Médiator et techniques de soi : quelques éléments de réflexion

Publié par gberiet le 19 Mars, 2011 - 21:48
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J’ai décidé de rédiger ce billet suite à la désormais très connu affaire du Médiator, ce médicament prescrit pour les personnes diabétiques en surpoids, et destiné à faire chuter leur taux de glucose. Je pourrais longuement m’étendre sur ce que cette affaire révèle des dérives de l’industrie pharmaceutique dans le monde en général, et en France en particulier[1]. Certains l’ont fait bien plus efficacement que je ne pourrais le faire[2], aussi je m’abstiendrais de disserter longuement sur ce problème, pour me focaliser davantage sur celui tout aussi intéressant des rapports sociaux aux médicaments, et des évolutions relationnelles entre les médecins et leurs patients. J’espère que ce petit texte pourra notamment générer quelques réflexions pour l’atelier « techniques de soi », tant il s’inscrit de mon point de vue dans les perspectives de recherche soulignées par cette thématique[3].

Commercialisé de 1976 jusqu’à la fin d’année 2009, le Médiator fut retiré de la vente en raison de ses effets iatrogènes sur le cœur. L’enquête de l’Inspection générale des affaires sociales[4], saisie en  novembre 2010 par Xavier Bertrand, recense les graves dysfonctionnements et attitudes désinvoltes qui ont conduit à laisser sur le marché un médicament dont les dangers étaient soulignés par certains professionnels de santé depuis plusieurs années[5]. Le rapport de l’inspection générale des affaires sociales indique notamment qu’il a fallu attendre 10 ans et presque 20 mentions du Benfluorex (principe actif du Médiator) comme potentiellement générateur d’effets indésirables au niveau de la Commission technique de pharmaco-vigilance pour que la Commission nationale de pharmaco-vigilance se décide enfin à mettre ce produit à l’ordre du jour de ces réunions[6]. Une remise en perspective historique de l’économie politique du médicament en France permet de souligner un paradoxe fondamental. En effet, entre la deuxième moitié du XVIIIe siècle et le XIXe siècle, la France se trouve être à la pointe de la recherche appliquée sur les remèdes. Les pénuries de quinquina occasionnées par les conflits des guerres révolutionnaire et impériale stimulent la recherche de palliatifs  destinés notamment à juguler les épidémies de paludisme. A la même époque, les médecins militaires français s’approprient très précocement la technique de vaccination anti-variolique de Jenner qu’ils tentent, non sans difficultés, de populariser au sein des armées et auprès de l’ensemble de la population. C’est également un pharmacien et chimiste français, Pelletier, qui va isoler, avec son collègue Caventou, le principe actif du quinquina (la quinine) pour rendre plus efficace et moins dispendieux ce médicament indispensable dans la lutte contre les fièvres paludéennes. Cette intrication très forte entre soins et remèdes en France a perduré tout au long des XIXe et XXe siècles, à tel point que le marché français du médicament est indéfectiblement resté l’un des plus florissants à travers l’Europe et le monde. Les industries pharmaceutiques ont très rapidement profité du développement de la presse et des affichages publics pour vanter les mérites de tels ou tels sirops (un des produits phares du XIXe siècle), onguents, pommades etc[7]. Quasi immédiatement, la frontière entre ce qui relève du cosmétique, de l’alimentaire et du soin médical proprement dit s’est révélée extrêmement ténue, comme en témoigne ces deux affiches de la fin du XIXe siècle, qui savent parfaitement exploité le subterfuge visuel pour capter l’attention du client :



Actuellement, la tolérance des autorités sanitaires à l’égard des pratiques de l’industrie alimentaire, qui exploite sans vergogne le jargon médical pour vanter les bienfaits supposés de leurs produits, montre que l’évolution de cette confusion des genres est loin d’être annihilée. Au contraire, le marketing et les marchands de concepts creux que sont les publicitaires, parviennent à créer toute une terminologie visant à entretenir un flou artistique. Il en est ainsi du terme « alicament », utilisé pour désigner un aliment aux propriétés thérapeutiques. Tel produit se voit ainsi affublé d’oméga 3, tandis que son homologue « au bifidus actif », soigne vos problèmes de constipation, quant il ne permet pas tout bonnement de « renforcer vos défenses naturelles » (un truc qui, au passage ne veut pas dire grand-chose, pour des produits qui au final existent déjà, et en mieux, à l’état naturel).

Vous me direz, quel rapport entre le médiator, ses effets iatrogènes désastreux, les patients, les médecins et la croissance des aliments dits ‘fonctionnels’, autrement dit à vocation thérapeutique ? J’y viens justement. Tout d’abord, l’accroissement et le succès commercial des alicaments traduisent une forme de désappropriation du soin par la population. Que les gens cherchent à se soigner eux-mêmes ne signale pas qu’ils maîtrisent mieux leur corps. Cela se pratique depuis des milliers d’années. En revanche, l’accroissement de l’offre de confort thérapeutique tend à déposséder les populations d’une maitrise expérimentale du soin. Les usages détournés ou « para-médicaux » des thérapeutiques ne sont nullement une pratique récente. Dans les archives consultées au cours de mes recherches , j’ai pu compulser quantité de cas de soldats et marins qui usaient de produits médicinaux à des fins parfois très éloignés de leurs utilisations classiques. Ainsi, au début du XIXe siècle, un lieutenant de vaisseau avait ingéré des quantités importantes de poudre de cantharide pour stimuler une érection plus prolongée pour démontrer sa vigueur physique à une prostituée. Il avait finalement récolté un très douloureux priapisme. Dans le même ordre d’idées, l’utilisation du quinquina ne se limite pas à ses finalités anti-pyrétiques. On l’ingère dans des tas de configurations différentes : maux de tête, maux de ventre, fatigue chronique etc. Et je ne m’étendrais sur les excursions botaniques, pratique répandue au XIXe siècle, destinées notamment à favoriser une meilleure connaissance des végétaux locaux et de leurs propriétés thérapeutiques.

Notons tout de suite que je ne cherche nullement à opérer un récit nostalgique visant à stigmatiser une époque __ la nôtre en l’occurrence __ dans laquelle nous aurions perdu toute relation à l’autochtonie pour reprendre la phraséologie politique platonicienne. Je veux plus prosaïquement souligner qu’en captant les pratiques auto-médicatrices des populations pour les insérer dans un rapport consumériste, les industries pharmaceutiques et alimentaires mettent réellement en danger la vie de gens qui souvent cherchent, par le soin à soi-même, à se réapproprier un corps que le travail, les dettes, la fatigue et la déshérence affective ont sérieusement plombé.

Face à cela, le rôle du médecin généraliste est essentiel. Or, dans l’affaire du médiator, la profession a failli pour des raisons structurelles. Tout d’abord, on peut souligner que la politique d’hyperspécialisation médicale contribue grandement à la dévalorisation du généraliste, déconsidéré car « spécialiste de rien » et largement moins bien payé que ces collègues cardiologues, pneumologues etc. De plus, la culture de la prescription a sévèrement soustrait la fonction sociale du médecin de famille au profit d’une approche technique de la thérapeutique. Le médecin ne vous demande plus « Comment ça va ? » mais « Où avez-vous mal ? » et cette simple évolution dans la formulation interrogative transforme le rapport humain si essentiel entre ces deux acteurs. Il ne s’agit pas de jeter la pierre à la corporation des généralistes. Au contraire, je crois qu’il est essentiel de nouer des formes de solidarités entre eux et ‘ensemble de la société civile. Bien souvent, les généralistes se trouvent dans des zones géographiques où, en sous-effectif, ils n’ont d’autres choix que de recevoir un nombre démentiel de patients. Certains le font aussi par appât du gain, certes. Mais précisément, et pour tordre le cou à ses approches mercantiles, ne faudrait-il pas d’une part accroître la couverture médicale et, d’autre part, remettre en cause le paiement à l’acte ? Pour revenir plus précisément à l’affaire du Médiator, il faut noter que certains médecins ont prescrit ce médicament comme solution thérapeutique pour des patients en surpoids. Cette donnée mérite une attention particulière dans le sens où elle révèle l’absence d’approche pédagogique dans la relation patient-médecin. Or cette dimension est essentielle. Au niveau thérapeutique, les « techniques de soi » s’inscrivent dans une dimension fondamentalement collective. Le médecin généraliste doit pouvoir s’offrir le luxe (autrement dit le temps et, de nos jours c’est vraiment un luxe) de confronter son discours avec celui de son patient. Or, lorsque l’on se penche sur les formations médicales, on voit que les sciences sociales y sont réduites à la portion congrue tandis que les formations en pharmaco-vigilance sont inversement proportionnelles à la pléthore d’autorisation de mise sur le marché de médicaments. Il demeure donc essentiel que affaire du Médiator permette __ au-delà du nécessaire procès de l’industrie Servier __ de questionner la relation de soins entre le médecin et son patient. Cela suppose que le premier renonce à être le dépositaire d’un savoir sur lequel il a seul l’autorité, mais davantage le relais d’une attention à soi par le biais d’une attention aux usages corporels du second.

 




[1]
Rappelons simplement que la France reste le pays d’Europe où la consommation de médicaments par habitant demeure la plus élevée. Précisons également que cet état de fait n’a pas de corrélations avérées avec le système de sécurité sociale, puisqu’au niveau mondial ce sont les Etats-Unis qui détiennent la première place, tandis que la Chine ne cesse de voir une partie de sa population (classes moyennes supérieures) accroître sa consommation médicamenteuse, notamment en antibiotiques. Sur ce cliché médiatique commode pour piloter des politiques iniques de privatisation de la santé, lire notamment Julien Duval, Le mythe du « trou de la Sécu, Paris, Raisons d’agir,  2007 (Un extrait publié sur le site Acrimed : http://www.acrimed.org/article2671.html Lire également ce texte http://martinwinckler.com/article.php3?id_article=997

[3] Je regrette d’ailleurs de ne pouvoir participer à cet atelier. N’étant pas parisien et pas suffisamment « fortuné » pour me déplacer facilement, je dois me contenter de contribuer en ligne.

[7] C’est notamment durant la deuxième moitié du XIXe siècle que certains industriels français de la pharmacopée vont commencer à utiliser les images, plus efficace en terme de sollicitation visuelle que les présentations écrites.

bizarre votre article

 

Quelques questions puis quelques pistes de réflexion

"la recherche de substantifs à ce fébrifuge."
voulez vous dire "substitution" ?

 

" qui savent parfaitement exploité le subterfuge visuel pour capter l’attention du client :"
voulez vous dire "exploiter" ?

 

"pour des produits qui au final existe déjà"
vooulez vou dire "existent" ?

 

"Que les gens cherchent à se soigner eux-mêmes ne signalent pas qu’ils maîtrisent mieux leur corps"
voulez vous dire "signale" ?

 

"Dans les archives que j’ai pu consulter au cours de mes recherches historiques"
voulez vous dire que vos recherches rentreront dans l'histoire ou que les archives consultées sont historiques?

 

"produits médicinaux à des fins parfois très éloignés de leur fonction première"
voulez vous dire "des fins éloignées" et "fonctions premières" ?

 

"anti-pyrétiques"
voulez vous dire "antipyrétiques" ?

 

"pour les insérer dans un rapport consumériste, les industries pharmaceutiques et alimentaires mettent réellement en danger la vie de gens qui souvent cherchent, par le soin à soi-même,"
développez le "rapport consumériste" affirmation non étayée
des preuves s'il vous plaît sur le "danger"
des preuves sur "souvent"

 

"Or, dans l’affaire du médiator, la profession a failli pour des raisons structurelles" +" « Comment ça va ? » mais « Où avez-vous mal ? »"
vous affirmez beaucoup de choses sur la médecine générale, c'est assez étrange, vous n'avez certainement pas fréquenté beaucoup de généralistes ni de spécialistes , c'est purement de la médisance, et la faculté vous contredirait aisément . Dénigrer le médecin ce n'est pas joli joli comme attitude , ou alors est-ce commercialement intéressé ?  auquel cas vous seriez dans une démarche de "rapport consumériste" vous même :-)

 

"Bien souvent, les généralistes se trouvent dans des zones géographiques où, en sous-effectif, ils n’ont d’autres choix que de recevoir un nombre démentiel de patients. "

c'est récent et pourtant les études sur la population médicale et lele numerus clausus, avaient prévu cette baisse de la démographie médicale ... 
heu qu'est ce que vous appelez un nombre démentiel de patients ? avez vous une notion du nombre moyen de consultations seulement ? un chiffre serait bienvenu (évidemment je le connais)

 

"pour tordre le cou à ses approches mercantiles"
voulez vous dire "ces" ?
au fur et à  mesure je commence à vous percevoir aussi comme "mercantile"

 

il faut noter que certains médecins ont prescrit ce médicament comme solution thérapeutique pour des patients en surpoids. Cette donnée mérite une attention particulière dans le sens où elle révèle l’absence d’approche pédagogique dans la relation patient-médecin.

êtes vous certain de ce que cela révèle ?
êtes vous certain qu'il y a "absence d'approche pédagogique" ?
ce sont des accusations gratuites

 

« techniques de soi »
cékoiça ? encore du jargonage pseudo métaphysico-philosophico-scientifique? ça me rappelle le scandale du Dihydrogen Monoxide !

 

"confronter son discours avec celui de son patient"
il ne le fait pas , peut être !!! accusation gratuite

 

"Cela suppose que le premier renonce à être le dépositaire d’un savoir sur lequel il a seul l’autorité"
contrevérité
le patient a tout loisir de devenir médecin
et d'ailleurs il n'est pas strictement obligé de suivre l'avis médical

"mais davantage le relais d’une attention à soi par le biais d’une attention aux usages corporels du second"
et ça ce n'est pas du verbiage ?

Réflexions
1) ce n'est pas l'industrie pharmaceutique qui vend mais le pharmacien
soit sur ordonnance médicale soit sur conseil
2) vous devriez vous pencher sur les techniques de communication des Labos , en particulier pour ce qui concerne le Mediator sur les axes et les argumentaires des Délégués Médicaux , le bras armé des labos avant l'acte de prescription, (attention un VM ne vend rien mais il est assez fort pour faire faire n'importe quoi), et par voie de conséquence sur la responsabilité directe de Servier et pas celle du médecin qui a aussi été trompé jusqu'à prendre des responsabilités dangereuses.
3) vous ne parlez pas du semencier , du phytosanitaire , du vendeur d'OGM , du labo vétérinaire - pour mémo les années 80 ont vu les groupes chimiques exploser , les différentes branches se séparer , rentrer en bourse , fusionner . On assiste en ce moment à une recomposition et à des fusions-acquisitions. La crise de 2007 a permis d'accélérer la financiarisation des portefeuilles de spécialités.
4) vous vous interrogerez sur le poids de fonds spéculatifs en particulier américains (jusqu'à l'europe) sur l'alimentation et la santé (piste très sérieuse) , sur le FSI , sur le fabricant de votre Carte Vital etc...
5) sur l'autorisation fin 2008 décrochée par les groupes de santé (Labos , assurances etc...) de faire de la pub sur France Television alors que les autres domaines n'y ont plus droit 
6) ces pistes rentrant en contradiction avec votre suite d'affirmations non étayées sur la pharmacie et la médecine et qui semble peu sérieuse car particulièrement orientée par une volonté de capter une clientèle faible d'esprit

7) et de vous inciter le jour où vous faites votre IDM d'aller voir le cardio le plus proche