pour les DVD, on peut utiliser l'un des nombreux logiciels permettant de faire sauter les protections. Cela se complique pour la vidéo ou les livres achetés sur Internet...

Le public se retrouve dans une position absurde : d'une part, il paye sur différents supports une redevance pour la copie privée, d'autre part il est contraint à des manipulations lourdes pour réaliser ses copies privées et l'on va maintenant le qualifier de délinquant !

Le public

Lors de ce nouveau débat, on peut imaginer que le public demande que la copie privée devienne un droit et pas seulement une exception au droit d'auteur, que le contournement des DRM ne soit pas condamnable. La qualification de la source de la copie privée sera sûrement discutée : une différence pourrait être faite entre les 'uvres que l'on a achetées soi-même et les autres. En allant plus loin, certains demanderont l'interdiction des DRM et l'utilisation obligatoire de formats ouverts pour les fichiers vendus en France dans le but de garantir l'interopérabilité.

Le public revendiquera sans doute un accès libre à la culture. L'argument étant que la découverte d'un artiste par le téléchargement gratuit peut amener à l'achat de ses 'uvres. On peut ainsi penser que la licence globale optionnelle sera plébiscitée. Cela correspondrait pour le public à une rémunération des artistes en évitant de payer les intermédiaires.

Les artistes

Les artistes bien installés vont probablement continuer à être favorables à la loi DADVSI telle qu'elle est présentée, avec un objectif prioritaire : conserver leurs sources actuelles de revenus (sources basées sur leurs intermédiaires).

Les artistes qui prennent en compte l'évolution des pratiques sur Internet pourraient présenter une tout autre vision. Ils pourraient réclamer le droit à leurs intermédiaires (s'ils en ont) d'être présents sur les réseaux P2P, dans les podcasts et les radios sur le Web pour que l'on puisse les découvrir plus facilement. Ces artistes pourraient vouloir profiter du bouche à oreille qui est de plus en plus puissant sur le Web. Ils pourraient ainsi être partisans de la licence globale : pour rémunérer les artistes écoutés par ce biais, mais aussi pour financer un fond public d'aide à la création.

Les intermédiaires

Les intermédiaires garderont certainement la même position : tout faire pour conserver les modes actuels de commercialisation des biens culturels, vouloir appliquer un système obsolète pour les nouvelles créations, voir Internet non pas comme une évolution profonde de la société mais simplement comme l'opportunité de proposer des téléchargements payants.

Complémentarité des propositions

On entend parfois à propos de la loi DADVSI : « s'il y avait une solution, ça se saurait, ça existerait déjà dans un autre pays ». Et si justement il n'y avait pas une solution unique, mais plutôt une solution multiple...

Reposons quelques bases. 1. Le vinyle et la VHS ont globalement été écartés par le CD et le DVD. Ces derniers seront écartés à leur tour dans un futur proche. Le marché évolue, il faut en tenir compte. 2. À moins d'interdire Internet, on ne peut pas empêcher la copie à grande échelle. Les DRM sont contournés et de nouveaux réseaux P2P peuvent naître très rapidement si certains sont fermés. 3. L'histoire nous montre que dans bien des cas, le droit finit par s'adapter aux nouvelles technologies et non l'inverse : le magnétoscope, les radios libres, la photocopieuse, etc.

On pourrait résumer l'enjeu de ce débat ainsi : assimiler les pratiques liées aux nouvelles technologies, respecter la liberté du public, rémunérer les artistes et aider leurs créations, offrir un espace aux intermédiaires pour des services à forte valeur ajoutée.

Donc, il y aurait d'un côté : la copie privée renforcée et la licence globale optionnelle (rémunération des artistes et fond d'aide à la création). Et de l'autre : des offres payantes proposées par des intermédiaires qui fourniraient des services à forte valeur ajoutée. Les intermédiaires ont l'opportunité d'inventer de nouveaux modèles économiques. Par exemple : puisque les fichiers s'échangent le plus souvent sur les réseaux P2P de manière assez compressée (avec perte de qualité), pourquoi ne pas proposer en téléchargement payant des fichiers plus faiblement compressés (avec strictement aucune perte de qualité) '

Il y aurait même de la place entre les deux pour des services innovants comme Jamendo qui marrie musique sous licence Creative Commons, réseaux P2P, site Web de découverte, fils RSS et podcasts, gratuité et invitation à faire des dons pour rémunérer les artistes.

Circonspection

Mais soyons réalistes, il n'y a quasiment aucune chance d'en arriver là. La copie privée ne sera pas renforcée, les DRM le seront, la licence globale optionnelle ne sera pas adoptée et des millions d'internautes seront menacés de sanctions. Heureusement, il restera des services comme Jamendo et bien d'autres initiatives libres verront le jour. Le système vieillissant que nous connaissons aujourd'hui s'éteindra doucement. Le droit finira par s'adapter. Mais à quel prix ' En tout cas, nous serons présents au lancement du site LesTelechargements.com. Nous vous tiendrons au courant.