Pratiques de PowerPoint et transfert des connaissances

Publié par nesposito le 19 Juin, 2005 - 12:15
Version imprimable

[Article paru notamment sur ITRmanager le 10/02/2005 sous le titre En avez-vous assez des présentations PowerPoint ' et disponible à cette adresse : http://www.itrmanager.com/article.php'oid=36037]

Vous connaissez sans doute au moins l'une de ces deux situations.

La première... Vous arrivez en réunion avec votre ordinateur portable (comme tous vos collègues présents), l'un de vous passe cinq minutes à essayer de faire fonctionner le vidéo projecteur, puis il commence sa présentation en faisant défiler des transparents PowerPoint surchargés de texte. Comme vos collègues, vous n'écoutez rien, vous jetez un coup d'oeil de temps en temps sur l'écran pour voir où l'on en est (au cas où quelqu'un vous pose une question) et vous préparez sur votre ordinateur les transparents PowerPoint que vous allez présenter dans la réunion d'après. À la fin, pas de questions, tout le monde se quitte, l'air très satisfait, en demandant à l'orateur du jour : « Intéressant, tu m'enverras ta présentation ! »

La seconde situation... Vous arrivez en amphi et le prof commence à faire défiler les transparents PowerPoint. Quand un transparent s'affiche, vous le lisez rapidement puis vous vous replongez dans la lecture du magazine des étudiants de votre université. La fois d'après, vous ne venez pas en cours car vous avez téléchargé tous les transparents du semestre sur le site Web du prof. En travaux dirigés, il vous demande un exposé. Vous faites quelques copier/coller depuis des présentations récupérées sur le Web et vous maquillez le tout dans PowerPoint. Le jour de l'exposé, vous êtes si fier des transitions entre vos transparents que vous ne vous rendez pas compte que personne n'écoute, pas même le prof. À la fin, il vous dit : « Intéressant, tu m'enverras ta présentation ! »

Comment en est-on arrivé là ' Comment rattraper le coup ' C'est un sujet passionnant. La pratique des présentations PowerPoint (ou autre logiciel du même type) est tellement ancrée dans notre culture contemporaine que l'on ne voit pas vraiment comment faire autrement, comment échapper aux transparents avec listes à puces et petites images. Parmi les études du problème, on peut par exemple se tourner vers celles-ci :

On peut retenir de ces études principalement deux points, finalement évidents :

  1. Le contenu présenté sur des transparents n'est généralement pas développé, c'est en quelque sorte un plan détaillé.
  2. La structure des listes ne rend pas compte de toutes les relations qu'il y a entre les éléments.

Prenons un exemple pour illustrer ce second point. Si l'on a la liste suivante :

  • a
  • b
  • c

On ne sait pas a priori quel sens lui donner. Voici quelques possibilités :

  • a puis b puis c ;
  • a donc b donc c ;
  • a puis b donc c ;
  • a et b donc c ;
  • a ou b ou c.

Mais tout cela est bien pratique... C'est rapide à faire (sauf si l'on passe trois heures sur les animations) et c'est largement ouvert à la discussion. Si l'on vous questionne sur un point, vous pouvez argumenter dans un sens ou dans l'autre en fonction de votre interlocuteur. Et si l'on regrette que votre document ne soit pas plus complet, il vous reste l'une de vos tirades préférées : « Oui mais tu sais, ce n'est qu'un support de présentation... »

Alors posons-nous une question : qui a vraiment besoin de lire des listes à puces en écoutant une personne parler ' Quand le transparent s'affiche, on le lit (plus ou moins vite) et l'on détache ainsi son attention de l'orateur, au moins en partie. Quand le transparent s'affiche, l'orateur peut entrer en concurrence avec ce transparent : il peut essayer de le développer aussi vite que vous le lisez ! Quand le transparent s'affiche, les listes à puces prennent beaucoup de place et les illustrations revendiqueraient volontiers le mode plein écran... Oui mais voilà, ces listes à puces aident l'orateur à structurer son discours et elles aident l'audience à suivre ce discours qui, sinon, pourrait sembler bien confus.

Pour résoudre ce paradoxe, je me suis proposé une petite expérience dans le cadre de mon activité d'enseignement. Au cours des derniers semestres, j'ai alterné cours avec listes à puces et cours sans listes à puces de la façon suivante :

  • cours avec listes à puces : plan du cours, listes à puces, illustrations et la moitié des schémas à l'écran, l'autre moitié des schémas au tableau ;
  • cours sans listes à puces : illustrations en plein écran, pas de listes à puces, plan du cours et tous les schémas au tableau.

Les résultats sont assez nets : lors des cours sans listes à puces, les étudiants sont plus attentifs, plus nombreux, ils prennent plus de notes et leurs résultats sont supérieurs.

Dans un second temps, je leur ai proposé un questionnaire pour leur demander leur avis sur les diverses modalités de communication employées en cours, sur le fait de communiquer les supports de présentation en guise de polycopié et sur ce qu'ils préféreraient comme type de polycopié. Là aussi, les résultats sont assez nets :

  • ils aiment beaucoup les listes à puces, mais souhaitent les illustrations en plein écran ;
  • ils sont très heureux d'avoir les transparents imprimés, mais souhaiteraient finalement avoir un résumé du cours comme polycopié.

Concernant la première partie des résultats, je dois préciser que les étudiants n'ont pas été sensibilisés au sujet avant de répondre au questionnaire. Il est donc logique qu'ils valident une pratique qu'on leur enseigne et qu'ils ont connue dès le début de leurs études (ou même avant). Quant à la seconde partie des résultats (le polycopié), il y a donc une contradiction. D'un côté, il y a la facilité : des notes déjà imprimées (les listes à puces), que l'on peut éventuellement annoter. Et de l'autre, il y a sûrement la perspective de l'examen : un texte rédigé, certes incomplet, mais qui peut servir de base à la compréhension.

Le point sensible est là. Un support de présentation ne correspond finalement qu'aux notes personnelles de l'orateur. En communiquant ce support, par exemple comme polycopié pour ses étudiants ou par e-mails à ses collaborateurs, il leur transmet un document non autonome qui les incite à ne pas faire leur propre travail de prise de notes, donc d'appropriation du contenu, donc de compréhension.

Alors que faire de ces listes à puces ' Réponse : que l'orateur les garde pour lui. Ainsi, il pourra en profiter sans qu'elles lui fassent concurrence. Ainsi, l'audience sera plus attentive et fera son propre travail d'appropriation. Ainsi, les illustrations passeront en plein écran. Ainsi, les supports de présentation ne seront plus communiqués et l'on pourra leur préférer un résumé qui pourra servir de base à la compréhension puisque, le texte étant rédigé, les relations y seront explicites (puis, donc, et, ou, etc.).

Vous l'aurez compris, nous militons ici pour une communication sans listes à puces et nous vous invitons donc à faire vous-même l'expérience lors de votre prochaine présentation. L'exercice est simple : déplacez les listes à puces vers les notes qui se trouvent en dessous de vos transparents et passez vos illustrations en plein écran. Ainsi, grâce au mode présentateur de PowerPoint ou à l'affichage de l'intervenant de Keynote, vous verrez ces listes (vos notes) sur l'écran de votre ordinateur, mais l'audience ne les verra pas et elle vous écoutera... Vraiment ! (Pour aller plus loin, vous pouvez même insérer des transparents noirs entre les illustrations pour que l'attention soit bien portée sur vous quand il n'y a pas d'illustration à commenter.)

Nicolas Esposito
http://www.utc.fr/~nesposit/
07/02/2005