Hors l'échange point de salut ?

Publié par fdidion le 3 Decembre, 2008 - 22:08

 

 

 

C’est seulement il y a 6 mois que je me suis rendu compte que tout ce que je cherchais depuis 30 ans au moins, dans des expériences tâtonnantes dont je ne parvenais pas a définir le but, doit avant tout être caractérisé comme une logique de socialisation non fondée sur la contrainte et non fondée sur l’échange. Logique en laquelle puisse s’enraciner un processus par lequel il serait possible de satisfaire tous nos besoins et de déployer toutes nos facultés de création si d’aventure cela devenait un jour souhaitable. Un processus enraciné aussi dans l’essence profonde de notre être comme s’est enraciné en l’humain le processus fondé sur l’échange qui nous a menés en à peine 10 000 ans de la pierre polie, la graine semée et l’enclos à bêtes à la bombe atomique, l’ordinateur et la prolétarisation des loisirs. Le devenir à très long terme n’a pas d’importance en lui-même, mais le fait de pouvoir le ressentir maintenant comme bon et beau est déterminant dans notre bonheur de vivre. Dans le but de relier d’éventuelles expériences à une pensée cohérente, j’avais l’intention d’écrire tous les 3 mois une petite synthèse sur un aspect particulier de cette affaire, ce que je ne manquerai probablement pas de faire si par bonheur la moindre brise vient regonfler ma motivation. Le premier texte est une introduction à l’ensemble du sujet. Je remercie Ars Industrialis de me fournir la possibilité de le publier, protégé par une licence Créative Commons, et accessible à quiconque voudrait le chercher sur la surface de la planète.

 

 

Cahier d'euchrèsiologie - 1 -

Janvier 2009

 

Dans les affaires de l'humanité, la prédation a probablement été longtemps le principal facteur de satisfaction, comme elle l'est toujours dans les autres espèces animales. Et puis l'humain a inventé l'échange et l'artifice d'un certain sentiment partagé de propriété qui accompagne nécessairement l'échange.

Idée bienfaitrice! De grandes satisfactions en découlèrent. Surtout que d'autres inventions sont venues s'y conjuguer : outils, monnaies, machines, organisations diverses, science économique ... et des millions d'autres inventions, petites et grandes.

Revers de cette belle médaille : le sentiment de propriété en question n'est pas toujours partagé spontanément et le coût de ce désaccord initial est parfois exorbitant! Que l’on songe aux destructions survenues pour établir un titre de propriété, aux pertes irréparables, au long des siècles, advenues pour l'idée d'un droit sur un sol ! L’esprit d’échange ne s’accorde pas avec l’esprit de prédation brute et la propriété de ce que chacun échange est fort mal assurée quand c’est sur la base d’une prédation initiale que chacun prétend l’établir. Laissons à nos amis économistes le soin de perfectionner les techniques de l’échange, en bonne coordination avec nos amis philosophes qui ont la charge de l’hygiène des idées consubstantielles à ces techniques.

Les travaux à mener ici, et la vérification par l’expérience de leur validité, permettront peut être de suggérer des directions dans lesquelles les efforts des philosophes et des économistes seraient bienvenus (1) pour débarrasser l’échange de ses effets indésirables, démultipliant ainsi les bienfaits de cette source de satisfactions. Bien que cette question soit essentielle, urgente et vitale, elle est hors de notre sujet.

C’est à une source de satisfactions bien différente que sont consacrés les présents cahiers. Il s’agit de la satisfaction qui vient à un individu quand il la reçoit d'un autre. Quand cet autre fait usage de ce dont il dispose pour produire un don d'amitié, un signe d’adoption personnelle, quand il se fait le passeur d’un cadeau de la vie. Le lait de la mère, le tricot de la grand-mère, la table dressée pour la famille, pour les amis, la musique ou l’histoire que l’on fabrique, à partir de ce qui nous a réjoui ou tourmenté, pour en réjouir d’autres à leur tour et prendre plaisir à ce partage … les façons d’inviter l’autre chez soi sont infiniment variées.

Qu'est-ce qui manque à ce mode de production pour satisfaire tous nos besoins, pour actualiser tous nos potentiels de créativité? (L’intention de la question est d'ouvrir un angle de vue, non de combler le manque! On peut poser la même question à propos du mode de production conjugué à l’échange. Les réponses seront tentées plus tard, proposons seulement cette remarque au passage : tout besoin est un besoin de sécurité et de paix, quant à nos potentiels de créativité, ils peuvent aller bien au-delà.)

Faire la vaisselle, tondre la pelouse, sont des actes de production issus de la volonté de faire famille, des travaux qui ne débouchent pas sur un échange, mais sur l'association à une production commune, durable dans le cas d'une famille, plus éphémère quand il s'agit de la société que représente une sphère d'amitiés mais, dans tous les cas, il est ici question de produire ce que l'on veut, non de produire pour obtenir autre chose en échange.

La définition de notre sujet n'est pas aisée, puisqu'elle est orientée vers des virtualités non encore réalisées. Disons: faire usage de ce dont on dispose pour produire ... et attribuer ce qui est ainsi produit à l'usage de ceux qui produisent d'autres choses, dans l'intention de s'associer à eux pour faire avec eux société, c'est à dire une production commune qui s'offre à tous et à chacun mais ne s'échange pas. Les idées en œuvre ici, et dont on verra plus loin de quel étrange cheminement elles semblent sortir, sont comme des graines dont on ne sait à quels arbres elles correspondent, et on n'a, pour le savoir, pas d'autre possibilité que de tâcher de leur trouver une terre.

Une société commence à se constituer quand des humains fabriquent des objets pour d'autres humains. Deux appétits sont en cause: le désir d'obtenir ces objets, que l'autre sait faire, et le désir de réaliser cette aptitude sentie en soi de faire société avec d'autres du fait de ce que l'on sait faire soi-même. L'histoire de l'échange, qui est peut-être aussi l'histoire de l'humanité depuis le néolithique, semble avoir privilégié l'appétit pour les fruits de l'industrie de l'autre; le fait de faire société avec lui et avec tous ceux qui lui sont connectés par le réseau d'autres échanges est un bénéfice secondaire, mécaniquement généré par le processus de l'échange dans le milieu culturel et politique environnant. C'est l'idée d'un processus exactement symétrique par rapport à ces deux appétits que nous avons le projet d'étudier, non seulement dans les limites où il se manifeste à présent, mais aussi dans les domaines où une volonté délibérée pourrait le faire s'exercer. Ainsi, le titre de ces pages pourrait être : "plan des travaux nécessaires pour fonder une histoire ayant à sa source en chacun l'appétit de faire société avec la communauté de ceux qui pourraient bénéficier d'une de ses compétences, tout en recevant les fruits de l'industrie des autres comme des bénéfices secondaires tout à fait bienvenus". Trop long pour un titre.

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POUR COMMENCER, LE PALEOLITHIQUE

(que Germaine Tillion proposait avec esprit de renommer le "paléopolitique", ce qui nous autoriserait à baptiser notre étude prospective du nom de "néopolitique", pour la situer dans la continuité de cette époque d'avant l'échange, et lui imaginer un autre rameau que ce néolithique qui en est issu jusqu'à notre présent.)

Au commencement, les seuls outils dont dispose l'humain sont ceux que lui offre son corps. En cela, il partage la condition animale qui fournit la patte ou la jambe pour le déplacement, la gueule ou la main pour la préhension, la peau pour délimiter ce qui est lui de ce qui est le monde extérieur, la dent pour ... bref un ensemble d'outils qu'il a reçus et adoptés pour accomplir l'ensemble des volontés qui le constitue.

Puis apparaît la volonté de produire un outil autre : le feu, la pierre, dont les potentiels dépassent la fonction pour laquelle ils ont été imaginés puis réalisés, et dont l'emploi ouvre des volontés nouvelles. Les volontés nouvelles suggèrent d'autres productions d'outils, puis de machines, puis de fabriques où les individus humains sont reliés en entreprises constituées par une volonté commune de produire des instruments de satisfaction et d'accomplissement de volontés sans cesse renouvelées par la dynamique de toute cette industrie humaine.

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NOYAU LOGIQUE POUR UNE PENSEE DE LA PRODUCTION

Pour mettre en forme la problématique de notre affaire, nous distinguons dans tout cela quatre éléments de base, et deux questions existentielles.

I      Quatre éléments:

          E1    un humain

          E2    une machine :  qui est par elle même un objet produit et dont le fonctionnement contribue à la valeur de l'objet fabriqué ;

          E3    une entreprise : ensemble d'humains associés en vue d'une production définie;

          E4    une fabrique :   ensemble des outils, des locaux des machines et du matériel nécessaires à une entreprise

 

II      Nous tentons de caractériser les logiques de composition de ces éléments de base, en espérant dégager une perspective pour décrire les civilisations passées présentes et à naître, par les réponses à deux questions:

          Q°1    à qui est destiné l'objet fabriqué par l'entreprise ?

          Q°2    qu'est-ce qui motive la participation de l'humain à l'entreprise ?

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LOGIQUE DE L'ATTRIBUTION - LOGIQUE DE L'ECHANGE

Des encyclopédies gigantesques peuvent prendre ces deux questions pour centre. Notre propos est plus modeste, et vise à distinguer deux catégories de comportements humains spontanés qui leur font écho :

Dans la première catégorie, les réponses sont inspirées par la volonté de faire jouir l'autre de ce que l'on fait. Nous avons ici la base d'une logique que nous appellerons, faute d'un meilleur mot, logique d'attribution. C'est dans l'intention d'attribuer l'objet fabriqué, à quelqu'un, pour qu'il en jouisse, que l'action est menée (par exemple, le repas préparé).

Dans la deuxième catégorie, c'est la volonté de jouir de ce que l'autre nous donne en échange de ce que l'on a fait qui inspire les réponses. Logique d'échange, donc, moins immédiate que la précédente, puisqu'elle fait intervenir une Idée de ce que l'autre fait, qui est aussi la recherche d'un pouvoir sur ce que l'autre fait. L'échange étant monétisé, c'est un assez fort degré d'abstraction qui est en jeu : ce qui est acquis en échange est comme une substance que l'on pourrait appeler du Pouvoir à l'état pur, un absolu non conditionné à quelque contingence matérielle que ce soit, et pouvant se relier à toutes. Idée redoutable !

Il est probable que, dans la plupart de nos activités, une superposition de ces deux logiques opère, en proportions variables. C'est donc tout à fait artificiellement qu'elles vont être appliquées aux deux questions initiales, dans un but d'analyse.

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PREMIERE CATEGORIE : LOGIQUE DE L'ATTRIBUTION

 

     Q°1    L'objet fabriqué est destiné à qui est connu pour en avoir l'usage et faire partie d'une société potentielle (virtuelle), plus ou moins actualisée, celle qui naît ou peut naître de son existence et de son ouvrage à lui, conjugué avec le nôtre.

     Q°2    Le motif de la participation à l'entreprise est alors, au delà du bien immédiat que son produit manifeste, le perfectionnement de cette société, le désir de l'affermir.

De la première catégorie est issu le bonheur de vivre en famille, dans un cercle d'amis et dans une sphère de générosité, pour ceux qui ont su défendre ces terres d'humanité vraie dans notre monde.

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DEUXIEME CATEGORIE : LOGIQUE DE L'ECHANGE

 

     Q°1    L'objet fabriqué est destiné à qui saura donner ce qui est attendu en échange.

     Q°2    Le motif de la participation est la rétribution qu'on en attend : travail échangé contre un salaire, ou obtention d'une portion du bénéfice.

De la deuxième catégorie a jailli une dynamique qui a fait les sociétés et les civilisations occidentales, depuis le début du néolithique jusqu'à nos jours. C'est la logique de l'échange qui a rencontré des conditions telles qu'elle s'est trouvée génératrice de notre civilisation occidentale. Cette dynamique se heurte à présent à des limitations :

- Les objets de l'échange sont de moins en moins sources de satisfactions.

- Leur production et leur consommation s'accompagne d'une dégradation environnementale.

- La contrainte liée au travail de production sature la vie de besoins où les besoins et désirs personnels se perdent.

- Une masse d'énergie est détournée vers la tâche d'entretenir la dynamique de l'échange pour elle-même et non seulement pour ce qu'elle offre aux humains ou même malgré ce dont elle les prive. (C'est un phénomène de cette nature que je perçois dans l'étrange culte de "la croissance" qui laisse sous-entendus les paramètres économiques concernés par cette croissance. Le sous-entendu me semble dissimuler un malentendu dont la nature m'échappe : qu’est-ce qui doit croître, qui serait en peine, et pourquoi, si cela ne croissait pas ? ... à suivre ...).

Les modalités de l'échange sont sans doute perfectibles, il est probablement possible d'inventer des régulations pour se protéger des dangers et dépasser les limitations.

Mais la logique de l'échange, dans le monde occidental, a structuré la pensée économique, de telle sorte que cette science oblitère, sous des noms tels que "secteur non marchand", ce qui ressort d'autres logiques, comme lui étant implicitement étranger, voire dérangeant. Ce défaut de pensée a des conséquences présentes, dramatiques, qu'on peut illustrer avec le rapport que Luc Ferry a rendu en 2008 sur la faisabilité d'un service civil jugé par tous les sages très souhaitable, et même socialement nécessaire : impossible de l'envisager car cela aurait des conséquences négatives sur l'économie marchande ! Peut-on ouvrir des voies autres que celle de l'échange pour participer à la constitution des sociétés qui sont en potentiel dans les cœurs des humains du temps présent et de leurs descendants ?

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METHODOLOGIE : OUBLIER PROVISOIREMENT (mais complètement!) L'ECONOMIE

Le monde de l'échange se heurte à des obstacles face auxquels la pensée économique est mal équipée pour protéger l'humain. Cette pensée est par ailleurs mal équipée pour penser autre chose que l'échange. Pour aborder le tout sans faire obstacle à des idées neuves, nous tentons ici de produire librement une autre pensée. Il s'agit de poser à nouveau les questions relatives à l'homme comme individu parmi d'autres individus dans une société, au contact d'autres sociétés dans l'Univers. Il s'agit de poser un regard neuf sur les éléments E1, E2, E3, E4, et les questions Q°1, Q°2, comme les anatomistes de la renaissance posèrent un regard neuf sur les pièces d'anatomie qu'ils voulaient connaître, sans s'interdire de voir autre chose que ce qui était précédemment décrit dans les livres, sans s'interdire d'apporter aux questions des réponses indépendantes des réponses habituelles et routinières.

Tout ceci nous amène à nous tourner vers ce qui est appelé ici "logique de l'attribution", et à nous demander à quelles conditions une dynamique socialisante pourrait en émerger. Cette logique de l'attribution existe dans nos vies, et plus encore dans nos désirs. Qui n'a rêvé d'y voir l'embryon de processus s'épanouissant en mondes ! Et, de fait, d'autres mondes humains se sont épanouis avant que notre civilisation occidentale ne recouvre la terre. L'anthropologie du XXè siècle en a consigné des traces, et noté que certains étaient massivement constitués à partir des comportements que nous avons classés dans notre première catégorie, la logique d'attribution ayant trouvé là les conditions dans lesquelles elle est devenue source d'une dynamique socialisante. Voir les travaux de Margaret Mead et de Bronislaw Malinowski dans les îles Trobriand.

Deux niveaux dans nos travaux à venir : 1) quelles conditions sont à rechercher pour se donner des chances d'observer du nouveau dans le grand arbre de la vie de l'humanité sur terre, au niveau de ce bourgeon que nous avons nommé "attribution", pour le cas où il serait doté d'un potentiel aussi étourdissant que celui qu'a manifesté depuis longtemps le bourgeon nommé "échange" ? 2) Quels outils pour atteindre ces conditions, comment les mettre en œuvre en toute sécurité pour en éprouver la pertinence ?

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HUIT HYPOTHESES A LA SOURCE DES CAHIERS

 

Nous ferons comme si le but poursuivi était l'émergence d'une civilisation épanouie à partir du bon vouloir de chacun. L'exercice est conçu pour explorer la logique de l'attribution à l'état pur. Il ne faut pas confondre les protocoles de ce travail de laboratoire avec une utopie, car, si des connaissances utilisables y sont puisées, à posteriori, à l'usage de la vraie vie, leur utilisation se fera dans des mélanges imprévisibles, selon les exigences du réel, et non celles de "l'état pur". L'hypothèse explorée ici, à la phase qui s'ouvre avec ces cahiers, que l'on prévoit trimestriels, est que huit conditions doivent être réunies. C'est en quelque sorte le cahier des charges adopté pour la confection des outils. Des chantiers sont ouverts pour former ces outils, en évaluer la qualité, et les mettre au service d'une dynamique dans laquelle la motivation pour participer à la production de tout ce qui se trouve bon à faire et à l'invention du meilleur sera de la première catégorie. L'image de référence (Le Mythe?), est celle d'un monde à former au sein du monde présent, comme le monde de l'enfant à naître se forme au sein du monde maternel. Nous reviendrons en détail sur l'aspect matriciel de l'affaire et sur le danger des grossesses extra-utérines.

 

I           La première condition concerne l'entreprise. Il faut être assuré d'un processus 1) reconnaissant toutes les contributions grâce auxquelles des objets sortent de la fabrique, 2) et reconnaissant l'entreprise comme constituée de tous les individus qui font apport de ces contributions, sans exclure ceux qui pour diverses raisons peuvent ne pas être conscients de leur apport, et pourtant prennent part à la valeur constituée,

II           La deuxième condition est dans une exacte représentation de la valeur des objets fabriqués, selon le sentiment de ceux qui en font usage. Le catalogue de ces objets doit être accessible, et présenter des informations pertinentes, qui n'induisent pas une déformation de ce sentiment de valeur. La question de la possibilité d'obtenir les objets catalogués met en jeu

1) l'autorité qui décide de leur attribution,

2) l'abondance ou la rareté de ces objets. Elles ne doivent pas avoir d'influence sur la valeur dont ils vont être qualifiés (alors que l'abondance ou la rareté font la valeur quand c'est du processus d'échange qu'on en attend la mesure).

III           La troisième condition est relative à l'élaboration des choix correspondant aux questions: "à qui est attribuée la production de l'entreprise?" ou "de quelle proportion de la valeur, créée par l'acceptation des objets produits et attribués, la fabrique, les diverses machines et les divers humains qui ont contribué à cette production sont-ils générateurs?" et autres du même genre. Il s'agit de mettre en place des processus qui tendent à générer des instances de décision bien proportionnées avec les décisions à prendre.

IV           La quatrième condition est relative à la disposition de l'outil grâce auquel peut être dite la valeur des objets par ceux à qui ils sont attribués. La mesure de la valeur de ce que j'ai produit nourrit ma capacité de donner une mesure de la valeur de ce qui est produit pour m'être attribué. L'outil doit présenter les régulations nécessaires pour que la capacité de chacun de donner une mesure de la valeur de ce qu'il reçoit soit proportionnelle à la mesure de la valeur donnée par d'autres à ce qu'il leur attribue.

On voit que c'est à ce quatrième point que le devenir de la production tendra à être investi dans un échange (au plus offrant), si elle n'est pas menée dans un contexte d'abondance suffisante. Alors le processus qui aboutit au choix de la destination du produit s'éloigne de la volonté du producteur, attiré vers la mécanique sans âme de l'échange dont la force d'attraction est proportionnelle au degré de pénurie.

 

V, VI, VII, VIII

Plus qu'une question de profusion ou de rareté, l'abondance est une question de qualité du regard porté sur le réel. (Le verre à moitié plein ou à moitié vide !). C'est par le fait de la misère ou d'une régression infantile que la rareté est transformée en pénurie. En attendant une plus solide construction de cette notion d'abondance, notons seulement qu'elle peut servir d'introduction aux quatre dernières conditions pour achever le tableau de cette hypothèse en huit points : l'abondance est accentuée par 5) la stimulation des auteurs de valeur informationnelle, par la reconnaissance de la contribution de ces auteurs à toute production à laquelle leur œuvre participe, 6) la possibilité de duplication sur support matériel d'une information qui a de la valeur, 7) l'éducation et l'enseignement, 8) les services publics qui délivrent chacun du souci d'obtenir ce qui est nécessaire à tous. En conséquences, les outils qui ne favorisent pas l'essor de ces quatre derniers points ou qui au contraire exigent leur restriction sont à rejeter de l'expérimentation.

C'est pour que puisse apparaître le présent texte conformément aux conditions -5- et -6- qu'il est publié sous licence CC - paternité - pas d'utilisation commerciale - pas de modification.

Un des éléments majeurs à garder à l'esprit dans cette exploration est que la valeur d'une information est multipliée par le partage, qui au contraire divise la matière ou l'énergie. L'information ne peut être échangée : ce que je donne, je l'ai encore ! L'information est potentiellement abondante par nature, or cette abondance, pensée dans la logique de l'échange, du marché, tend à faire apparaître l'information comme une production sans valeur. En conséquence, la réaction du marché ne peut être qu’une entrave à l'abondance ... peut on mieux pointer l'évidence de l'intérêt d'une dynamique de socialisation autre que l'échange ? C'est à une (des?) expérimentation(s) que ce premier cahier invite, pour façonner les outils qui pourront peut-être faire advenir ces huit conditions dans un espace et un temps défini. La frontière du laboratoire à construire devra bien être identifiée comme passant à l'intérieur même de chacun des individus qui désirera vivre cette expérience. Il est probable en effet que les attitudes, les sentiments, qui conviennent ne soient pas les mêmes d'un côté ou de l'autre de cette frontière : l'art de profiter de l'autre (en toute justice et équité!) ou l'art de faire profiter l'autre de soi dans la société de ceux qui savent vous faire profiter d'eux (en sachant ne pas s'engager dans cette voie avec excès).

Peu de gens ont prise sur le cours des fleuves que sont nos sociétés. Mais seuls les individus, comme des gouttes autonomes, qui ont une marge de manœuvre indépendante de leurs activités marchandes de production et de consommation sont concernés ici. La conjugaison de ces autonomies peut elle être un ferment pour la constitution de ruisseaux coulant vers d’autres fleuves, dans un très lointain futur ? Et de l’idée de ces autres mondes à constituer ne peut-il venir quelques bons principes applicables au pilotage de notre monde présent ? Peut être non et non, peut être oui et oui … comme il ne peut être question de jouer avec des idées pures, mais d’abord d’acquérir une connaissance sensible, il va maintenant être question d’explorer les moyens de mise en place de structures inédites, pour relier les gouttes individuelles sur le chemin de la créativité et du désir de chacune. Notons tout de même que si comme quelques uns le craignent le monde marchand moderne s’effondrait, on pourrait se féliciter d’avoir acquis si peu d’expérience que ce soit d’une autre façon de faire sociétés.

Les expérimentations devront être conduites avec rigueur, modestie et mesure, sans précipitation, avec un début et une fin bien définis, et un équilibre interne selon lequel les satisfactions ne soient pas attendues hors des limites de l’expérimentation. L'expérience doit venir en son temps, mais hors la perspective de l'expérience, l'intérêt que l'on pourrait trouver dans ces pages a toutes chances d'être malsain. Nous voilà au moment où chaque lecteur peut se poser la question de savoir ce qu’il aurait plaisir à produire, dans une société limitée dans l’espace et dans le temps, dans une matrice où puissent croître les sentiments d’une civilité à venir.

Habiller l’autre, nourrir l’autre, loger l’autre, … le soigner, l’instruire, … est-ce impensable dans un monde où il devient urgent de ne plus trop faire d’enfants, et où cette fonction subsidiaire que nous exerçons vis à vis d’eux devient vacante ? Ce qui passe à l’ordre du jour, c’est la procréation d’une autre société, pendant qu’il faut prendre soin de la société présente, mais certes pas la reproduire. Une fois la réponse trouvée, et la production éprouvée, chaque lecteur peut reprendre sa lecture.

Quand nous aurons cessé de nous battre, bec, ongles et griffes, au hasard de la moindre miette aperçue, avec force politesses hypocrites et parades de morale dissimulant le poignard ; quand nous aurons contacté un autre ferment, en nous-mêmes, alors nous pourrons, comme humanité, mettre à notre service la puissance des machines que pour l’heure nous servons comme on sert des Idoles, échangeant des miracles spectaculaires mais sans âme contre des sacrifices humains.

Ce n’est pas pour demain. Cependant, il peut se trouver que quelques petits pas soient possibles à faire dès aujourd’hui pour quelques uns et que la perspective de la randonnée à travers les siècles enchante chacun de nos pas de promeneurs sur terre. Pour cette raison, j’essayerai d’explorer et d’expliquer quelques aspects de cette idée d’une puissance accessible à l’humanité hors du champ de l’échange, sous l’angle de l’éducation et de la pédagogie, de la santé, des tenants et aboutissants de ce qui est nommé ici "attribution", de la mesure de la valeur, et sous l’angle de chacun des outils dont il faut forger la structure et découvrir les possibilités d’emploi pour atteindre les objectifs évoqués ici.

 

À bientôt,                         Francis.                        (francisdidion@hotmail.fr)           

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note (1): On peut quand même dire, bien qu'une démonstration de cette proposition ne soit pressentie que pour plus tard, que dans les mutations du monde marchand et du système monétaire qui surviendront, il faudra que soient constituées des régulations telles que la marchandisation progressive de toute activité ne soit plus une nécessité pour le bon fonctionnement du système, et que les transformations entre monde marchand et non marchand puissent se faire dans les deux sens sans altérer l'harmonie de ce système. Sans cette souplesse, des "crises" continueront de survenir régulièrement. On peut rêver que les ajustements qui suivront la crise financière de cet automne 2008 soient un pas vers ces bonnes régulations.

On peu revenir sur un système

On peu revenir sur un système épuré, il faut d'abord se séparer des parasites et je parle du haut de la pyramide notament, puis de ceux qui pensent en faire partie ensuite, puis en suivant réapprendre à ceux qui y croient
le même système nettoyé des interférences usant de la libido et des collections de hiérarque spécialistes de la tutelle, serait tout à fait agréable et l'humain reprendrait la position centrale. Quant à aider loger ou nourrir l'autre en contrepartie des enfants que l'on a pas, ou n'auras pas, c'est le bon sens même, on peu même penser à se mettre à plusieurs pour assurer l'éducation la formation et la solidité des adultes de demain.
Mais c'est un exercice périlleux car l'enfance devra garder la possibilité de l'arbitrage affectif.
Cela nous place dans une dimension collectiviste, et le système actuel fait tout pour diviser....par la production notamment en présentant n'importe quel produit comme des innovations nécéssaire au portage du progrés.
Difficile mais pas infaisable, il faut commencer en balayant devant sa porte et en défendant son point de vue en entreprise par exemple en récusant les lettre de motivation et cv standardisé et ne révélant aucune personnalité ou engagement, mais pour cela il faut se retourner contre la facilité et le consensus mou, ici on le sait. Le fait tu dans la vie voila la question ? Et si oui comment t'y prends tu?
L'application et les petits combats du quotidien sont trés loin de la théorie intérressante que tu nous offre là, je pense en rigolant déja si je me lancais dans l'explication de ce que tu nous à produit avec mon voisin, je crois qu'il me donnerait à gouter de son fusils avant la fin de la lecture.
Enfin c'était intérréssant et mon "Que veux tu dire s'adresse à la mise en pratique".
Salut à toi.

PS je pense aussi que ta définition de l'échange est mauvaise, pour suivre de prés les marchés financié, je sais que la prédation est simplment organisée et cadrée voir je dirais protégée par la loie.

cedrik.fourrier

Bien d'accord avec toi

Bien d'accord avec toi Cédrik, le même système (tu veux dire le système en place à présent!) nettoyé ... serait tout à fait agréable ... mais précisément : comment le nettoyer ?
C'est le point de départ de ma réflexion.
"Trouver de nouvelles armes"! Comme le dit Bernard Stiegler. En même temps mon goût va aux armes simples et compréhensibles, qui peuvent être transmises à tous les citoyens et prennent avec chacun une forme différente qui se conjugue à son identité particulière (processus d'individuation!). Mais je préfère parler d'outils plutôt que d'armes, il n'y a pas que la guerre dans la vie!
"...on peut penser à se mettre à plusieurs pour assurer l'éducation..." j'aime cette idée et je suis tout prêt à prêter de ma fibre paternelle à l'occasion!
Le "péril" du "collectivisme" c'est le fait de vouloir imposer le collectif. Comme tous les ...ismes c'est un effort désespéré, maladroit et brutal qui accompagne une insensibilité au collectif existant ou qui peut exister. Un collectif pour être vivant doit naître sans violence.
Je suis conscient du fait que le sujet de mon exposé est très loin des petits combats quotidiens.
Je pense qu'il n'est guère possible de parler ou d'écrire sur la "mise en pratique" de ce que j'ai présenté dans mon billet.
Je pense que ce n'est pas une bonne idée de le lire à ton voisin.
Par contre, je crois qu'il peut exister ici ou là des occasions de mise en pratique, simples, toutes bêtes, évidentes, de par les outils que j'ai esquissés, mais dont je n'ai pas abordé l'exposé dans mon billet. La notion de frontière, de matrice, y est essentielle. Dans mon billet je ne fais qu'évoquer le cahier des charges auquel ce genre d'outils me semble devoir répondre, et seule l'expérience peut montrer s'ils ont les qualités attendues.
Dans ton PS tu dis que ma définition de l'échange te paraît mauvaise ... moi, j'avais l'impression de ne pas avoir posé de définition de l'échange. C'est d'ailleurs une lacune et je suis preneur pour une bonne définition. La question des définitions est toujours délicate. Affaire d'"individuation psychique et collective" dirait Bernard Stiegler!
Bien à toi, et bien à tous, Francis.

Francis.