"Le travail en campagne" la Grande table d'O.Gesbert France Culture 18 04 2017

Publié par dlescaudron le 8 Mai, 2017 - 10:41
Version imprimable

18 04 2017 - La Grande Table Olivia Gesbert- France Culture

LE TRAVAIL EN CAMPAGNE -   BERNARD STIGLER et ARTHUR DE GRAVE

https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/le-travail-en-campagne-avec-bernard-stiegler-et-arthur-de

Ce texte n’est pas la retranscription intégrale des paroles des deux intervenants, mais ma synthèse de leurs idées. La première partie est tirée de la présentation de France Culture.   Didier Lescaudron

----------------

Bernard Stiegler, philosophe, directeur de l'Institut de recherche et d'innovation (IRI) et président de l'association Ars Industrialis. Après «Pharmacologie du Front National» et «La Société automatique» chez Fayard, il publie dernièrement : « Dans la disruption : Comment ne pas devenir fou ?», aux Editions Les Liens qui Libèrent.

Arthur de Grave, rédacteur en chef de  Oui Share.think tank, accélérateur d’idées. Il cosigne « Société collaborative, la fin des hiérarchies » aux éditions Rue de l’échiquier, l’an passé.

"L'emploi ne peut plus être la base de la redistribution de l'économie : parler d'emploi, ce n'est pas parler de travail." "La prolétarisation, c'est quand vous servez le système, et que ce n'est pas le système qui vous sert."        Bernard Stiegler, La Grande Table

"Protectionnisme, valeur-travail, patriotisme économique: autant de formes de moralisation du travail qui détournent la question." "L'automatisation et le numérique pèsent davantage sur la qualité des emplois restants que sur la quantité." "Il faut créer des conditions politiques et sociales pour concevoir le travail différemment, valoriser d'autres activités."     Arthur de Grave, La Grande Table

--------------

Des propos de Bernard Stiegler. Les études sérieuses les plus et les plus optimistes disent qu’au minimum 10 % des emplois disparaîtront d’ici 10 ans. Face à cette évolution grandement probable, que proposent-t-ils ?

L’économie contributive proposée par Bernard Stiegler et son équipe vise une reconsidération du travail qui n‘est pas synonyme d’emploi. Repenser le travail, c’est proposer à chaque adulte un statut de type intermittent (situations à négocier secteur par secteur et territoire par territoire).  Si on se soumet individuellement à un emploi, on se construit collectivement par le travail. Il faut pour cela réinventer une vision macroéconomique avec l’idée de redistribuer les gains de la productivité effectuée grâce au développement des nouvelles technologies et des robots.  

En effet, la prolétarisation de nombreux emplois va déboucher par leur remplacement par des « machines intelligentes », d’où la mutation en cours des modalités de productions qui nous oblige à repenser le travail. Le caractère répétitif de certaines tâches est propice à la robotisation tandis que la croissance folle connue jusqu’à présent débouche sur une dégradation de la planète. L’objectif est donc de valoriser une économie de la néguentropie qui va lutter contre le désordre, la dissipation de l’énergie et toutes les formes de gaspillages générés dans le cadre du capitalisme néolibéral. A côté de l’entropie matérielle et énergétique, l’entropie mentale des populations est tout aussi inquiétante. » Le quotient intellectuel de l’humanité baisse actuellement y compris chez les cadres supérieurs,  nous dit B Stiegler. L’économie capitaliste verte est aussi une illusion et une erreur, ajoute-t-il, il faut prioritairement redistribuer de la valeur pour ceux qui produisent de la néguentropie et concourt au développement de l’intelligence collective. »

Le mythe de la croissance et du plein emploi a la vie dure. Sauf pour Benoit Hamon qui en a parlé trop succinctement, la disparition à venir des emplois a été niée par les autres candidats à la présidentiel. Comment le travail peut-il donc être redéployé ? Pas de solution miracle. Un projet et une mise en œuvre d’ensemble sont nécessaires selon les actions suivantes : penser la ré-industrialisation, protéger l’emploi dans l’immédiat, mettre en place une économie de transition sur le long terme (ce qui n’est pas la priorité des décideurs actuels obnubilés par le cours terme), expérimenter localement cette transition, créer les conditions de cette recherche contributive et du développement de l’intelligence collective, càd en un mot, concevoir une disruption à la française.  

Avoir un travail auquel on adhère et qui nous enrichit par son utilité sociale, c’est quoi ? Et en quoi la crise actuelle en détruit le sens ? 47 % des emplois sont automatisables selon le MIT du Massachusetts. En fait, ces emplois sont prolétarisés. « La prolétarisation, c'est quand vous servez le système, et que ce n'est pas le système qui vous sert ». Il faut donc un débat de fond à propos du travail non prolétarisé qui produit du savoir et de l’intelligence. En attendant, il faut protéger les emplois, tant qu’on le peut, pour solvabiliser le système et sauvegarder les personnes. En parallèle, il est nécessaire de penser et expérimenter son évolution vers une économie et des travaux contributifs.

En ce sens, la proposition d’un revenu de base n’est pas la solution car il peut devenir une allocation de survie dans le dénuement. En France, le maintien de millions de pauvres (1 personne sur 7), survivant avec un revenu de base, ne pourrait que plomber le dynamisme et la prospérité du pays, dégrader le climat social, fracturer les territoires et compromettre le développement de l’intelligence collective.

La technologie qui va plus vite que la conscience de ce qui se passe dans la société n’est pas soutenable. Il faut donc constituer une vraie culture territoriale des dynamiques économiques. Cela est indispensable car l’Europe est  éco-systémisée, en d’autres termes cadenassée par Google et les autres GAFA. Pour cela, il faut construire une frontière européenne. Sur un territoire, sans une frontière solide de celui-ci, il n’est pas possible d’avoir une politique cohérente pour plus d’harmonie en son sein. Des flux incontrôlés des personnes, marchandises et  finances mettront en échec celle-ci.

Des propos d’Arthur de Grave.  Seul Benoit Hamon a parlé de revenu universel, mais réduit à un projet d‘évolution des minimas sociaux. Sa proposition de taxe robot a été aussi tronquée par des médias paresseux, incompétents ou malhonnêtes ?  Ainsi on les a entendus vanter les pays  à un faible taux de chômage et fort de taux de robots, ce qui ne constitue pas une corrélation pertinente pour les prendre en exemple car l’un et l’autre sont possibles avec l’existence d’une cohorte importante de travailleurs vraiment pauvres, ce qui n’est en rien bénéfique à moyen et long terme pour une économie (voir plus bas).   Par ailleurs, Benoit Hamon n’a pas proposé une taxe contre les robots en place, mais une taxe utile pour gérer une transition socioéconomique. Elle ne viserait pas les robots dans les usines mais ceux qui impacteront les emplois « algorithmiques » du tertiaire. Le numérique et l'automatisation pèsent davantage sur la qualité des emplois restants que sur leur quantité. L’automatisation tend à aggraver la pauvreté et les inégalités plutôt que le chômage lui-même. Dans notre système socioéconomique, chacun pour vivre a a besoin de trouver un emploi même peu rémunéré, et cela dans le cadre et malgré une automatisation grandissante. On peut donc avoir un chômage bas et une forte robotisation comme actuellement en Allemagne où il y a une frange importante de travailleurs payés au minimum vital.

Enfin, Arthur de Grave nous explique une croyance  pernicieuse : la baisse le coût du travail pourrait booster l’innovation et l’activité économique. Ce qui est faux, des études en montrent le contraire. La hausse des salaires est un aiguillon pour produire différemment de la valeur. La mécanisation en a été par exemple le fruit.  Lors des révolutions industrielles, là où les matières premières étaient abondantes mais où le travail de la main d’œuvre était couteux, les innovations sont apparues (dans le textile par exemple). Dans la Rome antique, au contraire, il était peu nécessaire d’innover car de nombreux esclaves étaient corvéables à merci.