Faire tout comm'

Publié par aferro le 8 Octobre, 2005 - 18:18
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Faire tout comm'

 

Une société qui vise le consensus à tout prix, qui pose leproblème de la guerre comme pouvant être solutionné par des techniques ettechnologies de communication (de la PNL à la communication paradoxale enpassant par les technologies de l'information et de la communication) répondsans le savoir à un délire moderne qui pense l'homme comme transparent, ouplutôt comme la seule somme de ses activités de communication.


Un homme donc rendu complètement visible, parce que sans intériorité.


D'un point de vue strictement philosophique nous sommes encore et toujours dansl'idéalisme platonicien appliqué à la psychologie, et revisité par la lecturehégélienne de l'histoire et de ses « ruses ».
Cette velléité totalitaire s'attaque nouvellement à l'élément fondamentalementrésistant à son assimilation à la totalité : l'esprit de l'Homme.

 

Après la faillite du projet « purificateur » desnazis et du projet égalitaire du communisme soviétique, tous deux producteursd'une forme de barbarie, avec leur cortège d'horreur et de morts, voici sepointer un nouveau totalitarisme prétendument salvateur, parce qu'à la foisdonnant visibilité à l'individu et organisant les échanges.
Totalitarisme « doux », civilisé, d'une société libérale se méfiantde tout projet politique à long terme. Totalitarisme réactionnel porté à la fois par l'idée que la régulationde la relation entre les hommes serait portée par une possibilité de contrôledémocratique des échanges (fonction cybernétique ou anentropique  de la communication, réductrice dedésordre)  et sur leur facilité dediffusion.

La société serait donc « pacifiée » sans lerecours à la purification raciale et à la lutte des classes, mais grâce à uneutilisation uniformément distribuée de machines à communiquer en tout genre.Pacifiée, donc, par une réduction de l'humanité à ses activités visibles etcommunicables.
Lisibilité, visibilité, voici les maîtres mots de l'idéologie de lacommunication. Dictature de l'image sur l'imaginaire, du visible par rapport àl'invisible, de la forme par rapport au contenu.

Cette société de simplification de l'humain traite la guerre comme le propredes barbares, ou, pour mieux dire, des non-communiquant, de ceux qui agissentdans le secret et sont pour ceci même des « méchants ».

Mais une société qui vise à tout prix la réduction de toutedifférence de fond, pour ne valoriser que la différence de forme à laquelle unemultiplicité d'objets de consommation customisés, est-elle une société depaix ' Elle ne prépare pas plutôt une nouvelle forme, plus souterraine,plus individuelle, de guerre ' Car l'humain est bien évidemment autrechose que sa simple image médiatique. Le Moi ainsi réduit à n'être qu'imagepour exister socialement transforme l'exigence du paraître et du communiquerl'apparence en mise distance de cet autrui qui en jugerait l'extériorité.
L'intimité du Moi s'oppose farouchement à cette réduction mais, faute demanifestation possible, exprime le malheur de ne plus être considéré unealtérité, un « pur soi » de la différence, dans un « poursoi » de l'indifférence à autrui, voire dans la peur de l'autre.
Ou encore dans la peur de la rencontre avec autrui qui ne passerait pas par uncanal de communication mettant cette rencontre à distance et ne la transformantpas en « image », en statique de la rencontre.

La société totalisante du « faire tout comm' » estcelle où, paradoxalement, l'individu communiquant est le plus faiblementrencontrant avec autrui, le plus faiblement solidaire, le plus faiblementresponsable. Car rencontre, solidarité, responsabilité, exigent bien plusqu'une rencontre entre images. Elles exigent le « ça me regarde » duface à face assumé avec autrui, justement au delà de l'image.

La société totalisante du « faire tout comm' » a peur de la guerrecar elle a peur de la confrontation. Elle est incapable, dans le délire duconsensuel par le truchement des techniques de communication, d'envisager unedifférence si irréductible qu'elle ne soit pas réglable et intégrable. Elle estincapable de s'imaginer un ennemi pouvant avoir « ses raisons » delui déclarer une guerre. L'ennemi est nécessairement fou, son expressionactuelle, le terrorisme, son culte du secret, son intégrisme, le prouve !Et peut-être que certains de ses ennemis sont vraiment ceci. Mais une sociétéqui n'est pas capable de voir les « raisons » de son ennemi n'est pascapable de se voir porteuse de valeurs fondamentales non plus. Si tout peut sediscuter, alors il n'y plus de valeur à transmettre qui ne soient pas des valeursconsommables.

Une société visant le consensus, ne voulant pas prendre le risque d'une guerre,est purement et simplement une société qui ne peut pas se produire comme entitédouée d'éthique, qui ne peut pas se produire comme une société douée d'unequelconque dimension de transcendance.
La Loi, dans cette société, ne peut n'être vécue comme autre chose qu'élémentrépressif  par les hyperindividualitésqu'elle produit, en ne pas comme entreprise toujours en train de se faire del'élaboration commune d'un code pour vivre ensemble, malgré nos irréductiblesdifférences.

La pacification par réduction de l'humain à son existencefactuelle, dans un espace d'échange médiatique et réglementé par laconsommation d'objets et de services payants, ne relève pas de la paix, mais dumépris pour l'humanité de l'Homme.

 

 

    Adrien Ferro 10 novembre 2003



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