Anamnèse/hypomnèse (Mémoire)

 

Anamnèse. Issu du grec ána (remontée) et mnémè (souvenir), ce terme signifie réminiscence, que l’on traduit aussi par ressouvenir. On distingue deux dimensions dans la mémoire: l’enregistrement que les Grecs appelaient « mnesis » et les Latins « memoria », et la remémorationque les Grecs appelaient « anamnesis » et les Latins « reminiscientia ». Enregistrer ne suffit pas, il faut ensuite faire remonter ou revenir ce qui a été enregistré.

 

Hypomnèse. Ce terme désigne la mémoire de rappel et toutes les techniques de mémoire : les aide-mémoires, exercices et autres « arts de la mémoire », aussi bien que les enregistrements matériels de toutes sortes qu’on appelle les hypomnémata.

 

Cette opposition parcourt l’histoire de la philosophie (de Platon à Derrida, etc.) et engage le statut de l’écriture – dont le numérique est le dernier stade. Contrairement à Platon, nous distinguons, mais nous n’opposons pasces deux mémoires. Il n’y a pas d’anamnèse sans hypomnèse, la condition de toute mémoire vive (anamnèse) est qu’elle puisse se projeter hors d’elle-même (dans des hypomnémata) pour dépasser sa finitude, se nourrir et se transmettre.

 

L’enregistrement seul est une mémoire morte, et la remémoration, requise par la lecture par exemple, est typiquement une activité qui ne peut être entièrement déléguée et agencée sous une forme technique. A l’heure où la mémoire (prothétisée) est définitivement en train de changer de support et de milieu, Ars Industralis réfléchit aux conditions politiques, économiques et technologiques d’une  réarticulation de ces deux faces de la mémoire.

 

Où se loge la mémoire ? Tout l’enjeu est de comprendre que l’on ne peut plus répondre « dans la tête », et d’en tirer les conséquences philosophiques, économiques et politiques. À la fin du XVIe siècle, dans son Iconologia, consacrée aux images des « choses qui sont en l’homme même et inséparables d’avec lui », Cesare Ripa donne à Mémoire un double visage, avec une plume en la main droite et un livre en la gauche. Ainsi, la mémoire (individuelle et sociale) n’est pas seulement dans les cerveaux mais entre eux, dans les artefacts. La mémoire n’est pas interne : elle est essentiellement un processus d’extériorisation. Ma mémoire n’est pas ma mémoire. Comme l’écrivait Paul Valery :

 

« Les pensées que l’on garde pour soi, se perdent ; l’oubli fait voir que soi, que moi, ce n’est personne »[1] ; « L’homme est animal enfermé – à l’extérieur de sa cage. Il s’agite hors de soi »[2].

 

 La mémoire, « ce pouvoir des choses absentes », aussi bien que « l’avenir du passé », enferme l’homme au dehors – dans ses hypomnémata.

 




[1]
Paul Valéry, Tel Quel, « Analecta », CXIX, Gallimard, Folio, p. 443

[2]Paul Valéry, Tel Quel, « Moralités », Gallimard, Folio,p. 92.