Je me suis pâmé

Publié par bstiegler le 9 Septembre, 2010 - 11:04
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« Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de Bohémiens qui s'étaient établis à Rouen. Voilà la troisième fois que j'en vois. Et toujours avec un nouveau plaisir. L'admirable, c'est qu'ils excitaient la Haine des bourgeois, bien qu'inoffensifs comme des moutons. Je me suis fait très mal voir de la foule en leur donnant quelques sols. Et j'ai entendu de jolis mots à la Prudhomme. Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et de complexe. On la retrouve chez tous les gens d'ordre. C'est la haine qu'on porte au Bédouin, à l'Hérétique, au Philosophe, au solitaire, au poète. Et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m'exaspère. Du jour où je ne serai plus indigné, je tomberai à plat, comme une poupée à qui on retire son bâton. »
               Gustave Flaubert à George Sand, le 12 juin 1867

merci à Isabelle Waternaux de m'avoir adressé cette citation

Bonjour,

Bonjour Monsieur Stiegler,

Si l'Histoire ne se répète pas toujours, elle bégaie souvent comme on peut s'en rendre compte à la lecture du texte de cet auteur admirable. Je serais tenté de dire rapidement que rien n'a vraiment changé sinon les moyens mis en oeuvre. Mais c’est ce que nous allons rapidement examiner.

Voici donc ce que m’inspire ce texte mais peut-être aussi sa raison d’être sur Ars Industrialis.

Le ressentiment que dénonce Flaubert est un sans doute plus un réflexe pulsionnel qu’une attitude raciste réfléchie et revendiquée. Cette haine liée à la peur trouve à mon avis ses origines dans les invasions qu’ont eues à redouter les peuples de cette époque. Plus particulièrement un monde rural longtemps exposé aux pillages et aux exactions des bagaudes, puis plus tard des bandes d’écorcheurs anglais et autres bandits de grands chemins qui avaient mis le pays à sac plusieurs siècles durant. Sans parler de la brutalité des collecteurs d’impôts.

Car, même si au XIXème siècle, émerge un racisme et un antisémitisme cette fois organisés  et se donnant des objectifs et des moyens, celui ci est avant tout le fait de quelques sociétés secrètes composées d’une frange de la bourgeoisie d’alors (un patronat puissant issu d’une industrialisation massive de l’Europe), d’illuminés et d’attardés mentaux (le dit patronat pouvant cumuler toutes ces fonctions) ne disposant pas de l’arsenal médiatique d’aujourd’hui.

A cette époque la manipulation des foules, aujourd’hui efficacement relayée par les médias, ne connaissait pas et pour cause les "succès" qu'elle connut hier en engendrant les horreurs nazies et staliniennes notamment.

Le contexte de l’époque était aussi tout différent. 1867 est la 15ème année du règne autocratique du putschiste Napoléon III, qui après quatre années en tant que 1er président de la République, décide de devenir Empereur des français. Il n’était pas assuré de se voir reconduit pour un second mandat de quatre ans.

Victor Hugo avait d’ailleurs écrit un joli petit pamphlet à l’encontre de ce personnage. Il circule encore sur la toile de nos jours. Ce texte savoureux épouse admirablement les contours politiques de l’actuel chef de l’Etat. Cela signifie t’il pour autant que fin 2011, doutant de sa réélection, le cher homme revêtirait la défroque de « Badinguet »? Personnellement je n’y crois guère. Il existe des moyens plus « subtils » pour se maintenir au pouvoir.   

À présent, sans aller jusqu'à penser qu'on est sur le point de revivre une nuit de cristal à l'encontre des minorités qui peuplent la France, il faut bien reconnaître que les choses ne s'améliorent guère pour certaines ethnies. Ainsi, cette haine de l'Autre est actuellement instrumentalisée au moyen de bonnes vieilles recettes de manipulation et à seule fin de s'assurer un triomphe dans les urnes en 2012. Edward Bernays serait enchanté de constater que son "Propaganda" tient encore le haut du pavé. C’est très dangereux d’ouvrir une telle boîte de Pandore à seule fin de conserver ou d’acquérir le pouvoir. L’intéressé en est-il conscient? J’avoue l’ignorer.

Le racisme dénoncé par Flaubert préexistait à l’ère industrielle. Il se rencontrait d’ailleurs au Moyen Age lorsque Saint Louis fit porter aux juifs une rouelle jaune afin de les distinguer des autres personnes car il les soupçonnait d’être les alliés des musulmans contre lesquels il guerroyait alors. Mais ce qui fait la différence entre l’époque médiévale, la bourgeoisie du XIXème, le témoignage de Flaubert et l’époque actuelle, ce sont les moyens mis en œuvre pour diffuser et utiliser la discrimination à des fins électorales. Il n’y a rien de commun entre le texte d’un Flaubert qui dénonce les mœurs bourgeoises délétères de son temps et un président aux abois, en raison de sondages qui ne lui sont guère favorables, usant de détestables moyens pour conserver son « royaume ».

Certes, le texte de Flaubert est agréable, délicieux d’un point de vue littéraire, bien construit, engagé et il trouve des échos dans notre actualité franco-française. Mais il n’explique rien de ce qui se passe aujourd’hui, chez nous en France et ailleurs. Je vous sais particulièrement meurtri et ulcéré par ce qui se trame aujourd’hui. Sans doute, à votre place, aurais-je fait de même en insérant un texte de cette teneur. Pourtant, cette lettre à George Sand, isolée de son temps (pour la personne qui ignore tout du XIXème), confère au contexte politique et aux personnes de notre époque trouble, un manichéisme que je trouve malvenu.

En effet, le problème posé par les Roms installés en France plus ou moins légalement est complexe par ce qu’il comporte de réactions épidermiques, par les moyens employés et déployés, par l’incessant rappel à une Histoire douloureuse, par ce qu’il touche de sensibilités, par le questionnement qu’il soulève.

Néanmoins, j’ai eu l’occasion de voir un reportage télévisé sur TF1 (grand guru de la manipulation devant l’Eternel, presque tout le monde le sait) où l’on voit une femme du peuple Rom, installée en Roumanie, expliquer qu’elle s’y trouve depuis quelques mois car reconduite à la frontière par la France moyennant une somme de 300 euros. Ne travaillant pas, elle disait percevoir de l’état roumain une allocation de 10 euros par mois. Cette dame affirmait gagner cette somme quotidiennement, en France, en s’adonnant à la mendicité. Elle faisait part en outre de son désir de revenir en France le plus rapidement possible pour pouvoir profiter des subventions et des différentes aides sociales et allocations dispensées par notre pays.

Et c’est ici que transparaît tout l’art manipulateur de la chaîne la plus regardée de France (on se demande encore pourquoi) et dont les intrications étroites avec le pouvoir ne sont plus à démontrer. Que va dire un ouvrier en visionnant ce spectacle ? Eh bien que le gouvernement a raison, qu’il faut continuer les reconduites. Et là encore, le problème est des plus complexes. L’ouvrier est-il fondamentalement raciste anti-Rom ou anti-minorités ? Fondamentalement non. Seulement, il en a sans doute assez de se lever pour aller se faire exploiter par un patronat sur lequel il n’a aucune emprise, et payer impôts et taxes qui seront, entre autres, distribués à des personnes sans qu’il ne leur soit rien demandé en échange.

L’ouvrier souffre de cette situation, il souffre au travail par ce que lui dicte un patronat  âpre au gain, prêt infliger à ses employés toutes les bassesses et les ignominies pour gagner encore plus d’argent. Il souffre de l’incertitude du lendemain, il ne sait pas ce qu’il va devenir dans les années qui viennent. Il ne sait pas s’il pourra maintenir son niveau de vie actuel, si ses enfants auront une situation plus enviable que la sienne. Ca, le gouvernement le sait. Il sent venir le mécontentement et pour détourner cette colère qui monte, il sème des leurres. La reconduite massive des Roms en est un. Un autre est le discours sécuritaire du Président. Dénoncer les Roms et les reconduire à la frontière, mettre en place  la déchéance de nationalité pour certains criminels de droit commun, sont des stratégies de diversion. Vont-elles faire de la France un pays épouvantablement raciste à l’image de l’Allemagne nazie de 1933 ? Je ne le crois pas. Mais elles sont particulièrement inefficace pour améliorer la sécurité des français. En effet, cinq cents ou mille Roms renvoyés au pays, vont-ils rendre les statistiques de la criminalité plus glorieuses ? De même la pensée d’être déchu de la nationalité française va t’elle retenir la main d’un criminel qui s’apprêterait à tuer un représentant de l’ordre ? Comment peut-on imaginer comme plausible ces perspectives ? Qui d’ailleurs est réellement dupe de ce qui se joue sous nos yeux, sinon le maintien au pouvoir d’une personne dépourvue de la stature qu’exige sa fonction mais prête à bouleverser les fondements mêmes de notre démocratie ?

Alors sont ce vraiment les français qui sont racistes ou sont-ils une fois de plus victime de manipulateurs sans scrupules ? 

Amicalement.

D. PASTOR

             

Les journalistes ne croient pas les mensonges des hommes politiques, mais ils les répètent, c'est pire.

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