Hypermatière

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Hypermatériel est un terme qui tente de penser ce qui a été dénommé à tort l’immatériel (notamment par André Gorz). Il faut se défaire de l’idée que les technologies cognitives et culturelles sont immatérielles : l’immatériel n’existe pas. La matière, devenue flux, est de moins en moins solide, elle n’en est pas pour cela immatérielle, et il faut au contraire en outre de plus en plus de matériels pour la transformer.
 
Quand on parle d’immatérialité, on tente de désigner inadéquatement l’invisibilité de la matière, ou, plus profondément, on tente de réfléchir sur ce qui a considérablement bouleversé notre vision de la matière, à savoir la maîtrise relative de sa vitesse. Parler d’hypermatériels et d’ypermatérialité, c’est rappeler que ce qui est en jeu aujourd’hui est la maîtrise de la matière-énergie dans ses moindres états et à toutes échelles, non la supposée immatérialité de l’information. Le propre d’une technologie de l’esprit, qui est de produire des effets sur un esprit, n’est évidemment pas son « immatérialité ».
 
L’information est un processus ou se produisent des états de matière par l’intermédiaire de matériels, d’appareils, de dispositifs techno-logiques qui contrôlent ce processus aux échelles du nanomètre et de la nanoseconde  - où ce n’est pas seulement ce qui duplique qui est matériel, mais aussi ce qui est dupliqué. En-deçà ou au-delà du couple de la matière et de la forme, par-delà l’hylémorphisme (Simondon1), ce qu’il s’agit de penser aujourd’hui avec le concept d’hypermatière, est le couple de l’énergie et de l’information.
 
Il n’y a ni société « post-industrielle », ni « économie de l’immatériel », bien au contraire : tout est de plus en plus industrialisé, c’est à dire aussi matérialisé – mais à un point tel que cette matérialisation engendre des phénomènes complexes et relationnels entre niveaux de matérialités (en particulier comme production de rétentions tertiaires) que nous disons donc hypermatériels. Dans ce contexte, ce ne sont plus seulement l’exploitation des énergies naturelles et la transformation des matières premières qui sont industrielles : c’est la cognition, c’est le façonnage des comportements individuels, c’est la culture commune. Dans l’économie de l’hypermatériel tout devient industriel, y compris la reproduction des vivants humains.
 
1 Toute l’œuvre de Simondon peut se lire comme la tentative de dépasser l’hylémorphisme (du grec : hylè, matière, et morphè, forme)