Apprentissage de l'écriture: manuscrite ou au clavier

Publié par abonneau le 8 Juillet, 2014 - 22:41
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à Guillot Olivier, Conseiller pédagogique spécialisé en technologies éducatives pour l'Université de Montréal

 

Cher Monsieur,

 

Je trouve un vif intérêt à la lecture de cet article.

J’ai moi-même travaillé sur le sujet durant une grande partie de ma carrière, en maternelle, en classes perfectionnement et en SEGPA, mais principalement au Cours Préparatoire.

Avant de répondre à la première assertion «Le geste de taper des lettres au clavier n'est pas lié au maniement du crayon et ne semblerait pas impliquer les mêmes processus cognitifs associés à l'apprentissage de l'écriture manuscrite.», je voudrais reprendre certaines analyses en les appuyant sur ma compréhension du geste d’écrire, mis en relation symbolique avec l’autre geste, intérieur, de le corréler à la lecture pour déchiffrer et entendre le sens.

 

Il s’agit en effet, tant dans un cas que dans l’autre, de gestes multiples :

écrire à la main, comme s’en aperçoivent les développeurs [1] cités dans l’article de Jacques Bourquin (http://semen.revues.org/2969), «Les analystes actuels utilisant l'outil informatique, ont réalisé divers essais de modélisation des structures graphiques, tels ceux qui sont cités par Philippe Coueignoux. auquel nous renvoyons.

Cox et Coueignoux dégagent, dans leur analyse, la notion de “squelette”, défini comme “un ensemble de sommets reliés entre eux par des côtés”.» , nécessite un repérage conceptuel et sensori-moteur très affiné, qui s’élabore au fil de phases heuristiques variées, aux remédiations nombreuses, tant sur le plan de la prise de repères spatiaux, temporels, chronologiques, de localisation, de proportionnalité, que de similitude (donc de capacité de différenciation), de symétries voulues ou refusées (tant verticale qu’horizontale), que de succession de séries.

Tous ces schémas mentaux tendent par l’enseignement à être de surcroît revisités par le type de regard que l’apprenant porte sur son objet : il s’agit dans un premier temps d’établir une correspondance entre la forme à reproduire, observée selon certains critères et l’organisation tant des portions de graphèmes (traits, courbes vers la droite, le haut…) enjambements, liaisons et fluidité de « micro-gestes » enchaînés que d’en percevoir la forme nouvelle qui advient et d’apprendre à construire ainsi une reconnaissance nouvelle à une première « méta-échelle ».

Le problème est de taille et la coopération des enfants, poussée par leur désir et leur encouragement – les phases de découragement ou de prise de repères dans les différents plans (vertical du tableau ou horizontal de la feuille ou du cahier) étant délicates et à effet de seuils – est indispensable.

C’est ce que Jacques Bourquin nomme « processus ascendant ». Mais le processus doit rester en même temps nécessairement réversible : «il est nécessaire de disposer des deux processus “ascendant” et “descendant[2] pour être un lecteur performant » car chaque nouvelle occurrence d’un mot inconnu, faute de le lire intégralement et a fortiori d’en entendre le sens, obligera à en vérifier la lecture correcte, d’où un retour sur le mode syllabique. Dans l’apprentissage de langues étrangères, ce retour passera même par l’unité minimale, la lettre, car son association avec d’autres répondra alors à des règles moins circonscrites qu’en français.

 

Loin d’en revenir à l’apprentissage exhaustif et fastidieux de l’arrêté du 31 juillet 1851[3]  – déplaçant l’objet de l’apprentissage[4] – j’estime qu’il est indispensable (en se cantonnant à l’écriture manuscrite dite « à l’anglaise », sans écrire en script dans les premières années) tout de même de lier le geste fin à l’ensemble du corps.

Les psychomotriciens connaissent bien ces pratiques qui visent à intégrer dans le schéma corporel global, dans sa perspective d’équilibre inertiel et donc dans ses orientations spatiales le mouvement, avant même de focaliser l’attention sur la trace, aussi grande que le geste la permet, avec un bras et l’autre, corrélée au sens orienté à partir de la gauche de l’écriture. Cette praxie permet l’intégration fonctionnelle tant de la globalité de la forme (lettre ou syllabe) que la maîtrise de son orientation à partir d’un point origine (vers la gauche en tournant dans l’exemple du « o »).

L’étape suivante vise à passer de la trace mnésique, physiologique et mentale, sensorielle aussi (équilibre/déséquilibre, effort/détente, pronation/supination) et mérite d’être vécue ensuite à une échelle plus réduite – le(s) bras, le(s) main(s), ensemble ou séparément. La notion ludique est ici aussi primordiale. On peut y associer un geste sonore (vers l’aigu, l’intensité, l’ouverture buccale, les effets de timbres à condition qu’ils soient reproductibles, mais sans trop digresser lors de la séance d’écriture, quitte à reprendre les essais en séance de musique).

La trace vient ensuite.

Grandiose sur le tableau vertical, elle peut être grandiose, à la craie ou au feutre, au sol. Sur les ardoises individuelles, elle réinvestira et revêtira les traces mnésiques précédentes.

 

Une deuxième étape la liera à une normativité de l’écriture : écrire entre des lignes, sur un tracé linéaire horizontal.

La même démarche, de l’échelle grande à la plus petite est ici aussi pertinente.

Je rejoins la précaution citée, tirée des « Conseils et directions pur préparer les instituteurs à leur carrière (…) de M. Matter[5]» : chez les plus jeunes de petite et moyenne section, et plus tard chez des enfants qui n’en ont pas approfondi l’expérience suivie et rigoureuse, le geste de motricité fine est délicat et il ne pourra être pleinement perçu que par une limitation des contraintes, notamment de format. Pourquoi ne pas permettre à l’enfant de tracer alors entre des lignes séparées de trois centimètres avant de lui imposer, comme les conventions normées de fabrication des cahiers y obligent, d’écrire dans des intervalles d’un cm, puis de 3 mm et enfin de 2mm.

La vision de près est alors à surveiller attentivement, car elle peut perturber ou occasionner une fatigabilité insoupçonnée.

Un autre aspect des problématiques qui se posent de façon récurrente est celle, non seulement des « lettres en miroir » (p/b/d/q) dont la discrimination passe bien entendu par le langage, mais nécessairement après que l’expérimentation en ait été pratiquée (j’ai fabriqué à cet effet très régulièrement des modèles collectif et individuels en carton épais que les élèves avaient à manipuler pour en expérimenter les orientations possibles) mais également à « l’écriture en miroir » :

toutes ces précautions ne sont pas exhaustives et il arrive, occasionnellement, que certains enfants – parfois hésitants sur leur latéralité et donc sur la main à utiliser – se mettent soudainement à rédiger avec la main gauche (parfois aussi la droite) de droite à gauche, tels Léonard De Vinci.

D’autres expérimentations, plus spécialisées, en complémentarité avec des méthodes de psychomotricité peuvent alors être pertinentes, associées au langage et encourageant l’énonciation consciente à la fois des prises de repères et les directions des gestes pratiqués auparavant.

 

Je crois que la citation des travaux de Mme Montésinos-Gelet :

«Les enfants qui apprennent le script ont tendance à traiter la lettre comme s'il s'agissait d'un dessinet de ce fait ils font souvent des lettres en miroir, c'est-à-dire inversées.»

ajoute un paramètre inconnu dans ma connaissance des pratiques françaises qui est celui de l’apprentissage de l’écriture à partir du « script ». J’ai l’impression – subjective – que le geste ne favorise effectivement pas le lien entre les lettres, donc la création intérieure de l’idée de support de l’oralité, parfois associé à un seul caractère, parfois à plusieurs. Ce pointillisme facilite une première expérience détachée de tout contexte et l’on sait bien comme « Tout premier geste est mémorisable à la façon de premiers pas dans la neige », étape première, support mnésique originel de sa répétition variée.

De plus, il n’est en aucun cas à l’origine d’une idée de la lecture – fondamentalement systémique – et on y retrouverait (j’imagine) les inconvénients de la « lecture globale », méthode si décriée, à juste titre, du fait qu’elle n’établit pas de lien premier entre les unités sémantiques les plus petites, laissant – et c’est en cela qu’elle est une catastrophe pédagogique – imaginer que l’on pourra en faire l’économie lors des apprentissages ultérieurs : ce rejet conceptuel de l’organisation en système du code écrit, privilégiant le leurre « généreux » et « rapide », « monstrable[6] » et sophiste, est une duperie de l’enfant organisée avec un mépris de ses potentialités d’intelligence curieuse, le transformant en perroquet savant, mais durant un temps seulement, puisque l’apprentissage d’idéogrammes est décorrélé de la langue française.

Parallèlement, je suppose donc que ce passage du « script » à l’ «écriture liée » constitue, par l’expérience motrice associée, une programmatisation – grammatisation dit Bernard Stiegler – des fonctions neuronales de l’enfant qui, ne pouvant faire le pas théorique de l’association motrice en mots (statistiquement, sur une classe d’âge) génère structurellement des difficultés du fait du redémarrage ultérieur sur des bases différentes, refonctionnalisation aléatoire (statistiquement) des constructions intérieures. Je suis persuadé que le corps est intimement lié à toute expérience somatique mais aussi sociale :

je citerai à ce propos Lev Vygotski [7]:

« C’est par l’intermédiaire des autres, par l’intermédiaire de l’adulte que l’enfant s’engage dans ses activités. Absolument tout dans le comportement de l’enfant est fondu, enraciné dans le social ». Et de poursuivre : «Ainsi, les relations de l’enfant avec la réalité sont dès le début des relations sociales. Dans ce sens, on pourrait dire du nourrisson qu’il est un être social au plus haut degré ».

Et c’est en cela que les choix de l’institution sont déterminants, car les pédagogues les appliquent, loin des recherches sur la psychologie et l’efficience théorique des pédagogies, loin des laboratoires de linguistique et de neurologie.

 

Depuis des générations, – selon Isabelle Pontésinos-Gelet - la plupart des élèves québécois apprennent à écrire en script en première année, puis en cursive en deuxième année.

Ce n’est pas le cas en France où je n’ai jamais entendu parler de pareille pratique.

Toutefois, si l’écriture « script » n’est pas enseignée dans les petites classes, sa reconnaissance, elle, fait l’objet d’un enseignement actif pour qu’elle soit associée mentalement à celle manuscrite.

Combien de fois ai-je dû être inventif pour sinon expliquer du moins imaginer des raisons burlesques sinon mnémotechniques à la liaison du « o » et du « a » avec la lettre suivante, par exemple : « Avec un « o », je pars d’en « haut ». Avec un « a », je pars d’en « bas ».

 

Des exercices fréquents, variés, non seulement entre « manuscrite » et « script », demandant d’associer de mêmes mots appris sont pratiqués très tôt, en grande section de maternelle (5 ans) ; mais ils sont associés aussi à la casse du mot, (minuscule, MAJUSCULE, à son style (normal, italique, gras) puis à différentes polices qui vont permettre à l’apprenant d’en reconnaître plus avant les variantes, constituant ainsi une « méta-reconnaissance formelle » qui prépare utilement à la lecture, tout en préparant le passage discret à la forme numérique.

 

Le geste de taper des lettres au clavier n'est pas lié au maniement du crayon et ne semblerait pas impliquer les mêmes processus cognitifs associés à l'apprentissage de l'écriture manuscrite.

rapportiez-vous en introduction de l’article :

J’en suis tout à fait persuadé et c’est pour laisser vivre les expériences préparatoires ci-dessus que j’en reportais l’accès manipulatoire, laissant ainsi l’accoutumance visuelle et symbolique s’élaborer, avant qu’un nouveau geste, synthétique et extrêmement codé lui aussi, ne vienne s’ajouter au premier – inscrit dans les mémoires sensible et motrice, mais aussi imaginaire – permettant de développer au lieu de court-circuiter la pensée prospective et active, la réduisant de même que la capacité de mémorisation liée à une inscription dans les fonctions corrélées de l’accès à la sémantique.

 

Jacques Bourquin note finement, par ailleurs, qu’ «  Une analyse systématique des variations des caractères manuscrits reste à faire. On sait d'ailleurs que sauf cas pathologiques, les déformations les plus marquées sont le fait d'individus très scolarisés, (…) affirmation d'individualisme[8] positive. »

 

J’ajouterai en guise de conclusion que les formes marquées dont les graphologies ont fait leur objet sont liées, dès le plus jeune âge, à l’expression de leur potentiel énergétique tout autant qu’à leur maîtrise progressivement possible de la main sans oublier le point de vue fondamental qu’est la question de la trace laissée de soi-même au regard de l’autre.

 

Cette pensée est d’ordinaire exclue de la réflexion pédagogique, sinon effleurée au nom et au prétexte qu’elle est le fait de « grands penseurs, psychanalystes entr’autres », mais elle est constitutive de l’acte d’écrire. Et ce, à tous les niveaux :

Comment comprendre sinon le rejet de dessins, leur déchirement, tout autant que l’inacceptation d’une copie de texte ne répondant pas aux critères intégrés ou rejetés du cadre institutionnel, social et relationnel, couplés à l’image de soi donnée à voir à une personne garante des « bonnes[9] pratiques », instituée, et cela dans le cadre d’une relation sociale contrainte où tout est à réinventer toujours pour montrer le « soi » et acquérir un statut de reconnaissance en correspondance avec l’image intérieure, bâtie sur une mémoire relationnelle à effets de seuils, conflictuelle et parfois peu méta-stabilisée ?

 

L’appétence pour le geste supérieur de corrélation sémantique en est appauvrie si l’approche “à son rythme” et “valorisée ” de l’accès à l’écriture manuscrite n’est pas vécue et dominée patiemment.

 

C'est qu'en effet le premier type de lecture (difficile) est utilisé dans les cas les plus difficiles et l'est rarement seul. Une identification partielle du mot suffit le plus souvent à le faire reconstruire par hypothèse.

conclut-il.

L’autonomie et l’initiative personnelle, conditions de la réussite scolaire, sont progressivement mises en œuvre dans tous les domaines d’activité et permettent à chaque élève de gagner en assurance et en efficacité.

L’écriture manuscrite est quotidiennement pratiquée, pour devenir de plus en plus régulière, rapide et soignée. Les élèves développent, dans le travail scolaire, le souci constant de présenter leur travail avec ordre, clarté et propreté, en ayant éventuellement recours au traitement de texte.

La rédaction de textes fait l’objet d’un apprentissage régulier et progressif : elle est une priorité du cycle des approfondissements. Les élèves apprennent à narrer des faits réels, à décrire, à expliquer une démarche, à justifier une réponse, à inventer des histoires, à résumer des récits, à écrire un poème, en respectant des consignes de composition et de rédaction. Ils sont entraînés à rédiger, à corriger, et à améliorer leurs productions, en utilisant le vocabulaire acquis, leurs connaissances grammaticales et orthographiques ainsi que les outils mis à disposition (manuels, dictionnaires, répertoires etc.)[10].

On voit dans ces programmes français de 2008 (dont la philosophie est bien antérieure) le respect qui est accordé au geste d’écrire, en lien avec celui intérieur, de le lier à la lecture pour déchiffrer et entendre[11] le sens.

J’ai pourtant un vif désaccord avec l’application de ces mêmes programmes des années suivantes, pléthoriques et ne laissant plus suffisamment la place à ces allers-retours intérieurs, à la vitesse possible de chacun, les normant dans des classifications des plus variées, enchaînées selon une programmatique qui génère, au vu de ma pratique, du découragement suite à une maîtrise des notions (et bien souvent plus des expériences, faute de temps : “ le programme doit être terminé “ disent beaucoup d’enseignants prolétarisés par le dogme de la réussite rationnelle)survolée et inefficace de l’échec.

Les buts fixés ci-dessus sont pourtant bien légitimes et prospectifs :

Les élèves apprennent à narrer des faits réels, à décrire, à expliquer une démarche, à justifier…

et mes rencontres heureuses de pédagogues m’ont amené à pratiquer dès les petites classes ces écritures de communication – expositions collectives où chacune et chacun choisit sa place, manuscrite et/ou iconographique (la trace, les traces de soi, toujours), le journal scolaire, la correspondance, la poésie, la fiction, …

Je reste persuadé que l’esprit ne construit qu’en interrelation ses fondements singuliers, de même qu’en couches superposées, auxquelles les mémoires impliquées doivent pouvoir revenir dans les situations limites, imprévues (et la langue les sollicite constamment avec sa richesse collective et subjective) par une conscientisation des techniques de construction des apprentissages, anamnèse toujours a posteriori des démarches individuelles parlées et partagées.

Je ne voudrais pas oublier les travaux théoriques magnifiques et aboutis de Jean Foucambert sur l’acte de lire, à l’AFL[12]  qui ont débouché vers la fin des années 1980 sur la production de logiciels d’aide à l’apprentissage de la lecture (ELMO, puis ELSA, entre autres[13]).

Jacques Bourquin reprend, sans les citer, certains des travaux sur la perception spatiale de Foucambert :

Les expériences de masquage de la moitié inférieure d'une ligne manuscrite montrent que la lecture en reste souvent possible, contrairement à ce qui se passe lors du masquage de la moitié supérieure. Cela tend à prouver que les traits utilisés sont plutôt localisés dans celle-ci. On a également souligné le rôle important de la place des traits dans le mot, le début surtout et la fin étant privilégiés.

J’ai moi-même expérimenté ces approches variées avec de nombreux élèves : les propositions d’expérience via l’outil informatique se sont révélées très positives, au sens où ces outils ont permis à tous les élèves de mêmes classes de progresser dans des proportions sensiblement comparables en rapport à leur niveau initial de discrimination/ compréhension/ vitesse. Des présentations sur support papier ont été très complémentaires en associant le geste moteur aux clics, alors que ces outils étaient proposés à partir du CE 2° année (8 / 9 ans).

 

Leur intérêt est repris – sans qu’ils soient cités – dans un article : « De la plume au clavier : est-il encore utile d’enseigner l’écriture manuscrite ? » de Jean-Luc VELAY Institut de Neurosciences Physiologiques et Cognitives (INPC) CNRS.

Je le cite :

Nous avions pour objectif de vérifier si la motricité manuelle mise en jeu pendant l’apprentissage conjoint de la lecture et de l’écriture pouvait modifier la mémorisation, et par suite la reconnaissance, de l’écrit.

Nous voulions d’autre part tester l’écriture dactylographique relativement à l’écriture manuscrite.

Les résultats indiquent que le double apprentissage (lecture/écriture) serait pénalisant à court terme (la condition « contrôle » donne les meilleurs résultats), mais à plus long terme, les caractères qui ont été écrits ont tendance à être mieux reconnus. La mémoire motrice, qui est plus stable dans le temps, pourrait suppléer la mémoire visuelle, qui serait prédominante à court terme.

En d’autres termes, une composante sensorimotrice pourrait être « impliquée » dans la représentation des caractères alphabétiques.

Toutefois, l’apport de la motricité n’est avéré que pour l’écriture manuscrite. L’usage du clavier ne conduit pas à une meilleure reconnaissance[14].

 

Je vous laisse juge de ces similitudes de conclusions, si éloignées dans leurs approches.

Comme Bernard Stiegler le justifie et le prône, je suis convaincu aussi que le numérique – outil récent et invasif de nos sociétés – doit faire très rapidement l’objet d’études universitaires, académiques, philosophiques et pédagogiques, car il remet en question l’organisation de nos savoirs hérités de longues contestations et jeux de pouvoir, mais qui avaient l’avantage d’être méta-stabilisés dans leurs formes mais surtout dans leur inscription culturelle.

Leur apparition comme « Cheval de Troie » dans nos cultures importe de la rationalité – aux avantages intéressants parfois – mais aussi une forme de « court-circuit » ontologique des rapports de l’homme à son corps, à soi-même, de son rapport à autrui ainsi que de sa relation intime aux constituants de son mode d’être civilisé, fondements de l’existence en actes.

Le rapport au temps est également « court-circuité » ainsi qu’à l’ «espace », comme on a pu le voir un peu ci-dessus dans les problématiques qui se posent, amplifiées par une prépondérance trop précoce de la machine et de sa « caractérialité  intolérante » à la pensée d’autrui.

En tant que pédagogues, nous avons beaucoup à penser et repenser pour en éviter le caractère arbitraire, monolithique au sens de son mode de fonctionnement binaire (« clivé »), même si « l’image de soi » qu’elle est programmée pour donner d’elle-même et séduire est alléchante.

Il y va des formes de pensée induites par les apprentissages que nous transmettons malgré nous, ou plutôt au-delà de nous-mêmes et de nos choix concrets aux générations futures.

 

 

Bien cordialement




[1]
Cox, C., Coueignoux, Ph. and alii, “Skeletons : A link between Theoretical and Physical Letter Description”, Pattern Recognition, 15, 1, 1982, p. 11-12.
Blesser, B., Shilmann, R. and alii, “Character Recognition based on Phenomenological Attributes”, Visible Language, vol. VII, 3, Summer, 1973, p. 209-23.

[2]c'est bien d'un processus ascendant qu'il s'agit, dans la mesure où la reconnaissance d'un mot peut résulter de l'identification successive des lettres dont il est composé.

[3] L'arrêté du 31 juillet 1851 énumère les cinq genres d'écriture à enseigner dans les écoles normales : “gothique, bâtarde, ronde, coulée et cursive” 

[4] il indique aussi les exercices à faire, éclairant la finalité de cet enseignement, “dresser des états pareils à ceux qui sont en usage dans les mairies et dans les Écoles, des mémoires, des factures, etc.

[5] D'ordinaire, et pour façonner la main successivement, on fait bien de commencer par la grosse. Elle est à la portée de tous ceux qui s'essayent à écrire ; elle donne à la main rustique un premier degré de flexibilité. De la grosse, qui n'est l'écriture de personne, on passe à la moyenne et à la fine ou cursive, qui est celle de tout le monde.in M. Matter, L'Instituteur primaire ou Conseils et directions pour préparer les instituteurs primaires à leur carrière et les diriger dans l'exercice de leurs fonctions .Paris, L. Hachette, 2e éd. 1843

[6] au sens que lui donne Bernard Stiegler dans ses cours de 2013-2014

[7] Vygotsky Théorie du développement de l’enfant, 1932 (trad.1982-1984, vol. IV, p. 281)

[8] Je dirais plutôt individuation positive.

[9] catégorisation morale institutionnelle érigée en vérité imposée. cf. la lecture de Platon par Bernard Stiegler.

[11] Cette écoute intérieure est également développée, de façon systémique, lors des études préparant au statut de compositeur et de chef d’orchestre.

[14] hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/02/80/10/PDF/Velay_Cog_073_.pdf

publication numérique du 28 juillet 2004