Les intermittences de l’âme, la fonction noétique du théâtre et la situation politique présente

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Au festival d’Avignon

Dans le cadre de l’atelier : L’or du temps

  Marie-José Malis, Alain Fourneau,
François Michel Pesenti, Pierre Judet de la Combe et Bernard Stiegler

Vendredi 11 juillet à 15 heures
 

Le théâtre, tel que nous tous en faisons plus ou moins intermittemment l’expérience la plus immédiate, c’est ce qui se passe dans le temps : c’est un objet temporel au sens défini par Husserl.

Mais c’est aussi un objet spatial. Le théâtre de Sophocle, par exemple, nous le trouvons dans des livres, en plusieurs langues et en plusieurs versions, et nous en trouvons aussi d’innombrables commentaires – par exemple dans Les tragédies grecques sont-elle tragiques ? de Pierre Judet de la Combe.

Cela signifie que le théâtre est aussi un objet spatial. Comme l’objet temporel se constitue essentiellement par et dans sa temporalité, l’objet spatial se constitue essentiellement par et dans sa spatialité.

La temporalité de l’objet temporel théâtral est ce que le travail des metteurs en scène expérimente dans sa répétition – qui est rendue possible par la spatialité de l’objet écrit qu’est aussi le théâtre comme texte, et la textualité du théâtre a elle-même été avant sa mise en scène le fruit d’une répétition et d’un temps  d’un autre type : le temps de l’écriture.

Même s’il est impossible reconstituer les procédures par lesquelles Sophocle ou Eschyle écrivirent leurs œuvres, il est certain que c’est l’écriture qui forme le répertoire voué à la répétition qu’est le théâtre, et que c’est une nouvelle expérience de la répétition qui est rendue possible par l’écriture en tant qu’elle constitue de part en part et bouleverse de fond en comble la cité grecque au sein de laquelle le théâtre apparaît.

C’est cela que cette conférence tentera d’appréhender face à l’actualité de l’intermittence – actualité que le théâtre convoque toujours intermittemment : toujours la tragédie convoque le temps présent (mais elle n’y parvient que par intermittences) devant le temps de ce qu’Antigone appelle la loi divine. La loi divine hante l’âge tragique et la tragédie dans l’espace public qu’est la loi des hommes (les « mortels ») lorsqu’elle est devenue loi écrite.

Si Aristote n’appartient plus à proprement parler à l’âge tragique, et si sa Poétique a peut-être perdu la dimension essentielle de ce qui fait de la tragédie l’expérience du tragique en tant qu’elle aura constitué l’âge tragique – c’est à dire aussi présocratique – , il n’en reste pas moins que dans la Métaphysique, Aristote cite ce vers de Simonide que citait déjà Socrate dans Protagoras :

   Un dieu seul peut jouir de ce privilège

Cela signifie, comme cela peut se lire dans le Traité de l’âme, que l’âme des mortels n’est noétique en acte (et non seulement en puissance) que par intermittences.

Ce sont ces intermittences qui font le temps – et c’est ce temps intermittent qui constitue le tragique.

Nous tenterons de penser cela à nouveau – de le répéter – dans le temps du conflit des intermittents du spectacle tels qu’il défende l’expérience d’une primordiale intermittence du temps noétique.

Cette conférence est une sorte de suite à celle qui fut donnée au théâtre du Rond-Point le 20 mars 2014, sous le titre Travailler demain  - À l’époque de l’automatisation généralisée :