L'après-Louis XIV

Publié par cpollet le 18 Mai, 2012 - 23:04
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Alors que le nouveau président de la République vient de rendre hommage à deux symboles de l’éducation et des savoirs, et que vient d’être nommé à Matignon celui qui déclarait vouloir « remettre la République à l’endroit », l’actualité politique fournit un bon prétexte pour rappeler très brièvement « l’après-Louis XIV », marqué en 1715 par une volonté de rééquilibrer les institutions, par des propositions favorables à la connaissance chère aux « premières Lumières », mais aussi par l’endettement de l’Etat.

 

Prologue :

 

Si, aux Provinces-Unies, un système républicain avait été adopté dès le XVIe siècle, et si, en Angleterre, le XVIIe siècle fut celui des remontrances et des révolutions favorables à l’émergence d’une monarchie parlementaire, dans le royaume de France, au contraire, ni la Fronde, ni les conspirations, ne parvinrent à enrayer la montée de l’absolutisme, qui atteignit son paroxysme sous le règne personnel de Louis XIV, de 1661 à 1715.

 

1) « L’après-Louis XIV » : un horizon de patience

 

L’ « après-Louis XIV » exista donc d’abord à l’époque du « Roi Soleil » comme horizon d’attente d’une partie de la noblesse traditionnelle, résignée par les échecs de toutes les tentatives d’opposition à l’absolutisme. C’est de patience que devait s’armer cette noblesse pour attendre la fin du plus long règne de l’Histoire de France. Cet « après-Louis XIV » imaginé et attendu, était pensé par l’aristocratie comme le négatif du présent, marqué, à ses yeux, par un profond déséquilibre du pourvoir, par un dysfonctionnement des institutions.

Rappelons que les Etats Généraux n’avaient plus été convoqués depuis 1614-1615. Dès le début de son règne personnel, en 1661, Louis XIV avait remplacé les charges de surintendant des finances par un poste de « contrôleur général » (notamment occupé par Colbert) : en lieu et place de charges héréditaires, il nommait un « ministre » révocable à tout moment selon sa volonté. Les parlements aspiraient quant à eux à jouer un rôle suffisamment fort pour équilibrer les institutions. Non sans un regard sur l’Angleterre, ils revendiquaient un droit de remontrance sur la monarchie, mais aussi un contrôle des finances, les caisses de l’Etat étant alors souvent percées par les fers de la guerre. « Délié des lois » (Ab solutus), Louis XIV, en 1673, interdit au contraire à ces parlements toute remarque avant l’enregistrement des édits. La noblesse parlementaire pouvait aussi lui reprocher ses « coups de majesté », tels que l’arrestation arbitraire de Fouquet. Une partie de la scène internationale avait en outre été choquée par la révocation de l’édit de Nantes (1685), qui obligeait les protestants du royaume à se convertir, par la destruction de Port-Royal (1713), ou encore par le sac du Palatinat (1689).

 

2) « L’après-Louis XIV » : un projet

 

Au sein d’une partie de la haute noblesse, à la fois proche de Versailles et du roi, et secrètement hostile à l’absolutisme, le « cercle de Bourgogne », étudié par l’historien Harold. A. Ellis (Boulainvilliers and the French Monarchy. Aristocratic Politics in Early Eighteenth-Century France, New York, 1988)rassemblait des intellectuels chargés de l’éducation du jeune duc de Bourgogne qui, un jour, devait accéder au trône. Fénelon, qui était son précepteur, écrivit pour lui Les Aventures de Télémaque. L’objectif de ce cercle assez méconnu, mais dont on sait qu’il comptait aussi Beauvillier, Boisguilbert, Saint-Simon, Chevreuse et Boulainvilliers parmi ses membres, était de rétablir, un jour, l’équilibre des institutions au sein de la monarchie. Or le jeune duc mourut en 1712 : le royaume, à la mort de Louis XIV, allait basculer entre les mains du Régent Philippe d’Orléans.

 

3) « L’après-Louis XIV » : un changement effectif

 

Dès 1715, le Régent rompit avec l’absolutisme de Louis XIV, en rétablissant le droit de remontrance des Parlements et en instaurant la polysynodie, qui associait l’aristocratie au gouvernement du royaume, et ce au sein de conseils spécialisés.

Ce renouveau institutionnel fut salué par Boulainvilliers :

 

« Jamais gouvernement ne fut si cher a la France que celui de Son Altesse Royale. Il succede a un regne despotique, bursal, tres long et par consequent odieux. (...) Si S.A.R. ne peut reellement soulager les Sujets ecrases, elle doit, au moins, temoigner une bonne volonte continuelle, & une attention infinie a leurs besoins & a leurs maux. » (Henri de Boulanvilliers, Mémoires presentés a Monseigneur le Duc d'Orléans, Régent de France, La Haye & Amsterdam, 1727, (tome I) p. 1-4).

 

Le Régent supprima également le poste de contrôleur général des finances créé par Louis XIV, tout en engageant une profonde réforme de la fiscalité. La question de la dette du royaume fut confiée à John Law, qui développa le papier monnaie. La plume de Saint-Simon exprime cet esprit de revanche et cette satisfaction face à l’équilibre institutionnel retrouvé :

 

« Je triomphais, je me vengeais, je nageais dans ma vengeance ; je jouissais du plein accomplissement des desirs les plus vehements et les plus continus de ma vie. »

 

Quant à Boulainvilliers, que l’on associe aujourd’hui aux « premières Lumières » (J. I. Israel, Les Lumières radicales, Paris, 2005), cet équilibre institutionnel était pour lui intrinsèquement lié au savoir et à l’instruction :

 

Il est certain neanmoins que l'ignorance a ete le grand & le principal defaut de la Nation Francoise dans tous les tems precedens ; & il n'est pas encore sur qu'a present nous en soyons aussi bien delivrez que nous nous en flatons, puisque c'est toujours a cette cause qu'il faut raporter l'inatention a la constitution du Gouvernement, & la mobilite des opinions que nous nous reprochons nous memes avec autant de raison que nous blamons dans nos monarques les alterations si frequentes qu'ils ont aportees aux Loix du Royaume & aux prerogatives des Peuples. (Ibid. p. 157-158).

 

Epilogue :

 

Cette euphorie provoquée par le rééquilibrage des institutions fut cependant de courte durée : dès 1718, le Régent mit fin à la polysynodie, et le royaume, pour quelques décennies encore, reprit la voie de l’absolutisme, sans jamais parvenir à résoudre son endettement.