la fête

Publié par jniger le 27 Mai, 2009 - 14:32
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La fête

Populeuse, populaire, ampoulée de partout. Miroir ô mon beau, suis-je Capitale à souhait ?

Me trouves-tu sur les façades fardées de lumières ?

Dans les vitrines de la pulsion objectivée ?

Dans les containers sépulcraux de roteuses avortées ?

Sur les trottoirs stellaires de paillettes ?

Ou sur la robe des chevaux harnachés de fatigue ?

Est-ce que je te délivre de l'ordinaire pour t’offrir l'effervescence d’une vie propre, ou est-ce que je tripote petitement tes perceptions atrophiées par la surexposition ?

Suis-je légère, divertissante ou autrement bouleversante ?

Est-ce que je te tiens en liesse, ou est-ce que je lâche la bride aux émois spontanés ?

 

Ne dis rien, réfléchis bien.

Où suis-je ?

Dans la condensation piétonne ?

Le mouvement brownien des cartes de crédit ?

La tribu des barbes-à-papa ?

M’agite-t-on avec les cloches des soldats de l'armée salutaire ?

Me vois-tu gigoter au sommet des bonnets pomponnés à ressort ?

Me trouves-tu nichée dans les gobelets de piquette aromatique ?

Dans l'étreinte figée des ours cartons pâteux ?

Me devines-tu par les trous inédits du Père Noël ?

Est-ce que j'apparais entre les flashs des petits oiseaux numériques ?

Ne dis rien. Réfléchis bien.

Évoquerais-je un souvenir d'enfance ?

Suis-je le carrousel aux diablotins ?

L'arbre bleu qui goutte électrique ?

La sucette tricolore en colimaçon. Le serpentin coquin. La pomme d'amour encore ?

Suis-je l'autorisation d’inventer, ou le quadrillage des aspirations. Leur emballage dans le papier siphon des apparences ?

Ne dis rien. Réfléchis bien.

Lesquels d’entre eux me prêtent une âme convaincante ?

Ceux qui ont braqué leurs tirelires pour payer le déplacement ?

Ceux qui disposaient d’une fenêtre de contribution avant leur correspondance ?

Ceux qui transitaient par nécessité.

Ceux qui emménageaient par hasard ?

Ceux qui m'occupèrent.

Ceux qui me libérèrent des occupants.

Ceux qui réconcilièrent les belligérants.

Ceux qui, faute d’avoir pu saigner le temps à Venise, l’assassinèrent sous les yeux froids de l’homme de fer.

Ne dis rien. Réfléchis bien.

Epilogue

Tu cherchais une expérience renouvelée de l'air. Tu entres dans les turbulences du sens.

Le vaudou marketing dirige tes pas dans un circuit circonscrit par les étiquettes.

Quelques-uns tentent de s’échapper par la bande, de me débusquer du ventre un imprévu non programmé.

L'histoire plonge des mains anorexiques dans la masse amorphes des désirs exténués. Les regards reflètent l’oubli d’un imperceptible ailleurs. Celui-là qui pourrait offrir un point de vue. Tailler une ligne de fuite dans le vif de l’absence.

Ils font volte-face avec des expressions qui siéent aux intellects permissionnaires.

Tous les signes de la fête sont réunis. Ils tiennent, sans soutien ni appui d'aucune sorte, aussi parfaits que des seins dénaturés à neuf.

Ils se proposent, comme la vie, à seule fin d’être consommés.

 

 

 

 

liquidation du sublime

J'étais dans une fête mais ne l'éprouvais pas. Tous les ingrédients étaient réunis, affichés à outrance, cependant la principale intéressée demeurait introuvable. Sur-codée et néanmoins invisible. Elle avait disparu. J'ai cherché à rendre compte, sans doute de façon maladroite, de cette curieuse impression. Écrire est pour moi, indépendamment de toute visée artistique, une façon de produire des anticorps spirituels. Une sorte de « noopathie » à usage personnel.

Quelques mois plus tard, j’écoutais une conférence du philosophe Bernard Stiegler donnée dans le cadre du Séminaire « trouver de nouvelles armes – économie générale et pharmacologie ». A un moment donné, il expliquait ceci :

"Une des stratégies fondamentales du marketing va être de s'approprier les fêtes et de les supprimer. (...) Qu'est ce que c'est qu'une fête ? A quoi sert une fête ? Hé bien la fête a pour fonction fondamentale de suspendre la loi du calcul."

Voilà me dis-je, une formule clef pour comprendre le sentiment qui m’avait envahit lors de cette expérience censément dédiée aux réjouissances. L’atmosphère saturée, suffocante, traduisait une défaite. Liquidation du sublime. Rabaissement de la fête au niveau du loisir fonctionnel tarifé, banalisé, standardisé, devenu produit de consommation courante.

Dans cet événement commercial où je m’étais égaré, tel l’orphelin d’un désir (de faire la fête, soyons fous), la loi du calcul non seulement n'était pas suspendue, mais régnait sans partage. Et l’ennui, mortel, empochait toutes les parts du marché.

Jean Michel

Involuer avec son époque

Le pari sot du patronat consiste à préserver son pré carré et à vous envoyer croupir au précariat.

L’ensemble des biens palpables et autres infinis qui fondent votre existence sont menacés. On vous répète qu’il faut vous adapter. Involuer avec votre époque. Certes, vous entendez bien. Mais d’une autre oreille. Cette surdité sélective vous interdit d’envisager une conversion souple au réalisme ambiant.

L’incertitude est instituée, puis déclarée « nature ». On appelle ça l’idiologie.

Sans doute manquez-vous du naturel en vogue. Il suffirait de vous laisser séduire par le discours pigeonnant de la gorge présidente. Muter à rebours et sans complexe. Abandonner le règne humain en brûlant l’étape du faune. Vous pourriez végéter, en somme.

Considérons le fait acquis. Choisissez vos nouvelles racines. Le syndicat des insectes polinisateurs annonce que les abeilles délocalisées outre-tombe n’assureront pas le service minimum. L’option fleur des champs est déconseillée. Misez plutôt sur une plante d’appartement, elle se satisfait d’eau calcaire et l’amour lui vient par surcroit. Une issue, sinon paradisiaque, du moins terrestre, se dessine de ce côté. Soyez bambou. Ou fétuque bleu. Songez à l’avenir d’empoté confortable qui vous attend. Imaginez-vous en herbe drue, avec la main verte de la bourgeoise plongée trois fois par jour dans votre intimité de graminée domestique.

Jean Michel